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Projet de gazoduc maroco-nigérian : l’Algérie est-elle condamnée à regarder éternellement les trains passer ?

Projet de gazoduc maroco-nigérian : l’Algérie est-elle condamnée à regarder éternellement les trains passer ?

Présidence du Nigeria

CONTRIBUTION. La presse nationale a rapporté ces derniers jours une information de la plus haute importance, pourtant passée presque inaperçue en raison, notamment, des remous soulevés par les couacs et les scandales des dernières élections législatives. Il s’agit de la signature, le 15 de ce mois à Rabat, d’un accord pour le lancement du projet d’un gazoduc offshore géant longeant la côte ouest-africaine entre le Nigéria et le Maroc et aboutissant en Espagne.

Cet ouvrage pharaonique, long de 5.000 km, prolongera le tronçon dit « West African Gas Pipeline », qui relie, depuis 2010, le Nigéria au Ghana, via le Bénin et le Togo. Le futur tronçon impliquera huit autres pays ouest-africains (de la Côte d’Ivoire au Sahara occidental, en passant par le Sénégal et la Mauritanie), avec des retombées économiques considérables pour tous les riverains. Les études de faisabilité de ce projet sont en cours et résultent de l’accord intervenu, en décembre 2016, entre le roi Mohamed VI et le président nigérian Muhammadu Buhari. Les deux pays avaient évoqué, lors de la cérémonie de signature à Abuja, l’avènement d’une nouvelle ère diplomatique qui transcenderait, selon les Marocains, le froid entre la Mauritanie et le royaume chérifien, et même l’opposition des Sahraouis dans la mesure où le pragmatisme économique finirait par apaiser les réticences. « Le gazoduc se fera, quoi qu’il arrive, car il est pragmatique et porteur de changements », avait affirmé la partie marocaine.

Impliquant le Fonds souverain Nigérian et Ithmar, l’organisme d’investissement chérifien ainsi que d’autres bailleurs internationaux, dont la Banque africaine de développement, la question du financement semble avoir été résolue.

Le projet, fruit d’une intense activité marocaine en Afrique, signe, à n’en pas douter, l’enterrement définitif du TSGP (Trans Saharan Gas Project). Ce dernier – dont la société anglaise Penspen/IPA a confirmé la faisabilité -, datant de 2002, devait relier le Nigéria à l’Europe, via le Niger et l’Algérie, avec ses plus de 4.000 km, dont au moins 2.300 en Algérie, jusqu’à la côte méditerranéenne, où il aurait pu rejoindre le GALSI (Gazoduc Algérie Sicile Italie). Un autre projet algérien moribond, malgré l’intérêt immense qu’il revêt pour l’Europe, y compris celle du Nord qui cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz.

Devant ces échecs, on peut se poser légitimement la question de savoir pourquoi l’Algérie, pourtant pionnière en la matière et gros producteur de gaz, ne réussit pas à concrétiser les projets qu’elle initie. Notre pays a entrepris, dès le début des années soixante-dix, la construction de la route transsaharienne, en faisant un projet d’avenir pour sa jeunesse dans le cadre du service national.

Le premier ministre, M. Sellal, a affirmé, en janvier 2017, dans une déclaration relayée par l’APS, que l’Algérie avait réalisé le tronçon national de la route transsaharienne Alger-Lagos, longue de 4800 Km. Il a expliqué que le dernier segment, situé sur le territoire de la République du Niger, serait terminé en 2017 et que la pose en territoire algérien du câble de fibre de verre relié au réseau international pour alimenter et désenclaver cette vaste zone du Continent en matière de TIC ( Technologies de l’Information et de la Communication) tout au long de l’axe Alger-Lagos a été achevée.

Dans ces conditions, M. Sellal pourrait-il expliquer aux Algériens les raisons de l’abandon, plus que probable, du gazoduc transsaharien (TSGP), qui aurait mis le gaz du Nigéria et celui de Hassi R’Mel à portée de l’Europe, avec les retombées socioéconomiques considérables qui en auraient résulté pour le Niger, le Mali, et surtout pour le Sud algérien et l’avenir du pays ? Car il s’agit d’un projet structurant, dont l’importance pourrait être comparée, toutes proportions gardées, au percement du tunnel sous la Manche, entre l’Angleterre et le continent européen. Évalué à 10 milliards de dollars, le TSGP était de nature à ouvrir des perspectives immenses.

Les raisons sécuritaires, évoquées ici ou là pour justifier l’abandon du projet ont, certes, leur importance, mais elles n’expliquent pas tout. Car le projet maroco-nigérian (West African Gas Pipeline) est soumis aux mêmes aléas sécuritaires, même s’il est, pour une bonne part, offshore.

Au lendemain de l’annonce du projet maroco-nigérian, les commentateurs marocains ont exulté, certains estimant que le roi avait « damé le pion aux Algériens », même si la diplomatie chérifienne a voulu stopper net les surenchères en affirmant que le Maroc « ne cherche pas à démanteler ce que fait l’Algérie ». Mais les faits sont là, têtus. Par-delà la dispute permanente entre les deux pays, qui remonte aux premiers mois de notre indépendance, pour des questions de frontières, en passant par la crise de 1975 à propos du Sahara occidental, la rivalité est là, pérenne, notamment sur le plan économique, tant que les deux pays n’auront pas constaté et mis en œuvre leur complémentarité naturelle.

En attendant ces lendemains qui chantent, force est de constater que notre diplomatie n’est plus celle qui fit, naguère, de l’Algérie, un pays qui compte sur l’échiquier international. Il fut le point de ralliement des révolutionnaires épris de liberté du monde entier dans les années soixante et soixante-dix. Il fut incontournable, jusqu’au début des années deux mille, en raison de la position géostratégique qu’il occupe en tant que lien naturel entre le monde méditerranéen et l’Europe d’une part, et l’Afrique subsaharienne, d’autre part.  Il est, en outre, partie intégrante du monde arabo-musulman et jouit encore de solides amitiés en Asie et en Amérique latine. Autant d’évidences qui constituent des atouts non négligeables. Nous disposons de ressources gazières et pétrolières importantes et d’un sous-sol riche en ressources minières, notamment au Sahara, ainsi que d’un capital humain considérable. Alors, pourquoi tant de gâchis ?

Sonatrach, en tant que maître de l’ouvrage des projets évoqués plus haut, porte, en premier lieu, la responsabilité de nos déconvenues. Sans remonter bien loin, on se souvient que la compagnie nationale a été entachée par une affaire de corruption impliquant de hauts dirigeants, dont l’ancien ministre Chakib Khellil, lui-même devenu un véritable symbole en la matière, à la suite de révélations des Panama papers, et surtout parce qu’il avait tenté d’hypothéquer le sous-sol algérien au profit d’une puissance étrangère.

Après des mois de gestion au jour le jour, le PDG, Abdelhamid Zerguine, a été limogé en 2014 et remplacé par un intérimaire, lui-même renvoyé au bout de quelques mois, pour céder la place à Amine Mazouzi, lequel vient d’abandonner son siège éjectable, en mars dernier, à A. Ould Kaddour, qui arrive de l’étranger, entouré d’un halo équivoque, selon des sources bien informées.

Sans entrer dans les méandres et les péripéties fangeuses de ces sombres affaires, qui ont vu même la justice italienne intervenir dans certaines malversations, force est de constater que l’instabilité chronique au sommet de la société nationale n’est pas de nature à favoriser ni la prospective, ni  les grands desseins.

Avec, à sa tête deux ministres des Affaires étrangères, notre diplomatie porte, en second lieu, une part de responsabilité. Pourtant, l’un de ses chefs a exercé des fonctions dirigeantes au sein de l’Union africaine, à Addis-Abeba. L’autre est censé avoir en charge les questions du Continent noir depuis des années, ce qui ne constitue pas nécessairement un gage de compétence. Par-delà ces deux responsables, au demeurant respectables l’un et l’autre, et les feuilletons de Sonatrach, il convient de prendre en considération la situation politique actuelle du pays.

Alors que nos responsables avec, à leur tête, le Premier ministre, vantent la sacro-sainte stabilité, nos partenaires étrangers les plus bienveillants nous taxent d’immobilisme. D’autres, plus acerbes, prétendent que l’Algérie est en léthargie, alors que certains de nos adversaires jugent, à tort ou à raison, que l’Algérie est dans un coma profond.

Quoi qu’il en soit, la situation actuelle ne peut perdurer. On ne peut, sous prétexte de stabilité, concentrer des pouvoirs exorbitants au sommet de l’État, ce qui est de nature à favoriser le népotisme, l’incompétence, l’immobilisme, l’inertie et l’indifférence générale à l’intérêt public. Dans tous les secteurs de l’activité nationale, certains responsables, bien que compétents et patriotes, n’ont d’autre choix que de faire prévaloir la règle selon laquelle il est urgent d’attendre ou de transmettre tout problème au responsable hiérarchique qui, à son tour, s’en débarrassât au plus vite de la même manière. Faut-il rappeler, enfin, en ces temps difficiles, que nous venons de changer l’Assemblée populaire nationale, justement pour que rien ne change ?

Le projet de gazoduc transsaharien, qui devait relier les bords du Golfe de Guinée, au Nigéria, à la Méditerranée puis à l’Europe, par le GALSI est enterré. Nos voisins chérifiens, avec moins d’atouts que nous, viennent de réussir, avec le projet de Gazoduc ouest-africain, reliant le Nigéria à l’Europe, un coup de maître. Souhaitons-leur bonne chance et consolons nous, en nous persuadant que ce n’est la faute à personne si le train est parti sans nous.

Il est temps de nous réveiller. Car notre léthargie est mortelle. L’Algérie, ce beau et grand pays, va-t-il rester éternellement sur le quai, à regarder passer les trains ?

*Abderrahmane MEZIANE CHERIF est ancien ministre de l’Intérieur et ex-ambassadeur.

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