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Flambée de la Covid-19 : « Pas question de sacrifier l’éducation de générations entières »

Flambée de la Covid-19 : « Pas question de sacrifier l’éducation de générations entières »

Pr Mohamed Belhocine, éminent épidémiologiste et membre du comité scientifique Covid-19

Le Pr Mohamed Belhocine, éminent épidémiologiste et membre du comité scientifique Covid-19 revient dans cet entretien sur les raisons de la flambée de la Covid-19 en Algérie et ses conséquences sur le système de santé, s’exprime sur les appels à la fermeture des écoles…

L’Algérie a atteint un nouveau record des contaminations à la Covid-19. Comment voyez-vous la situation épidémiologique actuelle dans le pays ?

Nous assistons effectivement à une recrudescence importante du nombre de cas et du nombre de décès. Je pense que plusieurs facteurs peuvent expliquer cette augmentation. D’abord il y a un facteur climatologique puisque nous allons vers les saisons où les températures ambiantes sont plus fraîches qui créent des conditions idéales de circulation des virus de la famille du corona. Un deuxième facteur est que nous vivons la rentrée sociale après avoir passé une phase estivale où les gens étaient en congés et les mesures de confinement étaient plus ou moins appliquées.

Le troisième facteur qui de mon point vue est un facteur essentiel a été le relâchement parfaitement bien observé du respect des mesures-barrières par la plupart de nos concitoyens. Ce relâchement nous le payons très cher car d’une manière générale c’est après quelques semaines que l’on voit un pic lorsque le virus circule activement dans la communauté. Aujourd’hui nous en payons le prix.

Les services dédiés à la prise en charge des malades Covid-19 affichent complet. Vous tirez la sonnette d’alarme ?

 « Il y a un risque d’effondrement du système de santé »

Bien sûr que je tire la sonnette d’alarme. Les services de santé dans un pays ne sont pas faits pour recevoir un afflux massif de patients atteints d’une maladie donnée. Ils sont conçus pour recevoir un certain pourcentage de patients qui sont étalés dans le temps et l’espace. Quand il y a une épidémie avec un accroissement brutal et massif du nombre de cas d’une maladie donnée, ça dépasse les capacités des structures de santé. Le deuxième élément très important dans cette pandémie, c’est que comme elle touche l’ensemble du pays, ça veut dire qu’on ne peut pas compter sur la solidarité de régions restées indemnes.

Là, c’est le pays entier qui est touché et l’afflux devient de plus en plus important. Il y a donc un risque de saturation des services hospitaliers et littéralement lorsque les services sont saturés, les experts disent qu’il y a un risque d’effondrement du système de santé. C’est pour cela qu’il faut essayer de trouver en amont des mesures qui permette de réduire cet afflux massif de nouveaux cas pour permettre au système de santé de prendre en charge les malades qui ont besoin de soins spécifiques nécessitant une hospitalisation.

Le gouvernement a pris de nouvelles mesures de confinement pour faire face à la flambée des cas de Covid-19. Sont-elles suffisantes ?

Toute mesure qui réduit les contacts interhumains devrait réduire ipso facto les risques de contamination et donc devrait réduire la survenue de nouvelles chaînes de transmission. Je pense que ces mesures sont à la hauteur du défi que nous avons, mais pour savoir si elles sont suffisantes ou pas il faut observer l’évolution du nombre de cas. Si elles ne sont pas suffisantes, il est possible que l’autorité prenne de nouvelles mesures encore plus drastiques. Encore que tout le monde est réticent à la mesure du confinement général, ce confinement complet n’a pas que des effets bénéfiques. Oui il a des effets bénéfiques sur la circulation du virus, mais au prix de conséquences économiques, sociales et psychologiques pour qu’on n’y aille qu’en dernier recours.

Qu’en est-il des écoles ?

Nous avons discuté de la question de l’école au sein du comité scientifique. Nous avons aussi travaillé avec les cadres du ministère de l’Éducation nationale qui ont préparé un protocole extrêmement soigné et précis concernant la reprise scolaire. Nous nous sommes basés sur les expériences internationales qui sont très diverses et sur les recommandations des institutions internationales comme l’Organisation mondiale de la santé, l’Unicef ou l’Unesco. Ces trois instances ont émis des recommandations en ce qui concerne l’école, de même qu’un certain nombre de pays ont émis des recommandations, je pense particulièrement au Canada où toutes ces recommandations disent qu’il n’est pas question de maintenir l’école fermée toute une année. L’épidémie Covid-19 peut se manifester à travers des cas dans les établissements scolaires mais qu’il faut gérer au cas par cas.

« Il n’est pas question de sacrifier l’éducation de générations entières »

Pourquoi ? Parce qu’on considère que les dégâts sociaux et culturels qui provoqueraient une fermeture indéfinie et générale des écoles dans les pays sont bien plus graves à gérer que d’apprendre à vivre avec la Covid-19 et à gérer les cas qui pourraient survenir dans les écoles. Le ministère de l’Éducation nationale, en concertation avec le comité scientifique, a émis des critères pour décider s’il faut fermer des classes ou des établissements lorsqu’il y a des situations de cas Covid déclarés chez les enseignants, l’encadrement ou les élèves. C’est un problème compliqué, mais il n’est pas question de sacrifier l’éducation de générations entières simplement parce qu’il peut y avoir des flambées épidémiques.

Bien évidemment, si la situation appelait à un confinement généralisé dans une ou plusieurs wilayas, les écoles seraient à ce moment-là fermées. Si vous avez plus de trois cas dans une classe en moins d’une semaine, on ferme la classe. S’il y a plus de trois classes qui sont atteintes dans un établissement, on ferme l’établissement pour une durée de quinze jours. Après on évalue la situation et on rouvre l’école.

L’Algérie et le monde ont les yeux braqués sur le vaccin annoncé contre la Covid-19 par Pfizer et Biotech…

 « À quel rang l’Algérie sera sur la liste des acquéreurs ? »

Oui, il y a une lueur d’espoir mais il faut savoir raison garder car, même avec la frénésie de vouloir avoir le plus vite possible le vaccin, il y a des délais incompressibles que l’humanité ne pourra pas dépasser. Ce sont les délais engendrés par une évaluation froide et sans concession de l’efficacité de ces vaccins et de l’absence d’effets secondaires. Il y aura après le défi d’une production suffisante de ces vaccins. Il y aura également le défi d’une acquisition de ces vaccins. À quel rang l’Algérie sera sur la liste des acquéreurs ? Il y a une course et dans cette course à l’échelle mondiale, on peut penser que vu la difficulté de la situation dans la plupart des pays du monde, qu’il puisse y avoir des situations où tous les coups sont permis.

Pour l’instant, c’est un gros espoir car ça va changer la règle du jeu par rapport à la Covid-19. S’il s’avère que ce vaccin est efficace, il transformerait la Covid-19 comme n’importe quelle maladie transmissible contrôlable par la vaccination. Espérons que la Covid sera du passé en 2021 si ce vaccin devient disponible et que l’Algérie l’acquiert et l’administre à tout le monde. Néanmoins, même si on l’acquiert, il faut une stratégie vaccinale bien précise et rationnelle car il est difficile d’imaginer que l’Algérie pourra acquérir quarante millions de doses d’un seul coup. Le ministère de la Santé est en train de plancher sur la stratégie vaccinale sur qui vacciner en premier, pourquoi, comment, combien de doses, etc. Ce sont des discussions qui sont en train d’être menées, de même que la logistique concernant le vaccin est en train d’être étudiée car certains vaccins demanderaient une chaîne de froid spéciale avec des températures très basses. On verra d’ici la diffusion complète de l’information et que l’OMS donne son agrément à un ou plusieurs des vaccins en lice.

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