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L’Algérie découvre les ravages des fake news

L’Algérie découvre les ravages des fake news

Le hasard fait parfois étrangement les choses. Au moment même où le débat s’enclenchait sur cette énième tentative des autorités de rendre la vie encore plus dure aux entreprises de presse via la limitation des dépenses publicitaires des entreprises économiques (disposition contenue dans l’avant-projet de Loi de finances 2019), une succession de fausses nouvelles fortement déstabilisatrices est venue rappeler au gouvernement qu’il fait fausse route dans son obsession d’affaiblir les médias nationaux dans un contexte où l’information peut s’avérer une arme décisive face aux défis internes et externes. Une occasion peut-être de recadrer le débat et de comprendre définitivement que les priorités sont ailleurs.

C’était mercredi 29 août. Les différentes chaînes de télévision privées rapportaient simultanément la détresse des agriculteurs, notamment les producteurs de pastèques, melons et autres fruits de saison, qui ont vu leurs produits boudés par les consommateurs suite à des rumeurs colportées sur les réseaux sociaux et incriminant les fruits dans l’apparition de l’épidémie du choléra.

À la mi-journée, les mêmes canaux attribuent à Algérie Télécom un communiqué annonçant une coupure totale d’Internet à travers tout le pays pour la journée de jeudi 30 août. En fin, en début de soirée, un habile montage sur Facebook fait annoncer par la chaîne de télévision Ennahar le décès du chef de l’État, évacué deux jours plutôt en Suisse pour des contrôles médicaux.

Algérie Télécom a remis les choses à leur endroit en démentant toute coupure, la chaîne de télévision a décidé de porter plainte mais le tort subi par les producteurs et vendeurs de pastèques est irréversible. Des professionnels de l’agriculture et de la distribution qui ont investi et trimé toute une année peuvent se retrouver ruinés par le fait de quelques lignes rédigées par un anonyme confortablement installé derrière son clavier.

Bienvenue dans l’ère des fake news. Un phénomène qui n’épargne aucun pays et auquel on attribue, à raison sans doute, de nombreux bouleversements survenus sur la scène mondiale ces deux dernières années, comme le divorce entre la Grande-Bretagne et l’Europe (Brexit) ou même l’élection à la tête des États-Unis de Donald Trump, un ancien animateur d’une émission de télé-réalité.

Traduire ce néologisme anglais par fausse nouvelle n’est pas tout à fait exact. Le mot fake signifie en fait « truqué », ce qui sous-entend une action délibérée d’induire en erreur. Les trois informations citées plus haut sont en effet habilement truquées, de manière à leur conférer une certaine crédibilité, donc une grande capacité de nuisance.

C’est le cas par exemple de celle annonçant le décès du président. Elle a été attribuée à la chaîne Ennahar, un média par le biais duquel sont habituellement annoncées les décisions et autres informations que la présidence de la République juge inopportun de faire passer par l’agence officielle.

De même que la supposée coupure généralisée d’Internet, annoncée via un communiqué tout ce qu’il y a de plus conforme à ce que diffuse régulièrement l’opérateur. Pour ne pas dire du professionnel, cela sent au moins la touche de l’habitué et rien n’exclut une action concertée au vu de la simultanéité de la diffusion des « bobards ».

La déstabilisation de la société et des institutions de l’État est à la portée d’anonymes, parfois de simples adolescents. Que faut-il faire alors ? À défaut de répondre à la question, qui divise du reste spécialistes et politiques de par le monde entre partisans d’une démarche répressive et ceux qui refusent de sacrifier la sacralité de la liberté d’expression, il reste à se demander comment est-on arrivé là.

Certes, les fake news n’épargnent aucun pays, même les plus avancés et les mieux outillés technologiquement, mais en Algérie la faiblesse en termes d’audience, de moyens et de crédibilité des médias traditionnels ainsi que la défaillance de la communication officielle constituent un facteur supplémentaire de vulnérabilité.

Dans l’affaire du choléra par exemple, ce sont les tâtonnements des responsables au tout début de l’épidémie qui ont donné matière à spéculer aux réseaux sociaux. On a parlé d’eau de robinet, de pastèque, de sources polluées avant même d’entamer les analyses d’usage. Plus d’une fois, on a assisté à des contradictions publiques entre hauts responsables de l’État, parfois entre le Premier ministre et des membres de son gouvernement, comme ce fut le cas sur la question de la révision des subventions publiques.

Quant aux médias traditionnels, identifiés et soumis aux exigences de la déontologie journalistique, dont le fact cheking (vérification de l’information avant de la diffuser), et donc censés être une source de validation de l’information dans pareilles situations, leur impact est fortement limité par le manque de crédibilité que traînent de nombreux titres, devenus des caisses de résonance pour les thèses officielles et des réceptacles de la publicité étatique- pas tous heureusement. Même ceux qui ont fait le choix difficile de continuer à s’adonner à leur mission première, c’est-à-dire celle d’informer, n’ont pas les moyens de le faire correctement. Pire : parfois, les fake news sont relayées et amplifiées par les médias traditionnels, leur donnant ainsi du crédit.

Le pouvoir a sans doute commis une erreur stratégique en faisant le choix délibéré d’affaiblir la presse indépendante. Paradoxalement, personne n’a songé à priver les supports des fake news dévastatrices, Google et Facebook, de la manne publicitaire des entreprises algériennes…

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