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« À moins d’un événement majeur, le scrutin aura bien lieu le 12 décembre »

« À moins d’un événement majeur, le scrutin aura bien lieu le 12 décembre »

Pour le politologue Mansour Kedidir, l’histoire est là « pour montrer les échecs lamentables de tous ceux qui ont voulu enfreindre la volonté populaire ».

Qu’avez-vous retenu des neuf premiers jours de la campagne électorale pour la présidentielle du 12 décembre ?

Kedidir Mansour. Depuis que l’Algérie est entrée dans le pluralisme politique, aucune campagne ne s’est singularisée par une contestation populaire aussi considérable et déterminée tant dans son mode d’organisation, sa composante humaine ainsi que dans le choix significatif des slogans scandés. Caractérisé par la présence de deux forces opposées, les gouvernants, décidés à la tenue du scrutin du 12 décembre d’une part, et le Hirak qui persiste dans le rejet des élections, d’autre part, le déroulement de cette campagne électorale appelle trois remarques :

La radicalisation des postures des tenants du pouvoir et les manifestants du Hirak a conduit à l’aggravation de la crise dont le dénouement devient hypothétique. Cette radicalisation s’est traduite par des arrestations massives des manifestants et une escalade dans les discours. Difficile dans cette condition d’amener les protagonistes à négocier une sortie de crise.

La prestation des candidats se situe en deçà du seuil minimum. S’il est vrai que les conditions ne sont pas toujours réunies pour organiser des meetings (salles à moitié vides et entourées de ceintures de sécurité), les candidats, manquant de charisme, puisque tous sont conspués, s’échinent à présenter des programmes, de pâles copies, dont les axes sont repris à tour de rôle par les postulants dans un discours sans teneur, atone et souvent grotesque et ridicule.

Si les tenants du pouvoir et en particulier l’Autorité indépendante de contrôle des élections, croient convaincre l’opinion publique que la campagne se déroule dans de bonnes conditions, le Hirak est arrivé à montrer le contraire. Lorsqu’un acteur de cette ampleur arrive, sans peine, à mobiliser des milliers de manifestants tous les vendredis et mardis, à s’approprier l’espace public et à déposséder les gouvernants du pouvoir de dire, seuls, la politique, il est clair que toute recherche de solution à la crise doit passer inéluctablement par le Hirak , à moins que les dirigeants de l’heure, taraudés par le peur de l’incertitude, s’obstinent à agir comme si l’Algérie est considérée comme une forteresses vide.

De plus en plus décriés, chahutés et rejetés, les candidats éprouvent des difficultés à mener campagne face à des manifestants déterminés à faire avorter le scrutin. Face à cette situation, comment se dessine, selon vous, le scénario du 12 décembre ?

Depuis les Grecs, et en passant par toutes les civilisations humaines, la gestion des affaires de la cité suppose que le responsable devra être armé de qualités intrinsèques, de probité, de sagesse et d’un sens élevé dans le dévouement et le sacrifice. S’il s’entête à passer outre, en usant de la force, l’histoire est là pour montrer les échecs lamentables de tous ceux qui ont voulu enfreindre la volonté populaire.

Puisque les tenants du pouvoir s’efforcent d’organiser le scrutin au 12 décembre, le pays s’installera, inévitablement, dans une crise irrémédiable et ce n’est pas la promesse électorale d’un tel candidat qui pourrait en atténuer les tensions. Dans ce cas de figure, les manifestants, dont le niveau de conscientisation élevé n’est plus à démontrer, ne sont pas dupes. Comment pourraient-ils croire aux capacités de réformes d’un nouveau président, issu d’un simulacre d’élections et dont le mental a été forgé dans un système monolithique ? Nous sommes en face d’une impasse et l’hypothèse de report comme ce fut le cas pour l’élection du 18 avril ne réglera pas le problème, car la question ne relève plus de la date des élections mais de l’entente sur l’approche du règlement de la crise, conditionnée par l’identification des représentants des manifestations, qui est en soi une épreuve très délicate, et la participation de tous les protagonistes autour d’une table.

Que faire maintenant ? Difficile de répondre. Dans une société traversée par une tectonique des plaques très active, la survie d’un peuple dépend des capacités prédictives de ses gouvernants pour lui éviter le désastre.

Quelle marge de manœuvre aura le prochain président ?  

À moins d’un événement majeur, l’analyse du déroulement de la campagne électorale nous amène à dire que le scrutin aura bien lieu le 12 décembre. Devant une participation aux élections, qui serait, dans la situation actuelle, la plus basse depuis l’indépendance du pays, taux déjà annoncé par une voix off du système, qui affirmait que l’on devait s’accommoder même avec un tiers de président, celui qui serait élu, en sortira fragilisé.

Comment pourrait-il agir dans ce cas ?

Deux alternatives se poseraient à lui. S’il considère, dans la première hypothèse, que la crise est politique et qu’il devra par conséquent gérer une période de transition, il pourrait réussir s’il invitera tous les acteurs dans une Conférence inclusive  pour passer à une constituante et jeter ainsi les jalons d’un Etat de droit, nseul gage d’une véritable démocratie. Dans cette hypothèse, pourquoi avons-nous (tous les acteurs politiques et sociaux) refusé la tenue d’une Conférence nationale inclusive, proposée par le président sortant ? La réponse, affirme-t-on, est que toute réforme que ce soit au niveau de sa conception, du débat ou de son exécution, ne peut pas être amorcée avec le même personnel politique sorti du moule du système politique prévalent. Donc,  le nouveau président aura-t-il le courage et l’audace pour enfreindre les règles préétablies par le pouvoir et laisser des outsiders remettre en cause l’équilibre des pouvoirs définir les fonctions des institutions de souveraineté et rendre la parole aux représentants du peuple ? Devant l’encadrement désigné au niveau de l’éphémère Dialogue national et l’Autorité indépendante des élections, nous restons dubitatifs quant à la démarche du futur président dans le règlement de la crise.

La deuxième alternative s’apparente à une aventure. Puisque le pouvoir depuis longtemps a toujours acheté la paix sociale, il injectera, dans une vaine tentative, des sommes colossales dans la dépense sociale, invitera de faux représentants du Hirak, comme il l’a toujours fait en les recrutant dans les rangs des organisations satellites, des deux appareils de propagande (RND et FLN) et d’autres affidés, dans une Conférence nationale et distribuera la rente, ou ce qui reste à ses soutiens. Ce scénario pourrait tenir si les prix du pétrole dépasseront la barre des 100 dollars. Tel n’est pas le cas malheureusement.

En conclusion, nous pensons que la crise est politique. Si elle perdure, elle enflamme le bois que nos gouvernants ont laissé se dessécher par leur légèreté dans les contextes politiques difficiles, leur désinvolture dans la gouvernance, leur arrogance devant les signes avant-coureurs de la crise et leur cécité dans la recherche de solution.

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