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Harragas : les limites du tout-répressif

Harragas : les limites du tout-répressif

Samedi 1er décembre, la police est déployée dans les principales artères d’Alger dès les premières heures de la matinée. Motif : empêcher une marche annoncée pour le début de l’après-midi.

Depuis 2001, les manifestations publiques sont interdites dans la capitale quel qu’en soit l’initiateur ou l’objet. Cette fois, ce sont les familles de migrants clandestins, sans nouvelles de leurs enfants, qui comptent battre le pavé.

Mais elles ne le feront pas, sans doute dissuadées par l’impressionnant dispositif de sécurité mis en place. Deux jours plus tôt, des habitants du quartier de Meissonnier, au centre-ville, avaient pris au dépourvu la police et marché le long de la rue Didouche-Mourad jusqu’à la Grande poste pour presser les autorités de « bouger » afin de retrouver leurs enfants harragas disparus au large de la Sardaigne.

Le phénomène de la traversée clandestine de la Méditerranée a pris de telles ampleurs qu’il déborde maintenant dans la rue. Les images des corps repêchés par les garde-côtes ou les pêcheurs ont choqué l’opinion et levé le voile sur l’étendue de la plaie.

Les familles de victimes, de plus en plus nombreuses, se font aussi entendre. Mais elles ne disposent encore d’aucun cadre organisé, d’où l’impossibilité d’établir des chiffres ne serait-ce qu’approximatifs sur le phénomène.

Combien sont-ils à avoir traversé la Méditerranée clandestinement dans l’espoir d’une vie meilleure de l’autre côté ? Combien ont pu y arriver et, surtout, combien sont-ils à avoir été engloutis par les flots ? On ne le saura sans doute jamais, mais au vu des rares indicateurs disponibles, il est aisé de deviner l’étendue du drame. D’abord, le nombre de clandestins algériens en Europe ne cesse de grandir au point de faire l’objet de discussions directes entre les gouvernements respectifs, comme ce fut le cas lors des visites ces derniers mois à Alger de la chancelière allemande et du président du Conseil italien.

En France, 10 000 sans-papiers algériens ont fait l’objet durant l’année 2017 d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) et le chiffre devrait augmenter cette année selon les prévisions faites à TSA par le consul général de France en Algérie.

Il y a aussi le nombre impressionnant de familles qui se manifestent à la recherche de leurs enfants disparus. Ils ne sont peut-être pas tous morts. Beaucoup, selon leurs familles, croupissent dans les prisons des pays voisins, en Tunisie ou en Libye où les autorités ne font pas dans la demi-mesure pour venir à bout du phénomène.

Mais le drame est bien là : des centaines voire des milliers de familles algériennes sont à la recherche de leurs enfants disparus. Comment est-ce possible dans un pays qui se targue d’avoir pu rétablir la paix et qui est censé avoir dépensé en vingt ans 1000 milliards de dollars en infrastructures, en transferts sociaux et en aides en tous genre pour améliorer le cadre de vie de sa population ?

Il faut dire que personne n’a vu venir la tragédie. Les autorités, le mouvement associatif et même les médias y ont toujours vu un phénomène marginal.

Au milieu des années 1990 déjà, des jeunes téméraires bravaient la peur et embarquaient clandestinement sur des bateaux de marchandises en partance pour les principaux ports de la rive nord de la Méditerranée.

Les embarcations de fortune feront leur apparition dans les années 2000 et le phénomène explosera, donnant naissance à une nouvelle filière, un nouveau métier : passeur.

Des réseaux se mettent en place à Annaba, principale rampe de lancement pour sa proximité avec les côtes italiennes, à Aïn Témouchent et même à Alger. Les « rabatteurs », eux, se trouvent partout, ce qui fait qu’aucune ville du pays n’est épargnée, pas même les localités reculées du Sud.

Paradoxalement, c’est au moment où l’État n’avait pas de soucis d’argent et dépensait sans compter que l’émigration clandestine a explosé. Il est utile de le relever pour dire toute la complexité du phénomène.

La misère sociale, c’est indéniable, constitue le facteur premier qui jette les jeunes dans les embarcations de fortune. Mais il est un autre fait incontestable : de plus en plus d’enfants de familles aisées tentent l’aventure. Le mal est profond et lui trouver un remède passe sans doute par des mesures autrement plus réfléchies et plus élaborées que le tout-répressif.


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