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2018 : l’Algérie à la croisée des chemins

2018 : l’Algérie à la croisée des chemins

CONTRIBUTION. S’il y a un moment-clé dans l’histoire économique récente de l’Algérie, c’est bien la période dite du Printemps arabe qu’ouvre la révolution tunisienne en janvier 2011. Pour éviter la contagion, le gouvernement algérien a payé le prix fort en subventions diverses et variées, en augmentations salariales et en dispositifs de soutien aux emplois des plus jeunes et au logement social.

Ainsi, les recettes de la fiscalité ordinaire (recettes fiscales hors hydrocarbures), qui couvraient péniblement 54% des dépenses budgétaires de fonctionnement en 2010, ont atteint en 2011 un taux de couverture de moins de 40%. Le niveau de prix du pétrole nécessaire pour assurer l’équilibre budgétaire de l’Etat est inexorablement passé de 32 dollars en 2005 à près de 150 dollars en 2011.

Or, à partir de juin 2014, sous les coups de boutoir des producteurs d’hydrocarbures non-conventionnels américains aidés par l’indigence de la réplique saoudienne, le baril est durablement passé en dessous de 60 dollars, et les revenus pétroliers algériens se trouvent brutalement réduits de moitié.

La conjugaison du choc budgétaire lié au Printemps arabe et du contre-choc pétrolier place le pays face à ses contradictions systémiques, le déficit budgétaire s’est envolé à des niveaux proches de 15% du PIB en 2015 et 2016, la position extérieure du pays ne tenant à court terme que grâce à des réserves de change encore très élevées (de 200 milliards de dollars en 2014 à moins de 100 milliards fin 2017), accumulées lors de la décennie précédente de vaches grasses.

L’engrenage catastrophique que l’Algérie a connu depuis 2011 a néanmoins permis, sous l’impulsion de l’ex-Premier ministre Sellal, de lancer une réflexion approfondie sur des scénarii de sortie par le haut de la dépendance aux hydrocarbures, que la récente remontée du prix du baril ne doit pas oblitérer.

Une maladie arabe et une anomalie bien algérienne

Au-delà du désajustement majuscule actuel entre dépenses et recettes de l’Etat, traduisant de fait aussi bien la dépendance budgétaire aux hydrocarbures que les mécanismes politico-économiques sommaires de l’économie rentière, les défis posés à l’Algérie sont d’abord de nature structurelle.

Le premier est illustré par une pathologie partagée par l’écrasante majorité des pays arabes, le chômage de masse des mieux éduqués : ainsi le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur en Tunisie tourne autour de 30% alors qu’en Algérie la barre des 20% est toute proche.

Ceci traduit une transformation structurelle trop lente dans ces pays, c’est-à-dire le développement par trop insuffisant de nouvelles activités plus productives et la réallocation fortement sous-optimale des ressources vers ces nouvelles activités permettant potentiellement d’employer les plus qualifiés. Cette absence de diversification vertueuse de l’économie est d’abord due à une qualité de gouvernance faible, aggravée dans le cas algérien par les logiques prédatrices propres aux économies rentières.

Le second défi posé à l’Algérie est tout aussi colossal : contrairement à ses voisins, ce pays est en train de subir un renversement de la transition démographique, avec un taux de fécondité estimé à 2.8 en 2015 après avoir été proche du niveau de remplacement au début de la décennie précédente.

Quels qu’en soient les facteurs explicatifs, ce phénomène singulier pose la question de la soutenabilité de l’Etat social que le gouvernement algérien met un point d’honneur à préserver. Ses implications de long terme doivent conduire, non pas à remettre en cause l’Etat social, mais à réviser ses fondements et surtout sa taille hypertrophiée suite aux événements du Printemps arabe.

Trois chantiers de réforme essentiels

A l’aube de la nouvelle année, l’Algérie se trouve à la croisée des chemins. Au vu des arguments exposés ci-dessus, il ne fait guère de doute que seule la voie des réformes structurelles peut garantir au pays une sortie par le haut du cul-de-sac politico-économique actuel. Trois chantiers sont essentiels.

D’abord, la transformation structurelle de l’économie, seule à même de résorber le chômage endémique des mieux éduqués, requiert une refonte complète de la gouvernance économique du pays, à commencer par celle du cadre budgétaire et des grands groupes publics.

Ensuite, la situation de dépendance extrême aux hydrocarbures (fortement corrélée avec la dépendance à la dépense publique) appelle une refondation radicale du financement de l’économie algérienne, dans ses volets bancaire et non-bancaire. Pour des raisons d’économie politique, ce dossier est jalousement bloqué depuis quelques décennies.

Concomitamment avec la refonte de la gouvernance, il devra être traité au plus vite. L’émergence à terme de l’économie algérienne requiert une phase d’accélération de la croissance qui ne peut être accomplie qu’avec la montée en puissance de l’investissement privé, ce qui est antinomique avec le système de financement actuel et sa gouvernance.

Le financement monétaire décidé dernièrement par le gouvernement algérien, rendu nécessaire par l’assèchement paroxystique des liquidités bancaires, ne peut être que transitoire. L’augmentation des revenus des hydrocarbures (y compris par l’exploration des énergies non-conventionnelles) est une autre voie de nature purement transitoire, qui pourrait s’avérer encore plus pertinente à moyen terme en phase (hypothétique) d’accélération.

Dans cet ordre d’idées, il serait encore plus pertinent pour le gouvernement algérien de s’inscrire dans une logique de long terme : d’une part, mobiliser les politiques publiques pour réduire la folle envolée de la consommation énergétique ces dernières années (largement subventionnée par l’Etat) et ainsi augmenter la part des hydrocarbures exportés, et d’autre part investir fermement dans les énergies renouvelables avec l’aide de la Commission Européenne (telle que formulée à maintes reprises par le Commissaire Arias Cañete).

Enfin, il est de toute première instance que le pays refonde son Etat social rendu inviable par les chocs politico-économiques et démographiques récents.

S’il est à tout le moins injuste de reprocher au gouvernement algérien d’avoir redistribué significativement la rente pétrolière sous forme de transferts sociaux ou d’infrastructures vitales depuis une quinzaine d’années, on peut lui reprocher, en plus du glissement budgétaire inconsidéré récent, le caractère fortement régressif des subventions généralisées qui grèvent dangereusement les finances publiques du pays.

Rétablir une justice sociale réelle et commencer à sortir la population d’une culture rentière fortement ancrée sont autrement plus cruciaux pour l’avenir du pays que préparer sur un seul plan politique les élections présidentielles de 2019.


*Professeur, Directeur de l’IMéRA d’Aix-Marseille – Le texte a été publié dans la revue Fellows. Nous le reproduisons avec l’accord de l’auteur

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