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Suppression des subventions : « Il y a un risque d’explosion sociale »

Suppression des subventions : « Il y a un risque d’explosion sociale »

Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP)

En Algérie, les députés ont voté,  mercredi 17 novembre, la suppression des subventions généralisées sur les produits de base. Le gouvernement a mis en avant le fait que les aides publiques ne bénéficient pas qu’aux nécessiteux, et a assuré que le système actuel sera remplacé par des subventions ciblées garantissant une meilleure justice sociale.

Pour  Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), cette décision « est mal tombée  » et risque de provoquer « une explosion sociale« . Entretien

Vous avez exprimé sur vos réseaux sociaux votre désaccord concernant le démantèlement du système des subventions. Pourquoi êtes-vous contre ?

Dans le contexte difficile que traverse aujourd’hui le pays,  que ce soit au plan politique, économique, financier et social, je pense que ce n’est pas le moment d’aller vers ce genre de décision tant que nous n’avons pas assaini au préalable la situation dans le pays.

Avant de supprimer les subventions, il faut impérativement assainir la situation. Je ne comprends pas pourquoi ces députés, (qui ont adopté le projet de loi relatif à la levée des subventions), ont toujours été dubitatifs et craintifs, voire repoussants, quand il s’agissait d’imposer un impôt sur les fortunes.

Tout d’abord, il faudrait mettre en place un dispositif d’identification, et des instances de contrôle. Il faut également imposer un barème aux grosses fortunes afin qu’elles participent, dans le cadre des redevances fiscales, à l’effort financier. Malheureusement cela n’a pas été fait.

De plus, nous n’avons pas de fichier national, ou un mécanisme, qui permet d’assurer, aujourd’hui, toutes les garanties autour de cette question pour ne pas créer de problèmes entre les différentes couches sociales.

Nous devons identifier clairement ceux qui sont dans le besoin. À cela, j’ajoute que nous n’avons pas assaini tout ce qui relève de l’informel et de l’économie parallèle qui draine, au bas mot, 5 millions de travailleurs.

Tout cela fait que l’on appréhende l’après décision. Des mécanismes vont certainement suivre et être mis en place par la suite. Je crains personnellement que cela va créer des tensions et pousser vers une explosion sociale, du fait que beaucoup de familles seront fortement lésées, au moment même où le pouvoir d’achat a chuté de 40 % au cours de ces dix dernières années et que cela continue encore aujourd’hui.

Ces décisions sont mal tombées. Je pense qu’il fallait temporiser avant d’aller d’adopter cette loi.

 Quels sont les risques de la suppression du système de subventions pour la classe moyenne ?

La classe moyenne a été laminée ces dernières années. Il faudrait tout d’abord définir et déterminer ce qu’est la classe moyenne dans notre pays. Nous sommes aujourd’hui dans un seuil de pauvreté généralisé. Personnellement, je suis médecin dans le secteur public depuis plus de 30 ans, et mon salaire me permet à peine de terminer le mois décemment. Que dire des autres. Je n’ose imaginer la situation pour les autres citoyens.

Actuellement il y a deux classes : les pauvres, parmi eux, il y a ceux qui sont plus pauvres que d’autres, et une caste de riches ou il y a des niveaux aussi.

Pour parler des risques sur la classe moyenne, il faut parler du pouvoir d’achat et surtout, mettre en place un observatoire du pouvoir d’achat. Il faudrait aller aussi vers une bipartite, des rencontres gouvernement, syndicats des travailleurs et fonctionnaires, pour discuter des mesures à mettre en place pour contenir l’inflation et aller vers un véritable système social et économique dans lequel tout le monde s’engage réellement.

Quelles sont les conditions à réunir pour supprimer les subventions et les remplacer par des aides pécuniaires aux nécessiteux ?

Cela renvoie à la première question. Il faut tout d’abord, assainir la situation, mettre en place une transparence par rapport à ce que fait chaque citoyen, et établir une liste de tous ceux qui doivent contribuer d’une manière plus accentuée, à savoir les fortunés.

Si l’on veut  prétendre parler de justice et de justice sociale, il faudrait commencer par là. Si l’on n’a pas le courage d’ouvrir ce dossier, on est obligé de maintenir le cap tel qu’il est actuellement, en attendant que la situation sociale et économique s’améliore, et avant d’imposer cette décision au peuple.

Il faut mettre en place un bon environnement économique et social, une réglementation, des dispositifs, et donner à des instances de contrôle la possibilité et les moyens de contrôler et de faire le travail et de sanctionner lorsqu’ il y a des dépassements, de l’évasion fiscale, etc..

En ayant omis de faire ce travail, c’est un peu précipité d ‘aller vers une décision aussi importante, dans les conditions actuelles du pays.

Est-ce que le système actuel est tenable ?

Non. Il ne l’est pas depuis des années. C’est pourquoi on considère qu’aujourd’hui c’est la priorité des priorités, et que c’est une urgence absolue. Mais le débat doit être annoncé.

La gratuité en tant que concept est dépassée. Il faut revoir la politique. Mais est-ce que l’on peut le faire, aujourd’hui, du jour au lendemain, sans réunir toutes les conditions que je viens d’évoquer, je ne pense pas. Le soutien aux prix et à l’accès à la prestation doit au préalable s’articuler autour de l’identification, de la transparence, de la traçabilité,  et de l’assainissement de cet espace économique.

Sur le volet sanitaire, l’Algérie enregistre actuellement une recrudescence des cas de contamination à la covid-19. Quelle est la situation dans les hôpitaux du pays ? Peut-on parler officiellement d’une quatrième vague ? 

La situation est stable de manière générale. On ne peut pas prendre la situation qui prévaut dans un grand hôpital comme celui de Mustapha ou de Beni Messous, et la généraliser sur le territoire national.

À l’échelle nationale, la situation est plutôt stable. Nous relevons tout de même dans certaines wilayas comme à Alger ou Blida, une recrudescence des cas de contamination.

C’est au ralenti, mais nous devons prendre des précautions. Le problème actuel est que les gens ne sont plus dans le respect des gestes barrières, il y a aussi du retard dans la vaccination, et nous sommes dans une saison où les infections virales sont plus répandues.

Avec toutes ces conditions réunies, le risque de l’arrivée d’une quatrième vague n’est pas à écarter. Actuellement, la situation est maîtrisable, mais il faut impérativement revenir au respect des gestes barrières et pousser vers la vaccination, notamment avec le pass vaccinal.

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