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Décès du Dr Boudissa : des défaillances incompréhensibles

Décès du Dr Boudissa : des défaillances incompréhensibles

Le triste sort de la femme-médecin, qui travaillait à l’hôpital de Ras el Oued, n’en finit pas d’émouvoir. Enceinte de huit mois, elle est décédée du coronavirus, elle et son fœtus.

Dr Wafa Boudissa serait comptabilisée comme une victime anonyme de plus du méchant virus qui a fait plus de 500 victimes en Algérie, dont une vingtaine parmi le personnel médical, si sa mort n’était pas largement évitable.

Elle était évitable dans la mesure où il suffisait de donner suite à ses nombreuses demandes de congé, de lui changer de service, bref de ne pas la mettre sur la ligne de front face à la pandémie du Covid-19.

Les défaillances qui ont mené à ce drame sont d’autant plus incompréhensibles qu’elles sont survenues dans une corporation censée ne rien ignorer de la maladie et du degré de vulnérabilité de chaque catégorie de la population.

Avec les personnes âgées et les malades chroniques, les femmes enceintes figurent parmi les moins disposés à résister au Covid-19 et on l’entend, depuis plusieurs mois, de la bouche de tous les médecins et de tous les responsables du secteur.

Comment a-t-on donc pu laisser une femme enceinte de huit mois travailler quotidiennement dans un service recevant des centaines de patients, dont des porteurs potentiels du virus ? La question centrale est là et l’enquête dont parle le ministère de la Santé doit situer les responsabilités avec précision.

Les témoignages concordants des collègues de la victime révèlent que le drame est à la fois la conséquence d’une incurie humaine et d’une législation inadaptée.

Dr Boudissa aurait fait plusieurs demandes de congé, toutes rejetées par le directeur de l’hôpital, « conformément à la réglementation ». Ses collègues ont accepté de la remplacer, mais à chaque fois qu’elle s’absente, elle recevait des questionnaires.

Elle a été testée négative au Covid-19, mais c’était un test rapide, donc peu fiable. Au deuxième test, elle est positive. On décide bien sûr de la libérer mais c’est déjà trop tard. Une femme au huitième mois de grossesse n’a que peu de chances de s’en sortir. Vendredi 15 mai, elle décède.

À qui la faute ?

Comme à chaque fois dans pareils cas, le ministre de tutelle se déplace sur les lieux, console la famille et prononce les premières sanctions. Le directeur de l’hôpital de Ras el Oued est limogé. Le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid qui l’a annoncé ce dimanche à partir de Khenchela où il était en visite, a dû estimer qu’il dispose de suffisamment d’éléments pour trancher.

Pour lui, le directeur a enfreint les décisions du président de la République et le décret instituant les mesures de distanciation sociale, dont la mise en congé d’une partie des personnels de l’administration.

Le décret prévoit de mettre « en congé exceptionnel rémunéré, au moins 50% des effectifs de chaque institution et administration publique » durant la période de confinement. Le décret exclut plusieurs corporations, dont justement les personnels de santé. Il laisse aux autorités dont relèvent les personnels exclus de cette mesure la possibilité d’autoriser la mise en congé exceptionnel des effectifs, mais uniquement les administratifs. Les personnels soignants sont donc exclus.

Le décret présidentiel précise que les femmes enceintes et les femmes élevant des enfants ainsi que les personnes atteintes de maladies chroniques et celles présentant des vulnérabilités sanitaires sont considérées prioritaires au congé exceptionnel. Aucune précision toutefois si cette disposition est applicable ou non aux personnels de santé.

Le directeur de l’hôpital de Ras el Oued a-t-il dans ce cas enfreint le décret ? Combien même il ne l’aurait pas fait et son interprétation du texte lui a dicté de ne pas donner suite aux doléances de la femme-médecin, il avait la latitude de la libérer dans le cadre d’un congé ordinaire ou d’une mise en disponibilité, la législation du travail étant très flexible en la matière.

La partie à l’origine des nombreux questionnaires destinés à la victime avait peut-être agi dans le respect de la loi, mais avec un trop plein de zèle qui a fini par provoquer le drame. S’il est du devoir du ministre de la Santé de prononcer des sanctions, il est aussi du devoir de tous les responsables de l’État d’accorder leurs violons pour faire en sorte que la législation soit appliquée sans ambiguïté.

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