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Répression des magistrats : indignation unanime et silence des candidats

Répression des magistrats : indignation unanime et silence des candidats

Les réactions de la corporation, du monde syndical et d’une partie de la classe politique à l’agression des magistrats à Oran ont été à la hauteur de la gravité de l’incident.

Incompréhensiblement, les candidats à l’élection présidentielle, censés s’exprimer sur tout événement de la vie nationale en cette période de pré-campagne électorale, se murent dans un silence assourdissant.

On a cru que le ministère de la Justice continuerait à ignorer ce qui s’est passé dimanche 3 novembre à Oran, mais devant le tollé suscité, il a fini par réagir ce lundi en début d’après-midi.

Le département de Belkacem Zeghmati a préféré calmer le jeu, assurant « regretter » le comportement des forces antiémeute et annonçant l’ouverture d’une « enquête profonde » afin de « déterminer les responsabilités », et « éviter la répétition de tels actes qui sont susceptibles d’impacter la réputation de la justice ».

Si le ministre compte enquêter sur l’incident, cela pourrait signifier qu’il n’en est pas l’ordonnateur. Qui aurait donc bien pu être à l’origine d’une telle escalade qui a choqué même au-delà des frontières du pays ?

Mais on se demande si M. Zeghmati n’a pas brûlé des vaisseaux avec les juges qui, sans surprise, font de son départ une condition sine qua non pour la reprise du dialogue. C’était dans le communiqué-réaction du syndicat des magistrats à l’incident d’Oran : « Le SNM informe l’opinion publique qu’il met fin à tous les efforts de médiation et de dialogue pour solutionner la crise et il ne les reprendra pas avant le départ du ministre Belkacem Zeghmati. »

La demande est partagée par le Club des magistrats (CDS) qui a eu une réaction plus virulente, dénonçant un « comportement lâche et despotique des sbires du ministère de la Justice » et une « barbarie » sans « précédent dans le monde, qui n’a pas eu sous dans les plus grandes dictatures ».

Pour le CDS, il s’agit là d’un motif pour le « renvoi rapide du ministre illégal, dont le maintien en poste constitue une menace pour l’institution judiciaire et la stabilité des institutions importantes et sensibles de l’État ».

Ce lundi, le président du SNM, Issad Mabrouk, a accusé M. Zeghmati de « gérer le ministère avec la mentalité d’un procureur général arrogant ». Un président de chambre au Conseil d’Etat a dit que même en Corée du Nord, on ne réprime pas les magistrats.

Pour le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il s’agit d’une « atteinte grave à la souveraineté du pouvoir judiciaire et à son indépendance, et un précédent dangereux dans l’histoire de la magistrature au niveau international », qui nécessite « l’ouverture d’une enquête ».

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Des réactions même à l’étranger

Des voix se sont aussi élevées en dehors de la corporation pour dénoncer ce qui s’est passé à Oran. L’Union nationale des ordres des avocats (UNOA) considère le « comportement » de la force publique comme une « atteinte dangereuse à la souveraineté du pouvoir judiciaire ».

Noureddine Benissad, président de la LADDH, parle de « scènes choquantes ». « Je n’ai jamais vu des forces antiémeute dans une enceinte judiciaire. Des images qui ternissent la symbolique de la sérénité et la sacralisation d’un lieu de débats apaisé. Le glaive a apparemment pris le dessus sur la balance », dit-il.

La classe politique a aussi réagi. Djillali Sofiane, président de Jil Djadid, estime que « la dégradation dangereuse de la relation entre les magistrats et le gouvernement engage l’Algérie dans une spirale inquiétante au plus haut point ». « En ces moments d’incertitude, le pays a besoin d’être écouté, le jusqu’au-boutisme et la force ne sont pas une solution », dit-il.

« Le pouvoir de fait assume le passage en force dans tous les domaines et contre toutes les autorités, y compris les institutions constitutionnelles », commente le président du RCD, Mohcine Belabbès, une vidéo de magistrats molestés par la police, probablement filmée dans un des tribunaux d’Alger.

Pour Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, ce qui s’est passé à Oran constitue une « escalade inacceptable » et une « façon non civilisée » de régler les problèmes à l’intérieur des institutions de l’Etat, et « une atteinte à leur crédibilité à l’intérieur du pays et à leur image à l’étranger ».

La gravité des incidents a fait réagir même à l’étranger justement. Jusque-là, au moins deux organisations syndicales ont apporté leur soutien aux magistrats algériens. Il s’agit de l’Union des magistrats arabes et du syndicat tunisien des magistrats.

Curieusement, les cinq candidats officiellement retenus pour la présidentielle du 12 décembre n’ont pas réagi, pas plus d’ailleurs que ceux dont les dossiers ont été rejetés.

On pouvait attendre, à défaut d’un mot de dénonciation, au moins un appel à la sagesse de Ali Benflis, qui a exercé par le passé les fonctions de ministre de la Justice et qui a toujours répété qu’il a démissionné de son poste de Premier ministre en 2003 à cause de divergences avec le président Bouteflika sur, entre autres, la question de l’indépendance de la justice.

Son silence est d’autant plus incompréhensible que la veille des incidents d’Oran, il assurait que la libération de la presse et de la justice seraient parmi ses priorités s’il est élu.

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