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Le gouvernement relance le « TGV » des dépenses publiques

Le gouvernement relance le « TGV » des dépenses publiques

Le projet de Loi de finances pour 2018 a été présenté, dimanche 12 novembre, aux députés par le ministre des Finances et fera l’objet de débats à l’APN tout au long de cette semaine. La principale caractéristique du texte élaboré cette année par le gouvernement est une croissance exceptionnelle des dépenses publiques.

L’une des premières décisions du gouvernement dirigé par Ahmed Ouyahia, et certainement la plus importante, a donc  été de remettre en cause la trajectoire budgétaire 2016- 2019, adoptée l’année dernière par le Conseil des ministres et approuvée par le Parlement. Elle prévoyait un plafonnement des dépenses pendant une période de trois ans dans le but de restaurer l’équilibre des finances publiques qui accusent un déficit d’un montant considérable.

Cette démarche « vertueuse » de réduction des dépenses publiques a été globalement respectée en 2016 et en 2017. Les informations disponibles sur le site du ministère des Finances (DGPP) indiquent en effet que les dépenses effectuées dans le cadre de l’exécution du budget de l’État sont passées d’un sommet historique de 7.656 milliards de dinars en 2015 à 7.297 milliards en 2016 avant de décliner de nouveau suivant les prévisions de clôture à près de 7.000 milliards de DA en 2017.

L’explosion des dépenses comme méthode de gouvernement

Ahmed Ouyahia bénéficie paradoxalement de la réputation flatteuse d’un  gestionnaire rigoureux. Une réputation qui semble assez loin d’être justifiée si on s’en tient au simple examen des faits. Au cours de la décennie écoulée, le passage de M. Ouyahia aux affaires s’est en effet traduit le plus souvent par une explosion des dépenses publiques. On peut même considérer sans aucune exagération que l’actuel Premier ministre semble ériger, avec constance, l’augmentation, dans des proportions considérables, des dépenses de l’État en méthode de gouvernement

Son premier retour au gouvernement entre juin 2008 et septembre 2012 s’était déjà traduit par une série ininterrompue d’augmentations très sensibles des dépenses. Dès l’année 2008, le Fonds de régulation des recettes (FRR), qui accueillait l’épargne constituée par l’État depuis le début des années 2000, a été utilisé pour combler un déficit budgétaire structurel qui s’est aggravé dans le temps, en raison de l’amplification des dépenses d’équipement.

À partir de 2011, l’accroissement des dépenses publiques a pris des proportions encore plus importantes dans le contexte géopolitique et social troublé par des événements du « printemps arabe ». Cette nouvelle fièvre dépensière de l’État avait été marquée cette fois par une montée en flèche des dépenses de fonctionnement (dépenses salariales, subventions et autres transferts sociaux), qui ont provoqué les premières ponctions nettes sur le FRR (les nouveaux prélèvements dépassant les nouvelles ressources de ce fonds), même avec un prix du baril de pétrole supérieur à 100 dollars.

Les gouvernements successifs dirigés par M. Ouyahia ont ainsi cédé à un « effet de richesse » créé par le gonflement des réserves financières du FRR  en faisant le pari que le prix du pétrole resterait durablement au-dessus de 100 dollars le baril. Un phénomène de myopie budgétaire qui a conduit à une utilisation disproportionnée et imprudente des ressources issues de la rente pétrolière.

L’économiste Alexandre Kateb commentait récemment les conséquences de ce laxisme budgétaire : « L’impasse financière et budgétaire dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Algérie n’est pas liée uniquement aux conséquences directes de la crise pétrolière. L’absence de programmation budgétaire pluriannuelle – jusqu’à l’adoption tardive de la feuille de route budgétaire 2016-2019 en juillet 2016 -, et l’absence d’évaluation périodique de l’efficacité et de l’efficience des dépenses d’équipement engagées, ainsi que le creusement imprudent d’un déficit structurel conséquent – hors recettes des hydrocarbures -, atteignant jusqu’à -38% du PIB hors hydrocarbures en 2014 (cet indicateur technique est très souvent utilisé dans les pays exportateurs de pétrole), sont autant de facteurs qui ont précipité la crise des finances publiques ».

En 2018, les dépenses de l’État vont augmenter de près d’un quart

Pour son retour au palais du gouvernement, Ahmed Ouyahia ne semble pas avoir perdu ses « bonnes » habitudes dépensières. Dès le 17 septembre, il a rassuré les Algériens que ses propres déclarations sur la situation des finances publiques avaient plongé dans le doute.

Son message était clair : il n’y a aucune inquiétude à avoir, le gouvernement a trouvé la parade à la crise . Elle s’appelle par euphémisme « le financement non conventionnel ». En réalité, il s’agit de recourir à la planche à billets pour financer les dépenses de l’État qui vont de nouveau augmenter globalement de presque un quart à partir de l’année prochaine.

Le Premier ministre a bien pris soin de n’oublier personne. Les bénéficiaires de transferts sociaux peuvent se tranquilliser, on ne touchera pas aux subventions généralisées qui profitent actuellement à tout le monde, y compris les plus aisés. « L’ensemble des subventions en place sur les produits de base demeureront en vigueur » tandis que « le niveau des transferts sociaux restera au niveau inchangé de 23% du PIB en 2018 », avec à la clé un programme colossal de 1,6 million de nouveaux logements à livrer d’ici 2019.

Les salaires des fonctionnaires, bien sûr, sont garantis et il y aura même, nous dit-on, près de 15.000 nouveaux recrutements dans la fonction publique. Concernant les retraités, Ahmed Ouyahia promet que, l’année prochaine, l’État va accroître sensiblement sa contribution au Fonds national des retraites qui assure déjà près d’un quart des dépenses de la Caisse nationale des retraites (CNR).

La loi de finances 2018 prévoit également une contribution exceptionnelle et colossale de plus de 500 milliards de dinars destinée à équilibrer les comptes de la Cnas.

Pas de souci non plus du côté des entreprises publiques, Sonatrach et Sonelgaz en tête, qui seront même les principales bénéficiaires du nouveau dispositif en récupérant leurs créances en souffrance depuis plusieurs années. Ces deux groupes attendent des remboursements de respectivement 9 milliards et 6 milliards de dollars, soit un total de 15 milliards de dollars. Peut-être même davantage puisque, pour Sonatrach, le ministre des Finances a même évoqué, hier 12 novembre, un chiffre de 900 milliards de dinars, donc près de 8 milliards de dollars .

Bonne nouvelle aussi pour les entreprises privées qui ont des contrats avec l’État. C’est Ali Haddad qui l’a annoncé le premier : « L’État va pouvoir payer ses arriérés » qui avaient plongé beaucoup d’entreprises, dépendantes de la commande publique, dans des difficultés de trésorerie inextricables. Information confirmée par la Loi de finances qui prévoit 400 milliards de dinars consacrés aux arriérés de paiements dus aux entreprises clientes de l’État.

Une économie encore plus dépendante du budget de l’État

La très forte relance des dépenses annoncée pour 2018 va renforcer la dépendance de l’ensemble de l’économie algérienne à l’égard du  budget de l’État en prenant le contre-pied de la tendance que tentait d’imprimer les décisions prises en 2016 dans le cadre du « nouveau modèle économique de croissance » dont continue pourtant de se réclamer le gouvernement Ouyahia .

Dans une contribution publiée vendredi par TSA, l’économiste Nour Meddahi tente de mesurer en chiffres ce retournement de stratégie du gouvernement algérien. : «  La LF 2017 avait été courageuse en limitant les dépenses à 6.880 mds DA pour 2017 (35,5% du PIB) et en prévision 6.800 mds DA pour 2018 (32,5% du PIB) et 2019 (30,1% du PIB). La LF 2018 a pris un virage à 180 degrés en portant les dépenses de 2018 à 8.628 mds DA (41,3% du PIB) »

Bien sûr, le gouvernement promet de revenir à plus de modération dès l’année prochaine. C’est même un engagement pris par le président Boutéflika lui-même. Se référant à l’augmentation substantielle du budget d’équipement pour 2018, le chef de l’État a relevé, selon les termes du communiqué du dernier Conseil des ministres : « Cette situation dictée par des circonstances objectives devra être une exception, et que l’acheminement graduel vers l’équilibre des finances publiques devra être reflété dès l’année prochaine, à travers une baisse du budget de l’État qui sera inscrit dans le projet de Loi de finances pour 2019 ».

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