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La planche à billets en chiffres : qui va contrôler quoi ?

La planche à billets en chiffres : qui va contrôler quoi ?

Dés son annonce en septembre dernier, le recours à la planche à billets avait suscité deux types d’interrogations principales. Les premières concernaient le contrôle du mécanisme mis en place.

Les secondes étaient relatives aux montants financiers concernés par cette opération.

Chemin faisant, le dispositif se précise et quelques réponses sont désormais disponibles à ces différentes interrogations même s’il subsiste encore quelques zones d’ombre.

La question n’est pas anecdotique puisqu’il s’agit, si on en juge par les décisions les plus récentes, de l’encadrement financier et institutionnel d’une partie significative de l’activité économique du pays au cours des 5 prochaines années.

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Contrôle indépendant ou fonctionnement en « circuit fermé » ?

Très logiquement, les interventions d’experts ou de parlementaires réclamaient dès l’automne dernier à la fois la plus grande transparence et un contrôle sur ce dispositif d’exception.

Alexandre Kateb avait été l’un des premiers à réagir et résumait les principales attentes : « Il faudra expliciter le mécanisme de suivi et de pilotage de cette trajectoire de redressement budgétaire, qui ne pourra pas être réalisé en circuit fermé au sein de l’administration, et qui devra rendre compte devant le Parlement et devant les citoyens dans leur ensemble, à travers une communication semestrielle, voire trimestrielle », commentait cet ancien membre de la task-force de Abdelmalek Sellal.

Dans le même esprit, à l’occasion du débat sur l’adoption de la loi sur le financement non conventionnel à l’APN, Aouamar Saoudi, député RCD, avait demandé que « le Parlement ait les moyens d’en discuter chaque année ».

En réponse à ces questionnements, le premier ministre Ahmed Ouyahia avait annoncé jeudi 21 septembre, devant l’APN, la création « d’une instance indépendante » qui sera chargée du contrôle du processus de financement interne non conventionnel.

« Cette instance sera instituée par voie d’un décret qui sera signé par le président de la République. Elle présentera au chef de l’État un rapport chaque trois mois sur l’évaluation de ce qui a été réalisé », avait  précisé M. Ouyahia.

De son côté, devant la commission des finances et du budget de l’APN, Abderrahmane Raouya, ministre des Finances, avait parlé plus modestement de la création d’une « cellule » au niveau de son département pour le contrôle de la mise en œuvre du processus de financement non conventionnel.

Contrôle parlementaire, contrôle par une instance « indépendante » ou fonctionnement en « circuit fermé » au sein de l’administration ? La réponse est venue la semaine dernière.

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La Banque d’Algérie en cheville ouvrière

Publié voici quelques jours au Journal officiel, « le mécanisme de suivi des mesures et réformes structurelles dans le cadre de la mise en œuvre du financement non conventionnel » a été fixé par décret exécutif.

Il précise essentiellement que « la Banque d’Algérie est chargée d’assurer le suivi et l’évaluation de l’exécution des mesures et actions prévues par un programme portant plusieurs réformes ».

La Banque d’Algérie « s’appuie sur un comité composé de ses représentants et ceux du ministère des finances », précise le décret.

Ce comité est chargé de « proposer au ministre des Finances et de faire adopter le niveau de recours au financement non conventionnel et le programme prévisionnel d’émission des titres d’État qui en résulte, et d’assurer le suivi de la réalisation des mesures et des actions contenues dans le programme ».

On est donc assez clairement dans le mécanisme en circuit fermé au sein de l’administration évoqué dès le départ par beaucoup d’experts.

Exit le contrôle parlementaire réclamé par certains, même si, à l’APN, Ahmed Ouyahia avait rappelé que « les députés peuvent à tout moment demander la venue du ministre des Finances ou du Gouverneur de la Banque d’Algérie pour rendre compte de la mise en œuvre du processus de financement non conventionnel ».

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Contrôle présidentiel et « instance indépendante »

La fonction de contrôle du dispositif n’est cependant pas évacuée complètement mais se retrouve en réalité transférée à la présidence de la République.

En septembre déjà, Ahmed Ouyahia avait annoncé la création d’« une instance indépendante placée sous la tutelle du président Bouteflika et chargée du contrôle de la mise en œuvre du plan d’action du gouvernement et du processus de financement non conventionnel ».

Le décret publié la semaine dernière n’évoque aucune instance indépendante mais précise cependant qu’« un rapport semestriel sur la réalisation des engagements financiers et monétaires et des actions et mesures est adressé par le Gouverneur de la Banque d’Algérie au président de la République ».

Le sort qui sera réservé à ces rapports demeure donc une zone d’ombre mais on sait néanmoins qu’ils porteront d’une part sur les engagements au titre du financement non conventionnel qui pourront donc théoriquement faire l’objet d’un arbitrage présidentiel s’appuyant ou non sur la contribution d’une « instance indépendante ».

À propos du contenu de ces rapports semestriels adressés à la présidence de la République, le décret publié la semaine dernière insiste en réalité surtout sur la contrepartie du financement non conventionnel.

Elle est constituée par une liste impressionnante de réformes de l’économie algérienne dont une sorte de calendrier indicatif précise les étapes au cours des prochaines années.

La Banque d’Algérie est curieusement chargée d’en faire le recensement et d’en dresser un état d’avancement périodique.

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L’enjeu de la transparence : des signaux positifs  

L’absence de « contrôle » du financement non conventionnel extérieur à l’Exécutif n’est cependant pas nécessairement synonyme d’absence de transparence.

Dans ce domaine, la Banque d’Algérie semble avoir envoyé récemment un signal clair. Au début du mois de mars, les statistiques mensuelles de la Banque centrale, publiées au Journal officiel, révélaient pour la première fois qu’un financement de 2.185 milliards de dinars, soit l’équivalent de plus de 19 milliards de dollars, avait été mis en œuvre par la Banque d’Algérie au profit du Trésor public à la date du 30 novembre 2017.

« La Banque d’Algérie a tenu à créer un sous compte au sein de ses statistiques monétaires dans le but de clairement identifier et mesurer les opérations de financement non conventionnel », indiquaient nos sources. Une précision qui suggère qu’on pourra donc suivre « en direct » au cours des prochains mois et des prochaines années les montants alloués au dispositif de financement non conventionnel.

Une information d’ailleurs confirmée dès octobre dernier par M. Raouya, qui avait  annoncé devant la Commission des Finances de l’APN l’élaboration « d’un bilan annuel » sur l’utilisation de l’argent de la planche à billets. Un bilan qui ne devrait probablement pas être présenté avant la fin de l’année 2018.

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En revanche et compte tenu des pratiques courantes au sein de l’Exécutif, il y a peu de chances de voir rendus publics les rapports semestriels qui seront adressés par la Banque d’Algérie à la présidence de la République.

La planche à billets : combien ça va coûter ?

Le deuxième questionnement important formulé à l’automne dernier concernait les montants financiers concernés par le recours à la planche à billets.

Combien ce dispositif d’exception va-t-il coûter en fin de compte ? On en sait un peu plus depuis quelques semaines.

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Ouyahia avait donné à l’automne dernier quelques indications. Dans ce qui peut être considéré comme une estimation maximale, le Premier ministre n’avait  pas hésité à évaluer à environ « 20 milliards de dollars par an pendant quatre à cinq ans » les besoins en financements de l’État pour combler le déficit budgétaire, payer les créances de plusieurs entreprises publiques, renflouer les banques qui manquent d’argent et relancer certains projets.

Pour calmer les inquiétudes que pourrait provoquer l’évocation d’une utilisation aussi massive de la planche à billets, Ahmed Ouyahia avait ajouté que le niveau actuel de la dette interne dans notre pays, qui ne dépasse pas 20% du PIB, nous laisse encore des marges de manœuvre importantes par rapport à beaucoup de pays voisins où il atteint couramment 70% du PIB .

Les informations livrées plus récemment par la Banque d’Algérie et le ministère des Finances permettent de disposer d’une évaluation plus précise au moins sur la période de démarrage du dispositif.

Au sujet du premier financement de 2.185 milliards de dinars mis en œuvre par la Banque d’Algérie au profit du Trésor public à la date du 30 novembre 2017, on sait que seule une partie du montant annoncé, soit 570 milliards de dinars, a été consacrée au financement du déficit budgétaire.

Le reste pour l’essentiel a servi à éponger la dette du Trésor public vis-à-vis des entreprises publiques Sonatrach et Sonelgaz ainsi que, de façon plus modeste, à augmenter la dotation du Fonds National d’Investissement.

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Priorité au financement du déficit budgétaire en 2018

Après ce démarrage en trombe, à quoi faut-il désormais s’attendre dans ce domaine pour 2018 ? les indications dont nous disposons suggèrent que pour l’année en cours, le gros du financement non conventionnel devrait être réservé au déficit budgétaire et pourrait atteindre, selon des chiffres déjà communiqués par le ministère de Finances, un peu plus de 1.800 milliards de dinars.

À propos du déficit budgétaire, les besoins en financement ont été estimés précisément, selon M. Raouya, à 570 milliards de dinars en 2017, 1.815 milliards de dinars en 2018 et 580 milliards de dinars en 2019.

À partir de l’année 2020, « le Trésor public ne devrait pas recourir à une quelconque forme de financement en raison du faible déficit devant être enregistré ».

Sur l’ensemble de la période 2017 – 2019, c’est donc près de 3.000 milliards de dinars (environ 26 milliards de dollars) qui devraient être fournis par la Banque d’Algérie pour financer le seul déficit budgétaire.

Ce dernier montant ne préjuge pas de ce que seront au cours des prochaines années les financements dégagés au titre du remboursement des dettes des grandes entreprises publiques du secteur de l’énergie. En guise d’indication, un ancien PDG de Sonelgaz et ancien ministre de l’Énergie, Noureddine Bouterfa, avait affirmé que la dette de Sonelgaz auprès des banques s’élevait à 2.000 milliards DA.

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Le FMI s’invite au débat 

Le Fonds monétaire international s’est invité au débat la semaine dernière par la voix du chef de la mission dépêchée à Alger .

Jean-François Dauphin a estimé en conférence de presse que « les expériences internationales montrent que le financement monétaire du déficit budgétaire entraîne un risque d’accélération de l’inflation ».

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Si l’État est forcé d’y recourir, « il convient de limiter les montants empruntés et la durée de l’endettement ».

Il  a ajouté que, dans une telle situation, « la Banque centrale doit jouer son rôle de garant de la stabilité des prix en réabsorbant une partie de la liquidité créée par le financement monétaire ».

Le ministre des Finances Abderrahmane Raouya avait exposé la position du gouvernement algérien et répondu par anticipation à ces préoccupations en assurant à l’occasion du débat sur la loi de finance 2018 que le financement non conventionnel « n’est pas une porte ouverte à toutes les dérives ».

Il ajoutait que le chiffre annoncé au titre de 2018 était un maximum qu’il ne serait pas souhaitable d’atteindre. « Nous travaillons dur et nous essayons par tous les moyens de réduire le montant de 1.800 milliards de dinars », avait-il assuré.

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