Économie

Abdelouahed Kerrar : « Il faut ouvrir la fabrication des vaccins au privé »

Abdelouahed Kerrar est le président de l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (Unop). Il est également le PDG de Biopharm. Dans cet entretien, il revient sur la production de médicaments et de masques en Algérie. Il plaide pour l’ouverture de la fabrication des vaccins au privé, et estime que pour l’Algérie, il y a trois leçons à tirer de la pandémie de Covid-19.

Quel est l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la production pharmaceutique en Algérie ?

Abdelouahed Kerrar : Il est clair que cette pandémie a secoué l’économie mondiale et l’économie algérienne. Le secteur pharmaceutique a subi toutes les contraintes logistiques, sanitaires et organisationnelles qu’ont subies les autres secteurs, mais nous avions l’obligation d’assurer la continuité du travail parce que nous sommes un secteur stratégique et nous fabriquons des produits sensibles.

Nous produisons quand même la moitié de la consommation nationale de médicaments. Nous nous sommes réorganisés, bien sûr avec des dépenses supplémentaires, nous avons réorganisé les flux de production, nous avons étalé les ponts de production, nous nous sommes adaptés à la rareté et à l’augmentation des prix de certaines matières premières, ainsi qu’aux difficultés du fret aérien et de l’approvisionnement dans les deux principaux pays que sont l’Inde et la Chine.

Nous pensons, et les résultats sont là, que nous nous sommes bien débrouillés pour assurer la sécurité médicamenteuse du pays. Nous fabriquons pratiquement tous les médicaments utilisés contre le Covid. Je rappelle que les entreprises algériennes ont fabriqué en un temps record les masques.

« Je ne suis pas au courant qu’on continue à importer des masques »

Mais l’Algérie continue toujours à importer des masques et ils sont vendus en pharmacie à des prix élevés…

Je ne suis pas au courant qu’on continue à importer des masques, mais je pense que les capacités de fabrication installées sont largement suffisantes. D’ailleurs, les fabricants de masques se plaignent de surstocks de leur production.

Les masques, comme tous les produits pharmaceutiques doivent normalement faire l’objet d’une régulation au profit de la fabrication locale. Comme je le disais, nous avons fabriqué du gel hydro-alcoolique, les antibiotiques utilisés contre le Covid, nous fabriquons l’enoxaparine en Algérie et c’est une grande première.

Je ne connais pas beaucoup de pays en voie de développement qui ont cette capacité et cette diversité de production qui couvre tout l’arsenal thérapeutique contre le Covid. À ce stade, nous devons être fiers de notre industrie pharmaceutique.

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L’Algérie est encore loin de l’objectif annoncé de satisfaire 70 % de ses besoins nationaux en médicaments. Où est-ce que ça bloque ?

Je dirais que tout va bien. Il faut d’abord voir ce qui se passe à travers le monde. La Jordanie, qui inonde les pays arabes et même certains autres pays de ses produits, ne fabrique que 31 % de ses besoins.

L’Égypte, qui a une industrie pharmaceutique qui date des années 1950, couvre à peine 45 % de ses besoins. L’Arabie saoudite, qui a réalisé des investissements énormes ces dernières années, n’en est qu’à 30 %.

Dans la région Mena, le pays qui couvre la plus grande partie de ses besoins c’est l’Algérie. On peut donc dire que l’Algérie est à la pointe des pays qui ont une couverture de leurs besoins médicamenteux.

Mais ce n’est pas un autosatisfecit. Nous avons des capacités installées, nous avons des ressources humaines et nous pouvons fabriquer beaucoup plus que ce que nous produisons aujourd’hui. Il faut le dire franchement, nous avons été complètement bloqués ces trois dernières années. Il n’y a pas eu d’enregistrement à la production locale entre fin 2017 et 2020.

Les producteurs et l’Unop n’ont cessé de se plaindre des lenteurs et carrément de l’arrêt de l’enregistrement à la production locale. Il fallait attendre une année pour payer ses droits d’enregistrement.

Pendant cette période, les fabricants algériens ont incinéré, et je mesure ce que je dis, plusieurs millions de dinars de lots qu’ils ont fabriqués. Aujourd’hui, nous avons notre ministère dédié à l’industrie pharmaceutique et je dois dire, sans jeter de fleurs à personne, qu’en quatre mois, entre septembre et janvier, il a été réalisé par le ministère plus que ce qui a été réalisé dans les quatre dernières années par le ministère de la Santé.

C’est la réalité. On a une loi sur la santé adoptée en 2018 et aucun décret d’application n’est sorti. En quatre mois, le ministère de l’Industrie pharmaceutique a fait quatre décrets qui concernent justement le cadre réglementaire moderne qui doit régir l’industrie pharmaceutique.

Entre septembre et aujourd’hui, il y a eu la levée de l’obstacle et on a enregistré plus de 200 produits à la fabrication qui étaient bloqués depuis des années. Donc nous avons aujourd’hui tous les ingrédients qui annoncent un nouvel élan pour la production. L’Algérie dispose de moins de réserves de change en devises et cette production va justement se substituer à l’importation et elle est vraiment la bienvenue.

 « Nous pensons aussi que cette pandémie est une opportunité »

Quelles sont selon vous les leçons qu’il faudra tirer de la crise sanitaire actuelle en prévision d’éventuelles prochaines pandémies ?

À l’Unop, nous pensons que les leçons doivent être tirées sur plusieurs registres. Il y a le registre de simulation, personne n’est préparé à faire face à une urgence sanitaire, mais tous les pays qui se débrouillent bien, en temps normal, font des simulations et des prévisions.

Ils simulent qu’il y a une crise sanitaire. Il ne faut plus improviser, il faut se préparer. Dans notre registre, celui du médicament, il faut avoir de plus en plus d’autonomie dans la fabrication. Cela ne suffit pas, peut-être, il faut aller vers la fabrication de certains ingrédients et principes actifs, mais aucun pays au monde n’a la vocation de fabriquer tout ce qu’il consomme.

Le deuxième levier c’est donc d’avoir des alliances stratégiques soit avec des pays voisins ou des pays de la région et avoir une certaine complémentarité pour faire face à une éventuelle urgence sanitaire.

Nous pensons aussi que cette pandémie est une opportunité pour nous qui avons des capacités industrielles, d’ailleurs nous sommes en surcapacité, pour que certains pays européens délocalisent leur production. Nous avons tous les ingrédients pour faire une offre de production.

L’Algérie et la Russie se sont entendues pour la fabrication du vaccin Spoutnik-V. Nous en avons les moyens ?

Si le Premier ministre et le ministre de l’Industrie pharmaceutique en parlent c’est que nous avons des unités qui fabriquent des stériles en Algérie, on en a d’ailleurs plusieurs. Je ne connais pas les détails de ces accords, mais je peux dire qu’on a des unités de stériles et nous avons l’expérience pour la fabrication de stériles.

Maintenant, si ces deux ingrédients sont complétés par un transfert technologique qui vient de la Russie, oui. La question qui va se poser, c’est le temps qui va être nécessaire et incompressible pour faire un  transfert de technologie et je suppose que les parties algérienne et russe se sont déjà penchées sur ce point-là et vont probablement très rapidement déterminer à quelle date pourrait être lancée cette fabrication.

Maintenant, d’une manière beaucoup plus générale, la fabrication de vaccins c’est quelque chose qui se prépare sur plusieurs années, sur le plan de la formation et de l’investissement. À l’Unop, nous regrettons que la fabrication et la distribution de vaccins ne soient pas ouvertes au secteur privé.

Nous avons vu que pratiquement tous ceux qui étaient à la pointe dans la course à la fabrication du vaccin, sont des entreprises privées. On peut constater le contraste dans lequel on se trouve. Nous sommes arrivés à couvrir 50 % de nos besoins en médicaments, mais en matière de vaccins, force est de constater que l’Algérie n’a pas fait grand-chose. Il est temps justement de se pencher sur le cadre réglementaire de la fabrication et de la distribution qui devraient logiquement s’ouvrir au capital privé.

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