Économie

L’Algérie a-t-elle besoin du Qatar pour produire du lait ?

L’Algérie a-t-elle vraiment besoin du Qatar pour produire du lait, un produit qu’elle importe massivement en forme de poudre ? Le savoir-faire existe en partie en Algérie au niveau des équipes d’ingénieurs qui managent les fermes locales de 1.000 vaches.

Fin janvier, à Metarfa (M’sila), le wali a visité une ferme de 1.000 vaches. Avec Hodna-Lait, M’sila dispose aujourd’hui d’une deuxième ferme de grande taille.

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Avec la maîtrise acquise en la matière, l’Algérie a-t-elle besoin de l’expertise présumée du Qatar pour produire du lait dans des fermes de 10.000 vaches ?

En novembre dernier, à Alger, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural a reçu Piet Hilarides, l’expert néerlandais qui dirige la ferme qatari Baladna. Une visite qui s’inscrit dans le cadre d’un éventuel projet d’installation d’une ferme de 10.000 vaches dans la wilaya d’El Bayadh.

Les discussions vont bon train et lors de la dernière foire de la production nationale, le chef de l’Etat a évoqué le sujet et a même suggéré à la Laiterie Soummam de se joindre au projet.

Une ferme de 1.000 vaches à Metarfa

La Laiterie Soummam n’est pas le seul « poids lourd » de la filière lait en Algérie, il faut compter également Danone Djurdjura et le pôle laitier de Ghardaïa. M’sila se distingue cependant par son dynamisme. La ferme qu’a visitée le wali comprend une centaine d’hectares et dispose d’un cheptel de 1.100 bovins dont 750 vaches laitières. Des vaches qui produisent jusqu’à 15 000 litres de lait par jour.

Pour l’occasion, en ce temps hivernal, le wali avait troqué le costume pour une traditionnelle kachabia. Il a longuement arpenté les allées de l’exploitation en écoutant les explications du staff technique.

Une ferme où sont utilisés des moyens modernes : abreuvoirs automatiques, insémination artificielle, échographie afin d’optimiser la reproduction, alimentation équilibrée des vaches en production, pépinière de génisses, salle de traite performante.

L’équipe technique n’a pas attendu les instructions des services agricoles pour assurer l’identification des animaux. Chacun d’entre eux possède une boucle d’identification permettant un suivi personnalisé. Afin de réduire l’intervalle entre deux vêlages, après insémination artificielle, l’état des vaches est suivi par échographie. Une technique mise en œuvre durant la visite grâce à un matériel portable.

Hodna-Lait, de l’étable à la laiterie

La ferme de Hodna-Lait située dans la commune de M’sila, a également eu l’occasion de recevoir le wali. Dans cette exploitation élevant des Montbéliardes et des Holstein, la particularité tient tant au gigantisme de l’exploitation qu’aux techniques employées : vastes bâtiments en plein air avec future installation de brumisateurs. « Il fait 40°C en été, nous voulons baisser cette température », indique un cadre technique.

Cette ferme de 1.000 vaches dispose de plusieurs bassins d’eau d’une contenance de 100.000 à 200.000 m3 et de pivots permettant l’irrigation des fourrages.

Ici, les vaches sont également identifiées par des boucles à l’oreille. Un ingénieur s’adressant au wali : « Vous voyez cette vache, elle porte la boucle 523. Nous connaissons tout son historique : date d’insémination et de vêlage ».

Les vaches reçoivent une alimentation adaptée selon leur état ; les vaches proches du vêlage sont regroupées et reçoivent une ration enrichie. Quant aux veaux et aux génisses, un suivi individualisé permet de réduire le taux de mortalité.

Le fumier produit par l’exploitation devrait servir à produire du biogaz puis de l’électricité grâce à un méthaniseur de 2.000 m3. Une première en Algérie. Le digestat restant devrait être épandu sur les champs comme amendement biologique afin d’améliorer la fertilité des champs.

Hodna-Lait, conditionnement UHT et Tétra Pack

Hodna-Lait a été l’une des premières laiteries en Algérie à disposer dès 2008 d’une chaîne de conditionnement de lait UHT sous forme de briques Tetra Pack. Quatre années plus tard, deux autres ont suivi.

Ce qui fera dire à Thomas Adner, directeur général de Tetra Pak Maghreb le jour de l’inauguration : « Hodna Lait est un partenaire stratégique de Tetra Pak en Algérie », ajoutant que « c’est un partenaire de confiance, connu et aimé des Algériens, qui jouera un rôle clé dans le développement de l’industrie laitière en Algérie. »

Pour son approvisionnement, la laiterie peut compter également sur la collecte dans 7 wilayas voisines. Comme pour la Laiterie Soummam ou Danone Djurdjura, la stratégie a été d’aider les éleveurs à acquérir des vaches importées en permettant des remboursements par des versements en lait.

Une stratégie certes parfois mise à mal par la vente informelle de lait par les éleveurs pendant le mois de ramadan ou par la récente sécheresse qui a fait flamber le cours des fourrages.

Baladna (Qatar) : une ferme gérée par des ingénieurs étrangers

L’expertise présumée du Qatar en matière de production de lait repose sur la réalisation de la ferme Baladna. Une ferme créée ex-nihilo en 2018 à la suite de la fermeture des frontières avec l’Arabie saoudite.

Un mois à peine après le début du blocus, le Qatar recevait par avion un premier lot de 165 vaches de race Holstein en provenance de Hongrie et recrutait un staff composé d’experts étrangers de haut niveau.

Baladna reste dirigée par des Néerlandais et des Irlandais. La ferme ne dispose que de 240 hectares dans une région où il ne tombe que 100 mm de pluie par an.

Sa force est de pouvoir disposer de la luzerne et des aliments concentrés en provenance du Soudan où le Fonds Qatari Hassad Food dispose d’immenses concessions agricoles totalisant plus de 100.000 hectares irrigués par les eaux du Nil.

Des concessions financées par un fonds créé en 2008 et doté d’un capital d’un milliard de dollars afin d’assurer la sécurité alimentaire de l’émirat.

Pour lutter contre la chaleur du désert, les étables comportent d’énormes ventilateurs et des brumisateurs. Quant aux vaches, elles sont automatiquement douchées durant la traite.

Reproduire en Algérie le modèle de la ferme qatarie Baladna suppose de réunir deux conditions : disposer de spécialistes en élevage et de larges disponibilités en eau afin de produire les énormes quantités de fourrages requises pour alimenter les animaux.

Fermes de 1.000 vaches : compétences algériennes ou « expertise » qatarie ?

L’exemple des 2 fermes de 1.000 vaches situées à M’sila et celles gérées par Laiterie Soummam montre que la première condition est pratiquement remplie. Quant à la seconde condition, c’est-à-dire la disponibilité en eau, le fonctionnement des 2 fermes de M’sila montre une forte exploitation des eaux souterraines.

Après l’étape du ministère de l’Agriculture, le Néerlandais Piet Hilarides a visité Brezina à El Bayadh, localisation possible de l’éventuel projet de méga-ferme de 10.000 vaches. L’Algérie ne disposant pas des eaux du Nil, un tel projet repose sur la nécessaire disponibilité d’eau à Brezina. La possibilité d’un tel projet ne pourra venir qu’après avis d’experts en hydraulique.

En définitive, l’intérêt d’un éventuel partenariat avec le Qatar est plus à considérer sous l’angle de l’apport de financement dans le cadre de l’investissement direct étranger (IDE) que d’un réel savoir-faire qatari.

En effet, le savoir-faire existe en partie en Algérie au niveau des équipes d’ingénieurs qui managent les fermes locales de 1.000 vaches. Quant au conditionnement du lait, avec sa maîtrise du procédé UHT en brique Tetra Pack, la laiterie Hodna-Lait montre le chemin à suivre.

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