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En Tunisie, le mal-être des jeunes se traduit par un pic d’émigration clandestine

En Tunisie, le mal-être des jeunes se traduit par un pic d’émigration clandestine

Hafedh a « vu la mort en face » en tentant d’émigrer clandestinement vers l’Europe, mais ce Tunisien de 26 ans n’a toujours qu’une idée en tête : reprendre la mer. En septembre, les départs ont connu un pic, reflétant un mal-être persistant chez les jeunes.

Une collision le 8 octobre entre une embarcation surchargée transportant des candidats à l’émigration et un navire militaire, au cours de laquelle au moins huit personnes ont péri, a replacé au cœur de l’actualité un phénomène existant de longue date en Tunisie.

Trente-huit Tunisiens ont été secourus. Mais le nombre de disparus pourrait s’élever à une quarantaine, craignent des ONG.

Le chef du gouvernement Youssef Chahed a qualifié la collision de « catastrophe nationale », tandis que le Parquet militaire a ouvert une enquête.

« Vague » migratoire

Le drame s’est produit alors que le nombre de départs clandestins vers l’Italie depuis la Tunisie a connu une augmentation « assez inhabituelle » ces dernières semaines, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

« De janvier à août, 1.357 Tunisiens ont atteint la côte italienne, tandis que l’OIM estime que plus de 1.400 sont arrivés au cours du seul mois de septembre », a indiqué l’organisation onusienne.

Selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), cette « vague » migratoire s’explique en grande partie par la désillusion des jeunes.

Les survivants, note Romdhane Ben Amor, chargé de la communication au sein de l’ONG, sont originaires de régions défavorisées comme Kasserine (centre), Ben Guerdane (sud) et de quartiers populaires de la capital.

Le pic de départs semble « lié à l’ampleur de la déprime de la jeunesse tunisienne, à l’impasse économique et sociale dans laquelle elle se trouve et aux signaux négatifs qu’on lui envoie constamment », comme le fait de répéter qu’il n’y a pas d’emplois, dit M. Ben Amor.

Si la Tunisie est considérée comme ayant réussi sa transition politique après la révolution de 2011, le pays reste en difficulté sur le plan économique et le taux de chômage élevé, surtout chez les jeunes.

« Ressentiment »

Hafedh se trouvait à bord du bateau qui a coulé dimanche soir. Le traumatisme du naufrage l’empêche de dormir, mais le jeune homme originaire de Mahrès (centre-est) est déterminé à repartir.

« Je travaille un mois puis plus rien pendant deux ans. Et même quand je travaille comme garçon de café, ce n’est pas avec 10 dinars (3,5 euros) par jour que je vais vivre » décemment, dit-il à l’AFP par téléphone, en reconnaissant éprouver « un profond ressentiment » envers son pays, où il ne voit « aucune perspective d’avenir ».

Pour rassembler les 3.000 dinars (1.025 euros) que coûte le voyage, Hafedh a vendu sa mobylette, sa mère ses bijoux et ils ont emprunté le reste. Objectif: l’Italie puis la France, où le jeune homme veut rejoindre des amis qui lui ont promis un travail comme peintre en bâtiment.

« Ces jeunes se disent que le risque en vaut la peine et que: +de toutes les manières, je suis mort+, que ce soit en mer ou dans mon pays », dit à l’AFP Zied, dont le frère Khaled est également rescapé du naufrage.

Khaled, électricien de 27 ans, n’a pas non plus trouvé de travail stable et a dû rompre avec sa fiancée parce qu’il n’a pas réussi à rassembler l’argent nécessaire pour le mariage, selon son frère.

Après l’émotion du naufrage, un débat a éclaté sur les motivations de ces jeunes. Si beaucoup comprennent leur amertume, d’autres critiquent ce qu’ils qualifient de « manque de ténacité », voire de « patriotisme ».

Les autorités tunisiennes, elles, disent multiplier les arrestations de passeurs et de migrants.

Mais tant que les Tunisiens n’auront pas de meilleures perspectives, avertissent des ONG, le phénomène se poursuivra.

Le FTDES note ainsi que certains pêcheurs tunisiens au gagne-pain affecté par la pollution ou la pêche industrielle sont en train de se tourner vers le juteux commerce de l’émigration clandestine.

Et, concernant le récent pic, le gouverneur de Kébili (sud), Sami Ghabi, s’est demandé si les autorités italiennes ne faisaient pas preuve d’un laxisme délibéré.

« Les frontières du côté italien sont-elles bien gardées ? », a déclaré le responsable à la radio Shems FM. « Peut-être que l’Italie veut faire pression sur l’Union européenne » pour obtenir davantage de moyens ?

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