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La Casbah face au défi de sa résurrection

La Casbah face au défi de sa résurrection

Mahdia Chaouch

CONTRIBUTION. Branle-bas de combat chez les architectes algériens ! Toutes affaires cessantes, une bonne partie de la profession, qui a pratiqué méthodiquement la politique de l’autruche face à la déliquescence du paysage et du patrimoine architectural algérien depuis des décennies, relève soudainement la tête pour dénoncer avec véhémence l’arrivée d’un confrère de renom, l’architecte Jean Nouvel. Fichtre !

La wilaya d’Alger et la région Île de France ont conclu un accord tripartite avec les Ateliers Jean Nouvel pour faire des propositions de revitalisation de la baie d’Alger et de la Casbah dont elle fait partie. On ne dispose pas assez d’informations sur le contenu de cet accord. Mais, visiblement, c’est à la Casbah où le bât blesse car des missions d’études de la baie d’Alger, la wilaya en a confiées par le passé à d’autres architectes, on pense à l’agence française Arte Charpentier, dans l’indifférence générale.

Qu’en est-il donc de la Casbah ? Un quartier d’Alger de 105 hectares, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, au passé historique ancré dans l’imaginaire de tout Algérien, mythifiée par le film « La bataille d’Alger » qui relate les hauts faits de résistance des Algériens pendant la période coloniale mais dont la réhabilitation semble être une mission impossible au regard des multiples tentatives opérées et à ce jour désespérément inachevées.

Qu’en est-il des griefs portés aux Ateliers Jean Nouvel ? Jean Nouvel est un grand architecte mais il n’est pas algérien. Il ne peut donc pas comprendre la Casbah. Nul n’est parfait ! Plus sérieusement, comment expliquer alors que le plus grand musée du Monde, le Louvre à Paris, un édifice de 165 000 m² de surface bâtie datant du XII siècle, lieu emblématique de la capitale française, ait été entièrement rénové par un architecte chinois, Ieoh Ming Pei, qui n’a jamais réalisé de restauration historique auparavant et qui le coiffe d’une pyramide en verre de surcroît.

Plus récemment, l’État Français a sélectionné, parmi d’autres, Djamel Klouche, architecte algérien pour réfléchir au projet du Grand Paris. Les Français seraient-ils plus laxistes, moins patriotes ou moins soucieux de leur Histoire ? Mystère.

Jean Nouvel n’aurait pas d’expérience en patrimoine. Cette attaque est plutôt intrigante pour un architecte dont les œuvres constituent dorénavant une partie du patrimoine architectural contemporain, d’où le Pritzker Price, équivalent du Nobel en architecture qui lui a été décerné.

Est-ce que le patrimoine se conjugue forcément au passé ? Et serait-on donc disqualifié en fonction de l’âge du bâtiment, pour ne pas dire du capitaine ? Encore une énigme.

Troublante coïncidence, une pétition inédite, aux relents identitaires douteux, est publiée en un temps record au lendemain de la visite de la favorite des sondages de droite (Les Républicains) en France, Valérie Pécresse, à Alger, simple savonnage de planche franco-français ?

Peu importe… Sortons des procès d’intention et regardons un tant soit peu le travail de Jean Nouvel, à commencer par l’Institut du Monde Arabe (avec Architecture Studio). Certains retiennent les moucharabiehs qui n’ont pas fonctionné un certain temps et réparés depuis. Certes, mais c’est oublier l’essentiel, à savoir la justesse du plan de masse avec l’inscription dans la continuité du Boulevard Saint Germain et le site de Jussieu, où l’implantation du bâtiment et la place attenante permet de transformer le no man’s land existant à l’époque en un morceau de ville intégré au quartier ainsi qu’un succès de fréquentation qui ne se dément pas depuis son ouverture en 1987.

Il faut voir comment l’implantation de la Fondation Cartier, boulevard Raspail où l’obligation du retrait par rapport à l’alignement de la rue, due à la présence du Cèdre du Liban (planté par Chateaubriand selon la légende) est contournée par cette double paroi en verre, assurant continuité urbaine et protection des espaces d’exposition.

Idem pour la perception cinématique de la Philharmonie, qui constitue l’une des plus belles émergences architecturales du paysage parisien depuis le périphérique avec le grand tribunal de l’agence Renzo Piano.

Ce génie du lieu, rare, peut se révéler vital dans le contexte de la Casbah et son parcellaire. Jean Nouvel le partage avec l’architecte algérien Roland Simounet (le concepteur du musée Picasso à Paris, natif de Ain Bénian).

Il y a comme une filiation dans cette perception du site et des parcours, avec une sensibilité toute méditerranéenne. Cependant, pour bien répondre à la problématique qui est posée à cet architecte, encore faut-il poser la bonne question. C’est en cela que se situe la responsabilité du wali d’Alger, monsieur Abdelkader Zoukh, à savoir se doter d’un programme clair porté par une maîtrise d’ouvrage vigilante et exigeante, entourée d’une expertise de haut niveau en assistance maîtrise d’ouvrage, apte à porter un regard critique et constructif aux propositions des ateliers Jean Nouvel. Son rôle est de rendre atteignables, au regard des contraintes algériennes, les objectifs fixés par la wilaya d’Alger.

Alger a besoin d’une vision forte. Restaurer son patrimoine et réinventer sa baie ne peut être que la résultante de ce travail commun. À cette échelle, seules les œuvres collectives réussissent.

Enfin, Alger a toujours été une terre d’accueil et de tolérance de toutes les audaces. Elle en garde la mémoire. Fernand Pouillon, comme Oscar Niemeyer, Jean Deluz, André Ravereau, Abderahmane El Minyawi et tant d’autres y ont réalisé ou projeté des œuvres remarquables.

L’architecture est un art et l’art n’a pas de frontières et encore moins de nationalité. L’opportunité est là ! Osons la saisir, ce serait notre plus belle réponse !


*Djaffar Lesbet, enfant de la Casbah et Nadir Tazdait, architecte

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