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Algérie : le jeu trouble des promoteurs immobiliers privés

En Algérie, certains promoteurs immobiliers ont trouvé la parade pour contourner la nouvelle loi sur l’interdiction des paiements en espèces.

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Algérie : le jeu trouble des promoteurs immobiliers privés
Ces dernières années, nous assistons à un développement urbain sans précédent dans les grandes villes algériennes / Source : DR pour TSA
Kenza Adil
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Ces dernières années, nous assistons à un développement urbain sans précédent dans les grandes villes algériennes. Le secteur de l’habitat connaît une mutation majeure sous l’impulsion des promoteurs privés, dont certains se sucrent sur le dos de la collectivité et des acquéreurs.

Des résidences « haut standing » poussent comme des champignons en lieu et place d’anciennes villas de l’époque coloniale, démolies pour dégager des terrains d’assiettes, à même de permettre à de grands ensembles immobiliers, de sortir des entrailles de la terre.

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Chéraga, Tixeraïne, Birkhadem, Les Sources, Saïd Hamdine, Dely Ibrahim, Draria, Ouled Fayet… Des résidences modernes avec parkings, espaces de jeux pour enfants, salles de sport… font désormais partie du nouveau paysage urbain de la capitale et des grandes villes du pays.

Ces résidences, cédées à des montants à plusieurs chiffres, trouvent preneur parmi une classe aisée en quête de confort et de sécurité.

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Les promoteurs immobiliers multiplient les offres à travers de grands panneaux publicitaires et de communiqués sur les réseaux sociaux.

Superficie, commodités, qualité des matériaux, finitions, équipements de choix sont mis en avant. En revanche, black-out total sur les prix et les modalités de paiement. Une opacité qui interroge.

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Quelles sont les démarches à suivre pour acquérir une résidence chez un promoteur privé ? Quelles sont les modalités de financement ? Quelles sont les échéances des différents versements à effectuer ? Les crédits bancaires sont-ils acceptés ? Quel est le prix réellement déclaré ? Quelle garantie pour le client concernant la partie versée « au black » en cas d’arrêt du chantier ? Pour répondre à toutes ces questions, TSA s’est rapproché de promoteurs immobiliers bien connus sur la place d’Alger.

Vente sur plan

Nous poussons les portes d’une promotion immobilière située à Dely Ibrahim. La chargée de clientèle pointe l’index sur une résidence située à proximité des bureaux de cette infrastructure. Il y a 76 appartements de type F2, F3, F4 et F5. Prix : 360.000 dinars le mètre carré. Nous apprenons que tout a été vendu à l’exception d’un F3 (trois pièces) d’une superficie de 132 m².

Pour le parking, un box est cédé à part pour 2,19 millions de dinars.

Ce promoteur nous propose, -si nous ne sommes pas pressés- un achat sur plan. Une future résidence à Draria, avec des F3, F4 et F5, livrables dans des délais allant de 18 à 24 mois. Prix : entre 230.000 Da et 250.000 Da le m², selon l’orientation de la résidence.

Un F4 d’une superficie de 129 m² situé au 2ᵉ étage revient à 34,44 millions de dinars avec une place de parking. Les prix sont hors taxes. Dans ce cas, il faut avancer 30 % de cette somme à la réservation, ce qui équivaut à 10.332.000 dinars, 30 % à l’avancement du gros œuvre (10.332.000 dinars), 20 % à l’achèvement du gros œuvre (6.888.000 Da) et pour terminer, 20 % à la remise des clefs (6.888.000 Da). Soit, 34.440.000 dinars pour un F4 de 129 m².

Le client peut souscrire un crédit bancaire, « mais seulement lorsque les travaux seront avancés à hauteur de 80 % », nous informe-t-on.

Et pour le financement ? « Paiement par chèque ou par virement bancaire pour la partie déclarée et en espèces pour la partie non déclarée ! », indique notre source.

Et si le projet de cette vente sur plan catapulte pour une raison ou une autre, comment ferait le client pour récupérer la partie versée au noir ? « À chaque paiement, nous remettons une décharge, y compris pour la partie non déclarée », répond-elle.

Si le paiement en espèces dans les transactions immobilières est strictement interdit depuis le 1ᵉʳ janvier 2025 dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le blanchiment d’argent, certains promoteurs immobiliers ont trouvé la parade pour contourner la réglementation, et tricher avec les Impôts, en dissimulant un chiffre d’affaires conséquent. Parfois, les acquéreurs jouent le jeu, pour éviter de payer un montant important en TVA.

Prix astronomiques

Nous nous déplaçons chez un autre promoteur privé situé aux Sources. Il réalise actuellement une résidence dite de luxe avec des F3, F4, F6, ainsi que des Penthouses (villas avec piscine) au dernier étage de la résidence.

Le commercial nous montre un prospectus en nous vantant le confort et le prestige de cette dernière réalisation : haut standing, architecture contemporaine, matériaux importés d’Europe, cuisines équipées d’électroménagers de luxe… et cerise sur le gâteau, possibilité d’installation d’un système domotique à la demande du client qui permet de contrôler et de programmer les équipements d’une maison.

Pareil luxe, à un coût, et pas des moindres. Pour un F3, il faut compter de 62 millions de dinars à 66 millions de dinars selon l’étage. Les prix des F4 commencent à 74 millions de dinars. Cette résidence dispose de plusieurs villas terrasses (Penthouse) d’une superficie allant de 382 m² à 598 m². Ces biens immobiliers sont cédés à partir de 17 milliards de centimes.

Un apport personnel de 30 % est requis à la réservation. Le paiement est effectué par chèque (pour la partie déclarée). « Un versement est exigé tous les deux ou trois mois », nous informe le chargé de clientèle. « Ce projet actuellement en chantier sera achevé d’ici deux à trois années », ajoute-t-il.

Là aussi, la loi est contournée. Une partie seulement est déclarée et donc payée par chèque. Le reste est réglé en espèces. Le promoteur accepte un apport par un crédit bancaire, mais seulement pour les deux dernières tranches à hauteur du prix déclaré.

À proximité du centre commercial Garden City (Chéraga), plusieurs immeubles sont en cours de construction. Un promoteur propose une résidence de plusieurs logements, répartie sur 5 blocs en R+10.

Au rez-de-chaussée, des locaux commerciaux y sont prévus. Le parking se décline sur quatre niveaux en sous-sol. Superficies disponibles : F2 à partir de 74 m² avec un prix de départ de 24.618.690, 00 dinars TTC. F3 à partir de 105 m² affichant 35.224.740, 00 dinars TTC. F4 à partir de 40.609.350, 00 dinars TTC selon la superficie.

Chez ce promoteur, les duplex sont proposés à partir de la « modique » somme de 67.091.220, 00 dinars TTC. Des sommes astronomiques dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas 50.000 DA par mois.

Les crédits bancaires sont acceptés, avons-nous appris aussi. Quoique, le prix officiel déclaré servant de base de calcul pour une potentielle sollicitation de la banque ne représente pas la totalité du prix à payer.

Ces appartements en cours de finition seront livrés dans 8 mois. Les clients peuvent payer par tranches. Pour la première partie, il faut débourser un minimum de 70 % du prix global.

Spéculation et contournement de la loi sur le blanchiment d’argent

L’année 2025 est venue sonner le glas pour les paiements en espèces pour toute transaction immobilière à travers l’article 207 de la loi de finance en cours.

Mais les promoteurs et les agents immobiliers ont trouvé la parade pour contourner cette nouvelle obligation juridique et s’en mettre plein les poches. Le prix de vente officiel est déclaré beaucoup plus bas que la réalité. Les promoteurs exigent le payement d’une partie du prix du bien en cash, échappant ainsi à l’administration fiscale. Cette méthode entraîne souvent des redressements fiscaux.

Lorsqu’un particulier achète un logement en construction (vente sur plan) le Fonds de Garantie (FGCMPI) protège le client en cas de défaillance du promoteur (faillite, décès …), mais sur la base des tarifs officiels déclarés, souvent éloignés du prix réel consenti.

Ainsi, selon la réglementation qui encadre la vente sur plan, en cas de résiliation ou de cessation des projets avant leur réalisation, toute somme payée en espèces est perdue à jamais pour le client.

Porté par l’essor des promoteurs privés, un nouveau business juteux fait le bonheur de nombreux porteurs de projets.

La spéculation et les marges bénéficiaires impressionnantes, attirent de plus en plus de bâtisseurs indépendants. Cette poule aux œufs d’or constitue un terrain fertile pour une certaine catégorie de promoteurs immobiliers, dont la construction d’ensembles de tours se fait souvent au détriment du visage urbanistique et environnemental de nos villes.

Dans ce secteur qui est considéré comme à haut risque en matière de blanchiment d’argent, beaucoup se sucrent sur le dos des acquéreurs et du Trésor public.

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