Économie

Abdelhak Boublenza, la saga d’un exportateur de poudre de caroube

Ce sont chaque année 300.000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail en Algérie. Si la mission du secteur de l’agriculture est de contribuer à plus de sécurité alimentaire du pays, son rôle dans la création d’emploi est loin d’être négligeable. En Algérie, la filière du caroubier en est un bel exemple.

« J’ai 25 caroubiers qui produisent chacun entre 3 à 4 quintaux selon les saisons. Actuellement, on vend la récolte à des prix qui varient entre 10 à 20 DA le kilo », confiait en 2015 au quotidien El Watan, Youcef, un habitant de Talilt dans la région de Boumerdès.

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Un ingénieur aidé par ses quatre enfants

Des collecteurs viennent régulièrement récupérer les gousses. C’est le cas de Naâmane, qui au volant de sa camionnette s’est spécialisé dans la collecte des fruits de caroubiers.

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Il montre au journaliste son dépôt à la sortie de Beni Amrane. Après avoir chargé sa précieuse marchandise, un camion semi-remorque est prêt à partir. Selon le chauffeur, il se dirige vers la commune de Remchi, à Tlemcen, pour acheminer la marchandise à une entreprise spécialisée dans la transformation des dérivés de la caroube.

Remchi, c’est justement là où se trouve une des installations d’Abdelhak Boublenza, 79 ans, le responsable et fondateur de la SARL éponyme. C’est en 1994 que cet ingénieur a lancé son entreprise de transformation des graines de caroube.

La poudre obtenue est très utilisée comme épaississant dans les industries agroalimentaires.

La demande à l’export ne cesse de croître. Aussi en 2007, l’entreprise construit à Zenata une usine. Depuis, les commandes ne cessent d’affluer. Dans l’Union européenne et aux Etats-Unis, la poudre de graine de caroube est un additif qui est autorisé dans la filière d’alimentation bio sous la nomenclature de (E410).

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 L’entreprise familiale algérienne exporte sa production vers une trentaine de pays sur les 5 continents. Le succès est tel que le trophée de la meilleure entreprise algérienne exportatrice hors hydrocarbures “Trophée Export-2017” lui a été attribué.

Des freins à l’export

Interrogé en 2018 par TSA sur les freins à l’exportation et notamment le défaut de rapatriement des devises liées aux produits exportés, Abdelhak Boublenza ne manque jamais de rappeler les difficultés rencontrées.

« En plus de ne pas être payés sur notre exportation, nous risquons le pénal en cas de non-rapatriement (des devises). Un client peut être régulier pendant des années mais il peut avoir des déboires et s’il ne paye pas une facture de 5.000 dollars, nous risquons la prison. »

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Natif de Tlemcen, le fondateur de l’entreprise est aidé aujourd’hui par ses quatre enfants. Chacun selon son diplôme universitaire, s’occupe de la maintenance industrielle des installations, la commercialisation des produits, la recherche de nouvelles formulations ou la pépinière de plants.

Cette pépinière est confiée à sa fille qui a suivi une formation d’ingénieur agronome. L’objectif affiché est d’arriver à la plantation d’un million de plants dans la wilaya de Tlemcen afin de maintenir l’entreprise au deuxième rang d’exportateur mondial.

Sur un seul hectare, il est possible de planter une centaine d’arbres qui entrent en production dès leur troisième année et peuvent donner jusqu’à 8 tonnes de poudre de caroube.

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Organiser la filière caroubier et créer 100 000 emplois

Elu depuis septembre 2020 à la présidence du conseil national de la filière caroubier, Chakib Boublenza a l’ambition d’organiser la filière. La filière a défini une stratégie qui passe par l’augmentation de la production et donc par plus d’arbres. Pour cela, il s’agit d’arriver en 2035 à la plantation de 10 millions d’arbres en Algérie.

Le caroubier possède une large extension écologique, aussi les plantations peuvent concerner autant des zones steppiques que le nord du pays.

Chakib Boublenza table sur une stagnation, voire un recul de la production mondiale de cacao et donc une demande accrue de poudre de caroube. La filière peut donc élargir sa part de marché. Or, avec une moyenne de 12 000 tonnes par an de poudre de caroube, l’Algérie est classée derrière le Maroc, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Turquie ou la Grèce.

En comptant les pépinières, la collecte, les unités de transformation et l’exportation, la filière vise un potentiel de 100 000 emplois. Enthousiaste, Chakib Boublenza confie au Quotidien d’Oran « son entière disponibilité de fournir des plants de caroubier aux agriculteurs et personnes qui veulent réinstaller dans leurs terres ce type d’arbre. »

La pépinière de l’entreprise située à M’razgua dans la commune de Hennaya est en capacité de fournir 100 000 plants. Afin de rechercher les variétés les plus productives, une convention de coopération a été passée avec l’Institut national de recherches forestières.

Visionnaire, le président de filière poursuit : « Nous envisageons de lancer une vaste opération de plantation au niveau des espaces, des universités, des instituts, des jardins publics, des routes nationales de wilaya, afin de rehausser la production de la poudre de caroube du pays. » De premières réunions d’information ont été organisées à l’intention des agriculteurs qui se sont montrés très intéressés.

Sur le terrain, la collecte s’active. En présence d’arbres bien entretenus, les meilleurs cueilleurs arrivent en une journée à remplir quatre ou cinq sacs en jute de 50 kg chacun.

Du fait de la demande liée à l’activité de l’usine de Remchi, le prix des gousses de caroube est à la hausse. Se félicitant de la renaissance de la cueillette, le quotidien Liberté note que dans la région de Bejaïa le quintal de caroube est passé de 2 500 DA à 4 000 DA en 2018.

« C’est cette raison qui a motivé les familles et leurs enfants à aller entretenir leurs caroubiers pour qu’ils donnent de meilleures récoltes et les enfants à redoubler d’efforts pour aller cueillir les fruits. Mais on peut considérer que ce n’est qu’un début. Beaucoup d’efforts restent à faire. » En effet, faute d’entretien, les villageois expliquent  que “les arbres sont envahis de ronces, de genêts et de buissons de lentisques”.

E 410, à la conquête du marché intérieur

Depuis peu, Abdelhak Boublenza a décidé de conquérir le marché intérieur. Pour cela, en février 2020, c’est au Sofitel d’Alger qu’ont été invités les représentants locaux des industries de la biscuiterie, la chocolaterie, le lait et les glaces industrielles.

Lors de cette rencontre, Djamil Benosman, le directeur commercial de Prodalex, filiale de l’entreprise Boublenza, a indiqué que la poudre de caroube Caruma pouvait avantageusement remplacer la poudre de cacao.

La disponibilité locale du produit, la célérité des livraisons et des prix inférieurs à la poudre de cacao importée en font un produit intéressant. Les importations annuelles de cacao de l’Algérie sont de l’ordre de 1.500 tonnes avec un prix moyen de 2 500 dollars la tonne. A terme, une économie moyenne de 35 millions de dollars.

Les consommateurs européens se tournent massivement vers le caroube bio et cette mondialisation se ressent au plus profond des campagnes algériennes.

La culture du caroubier peut permettre de créer des emplois en milieu rural sans que les pouvoirs publics aient besoin d’investir. Un exemple à faire connaître à la filière céréales.

A l’avenir, le financement de la filière pourrait passer par une contribution obligatoire sur chaque quintal de caroube récolté et transformé. Une somme qui pourrait être gérée par la filière, comme cela est le cas à l’étranger. Le groupe agro-industriel Avril présent en Algérie, aux côtés du groupe privé SIM, doit son expansion à ce type de contribution versée par ses adhérents paysans ou transformateurs.

Interrogé sur la valeur des exportations, le PDG de l’entreprise Boublenza répond : « Par pudeur, nous nous interdisons de parler chiffres ». Entre-temps, à Talilt, tout fier, un jeune cueilleur raconte : « Je n’ai pas quitté le village durant les vacances d’été, nous n’avons pas assez d’argent pour voyager ailleurs. Cette année, j’ai fait 15.000 DA de recette en vendant de la caroube. Je les utiliserai pour la rentrée scolaire ».

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