Politique

Opération « mains propres » : les groupes étrangers et les barons de l’informel épargnés

La lutte contre la corruption ne connait pas de répit en Algérie. Jeudi, l’ex-wali de Tipaza a été incarcéré et l’ancien ministre de la Santé Abdelmalek Boudiaf a été placé sous contrôle judiciaire. Depuis le lancement de l’opération « mains propres » au lendemain de la chute du président Bouteflika le 2 avril dernier, la moisson est impressionnante.

Deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, plusieurs anciens ministres, des PDG de banques publiques et des patrons de grandes entreprises privées à capitaux algériens sont tombés. Ils sont incarcérés à la prison d’El Harrach, et attendent leur procès, même si le pouvoir politique les a déjà condamnés, en les désignant comme les membres de la « Issaba » (gang) qui a dilapidé les richesses du pays sous le règne de Bouteflika.

D’autres figures du régime de Bouteflika devraient sans doute les rejoindre, dans les prochains jours. A en croire les déclarations officielles, la guerre contre la « Issaba » et ses relais financiers n’est pas encore achevée. La liste des « corrompus » n’est pas encore close, eu égard à l’ampleur prise par ce phénomène durant les 20 ans de règne de Bouteflika.

Jeudi, le ministre de la Justice Belkacem Zaghmati a assuré que la justice est aujourd’hui déterminée à lutter contre la corruption par l’application rigoureuse de la loi « en toute transparence, indépendance et neutralité et dans le strict respect des règles d’un procès équitable ».

M. Zaghmati a ajouté que l’institution judiciaire « s’acquitte de ses missions constitutionnelles dans le respect des lois de la République en tant que garante des libertés et droits fondamentaux de tout un chacun sans aucune exclusive ni considération conjoncturelle ou personnelle, car notre magistrature nationale n’a d’autre objectif, dans l’Etat de droit, que de consacrer la justice et le droit ».

Comprendre : la lutte anticorruption n’épargnera personne. Mais le discours de fermeté du pouvoir cache mal une faille béante dans l’opération « mains propres ».

Plus de quatre mois après son lancement, le constat est en effet frappant : en plus des hommes politiques, seuls des patrons algériens sont tombés. Ils sont poursuivis notamment pour corruption, blanchiment d’argent, transfert illicite de capitaux vers l’étranger.

La faille dans l’opération « mains propres » réside dans le fait qu’elle ne cible, pour le moment, que des entreprises privées algériennes. Mais curieusement, aucune entreprise étrangère n’est inquiétée.

Pourtant, les étrangers ne sont pas exempts de tout reproche, notamment sur la question des surfacturations et des transferts illicites de devises. La surfacturation des importations et le transfert illicite de devises n’est pas le « monopole » des patrons nationaux.

Bien au contraire : la loi algérienne interdisant le transfert des dividendes pour les entreprises à capitaux étrangers activant dans l’achat-revente, de nombreuses filiales algériennes des groupes utilisent la surfacturation pour transférer les devises et contourner cette règle. D’autres utilisent ce système afin de garder leurs bénéfices dans leur pays d’origine, et éviter les difficultés liées à la rigide réglementation algérienne sur le change.

Selon nos sources, les services fiscaux ont à plusieurs reprises réalisé des enquêtes sur le transfert illicite des devises au sein des filiales algériennes des groupes étrangers. Plusieurs entreprises étrangères ont fait l’objet d’importants redressements sur ce volet. Mais, contrairement aux entreprises algériennes, aucune suite pénale n’a été donnée à ces redressements.

A plusieurs reprises, le gouvernement a dû prendre des mesures dans les lois de finances pour lutter contre le phénomène de la surfacturation, outil utilisé par les étrangers, dans l’optimisation fiscale, une pratique courante chez les multinationales, partout dans le monde.

Outre les étrangers qui sont épargnés pour le moment, sans doute par crainte de représailles de la part des puissances étrangères, la « chasse aux corrompus » dispense aussi les barons de l’informel, dans un pays où le marché noir représente une bonne partie de l’économie nationale.

Illustration de cette situation : le marché parallèle de la devise continue de prospérer à quelques mètres seulement du célèbre tribunal de Sidi M’hamed.

Les plus lus