search-form-close
Affaiblir les médias indépendants, une stratégie à haut risque

Affaiblir les médias indépendants, une stratégie à haut risque

NEWPRESS

La presse algérienne, dont ses versions papier et en ligne, passe par une période noire. La grève de la faim, entamée lundi 13 novembre, par Hadda Hazem, directrice du quotidien El Fadjr, exprime le mieux cette situation qui ne semble pas inquiéter ceux qui, d’habitude, se soucient de l’image et de la réputation de l’Algérie.

Mme Hazem dit que son journal ne reçoit plus de publicité, ni publique ni privée, depuis août 2017. Elle parle de « mise à mort du journal » après une participation à une émission de débats sur la chaîne France24.

Elle a envoyé des correspondances aux hauts responsables du pays sans avoir de réponses. Le ministre de la Communication, Djamel Kaouane a déclaré, à Béchar, qu’il n’y avait aucune « politisation » de l’affaire El Fadjr. « Ni le gouvernement, ni le ministère de la Communication ne sont responsables de ce qui arrive aux entreprise de presse », a déclaré le ministre. Il a parlé de « mauvaise gestion » des journaux.

Mais cet avis n’est pas partagé par les concernés. Ali Bahmane, éditorialiste du quotidien El Watan, a écrit, ce mardi 14 novembre, que « le pouvoir politique » refuse d’accorder la publicité institutionnelle (qui transite par l’Anep) aux « médias étiquetés « anti-pouvoir », ceux soupçonnés de sympathie avec l’opposition ou tout simplement ne relayant pas suffisamment le discours officiel ». Ali Bahmane a évoqué des « journaux diabolisés depuis des décennies » comme El Watan, El Khabar et Liberté.

« Tous les monopoles ont été enlevés, sauf celui sur la publicité qui reste gérée par une agence dont la feuille de route est préétablie en fonction de la docilité des titres », a écrit, pour sa part, Abrous Outoudert, directeur de Liberté, dans un éditorial.

| LIRE AUSSI : L’inquiétude de la presse électronique algérienne face à la censure

Critères peu clairs

Pour Djamel Kaouane, le marché de la publicité connait une crise en Algérie. « La crise économique mondiale, qui touche l’Algérie, a eu des conséquences sur les médias et sur la publicité », a-t-il expliqué.

En Algérie, la publicité n’est pas réglementée. Un projet de loi sur la publicité a été préparé en 2001 et « bloqué » depuis au Conseil de la Nation. Aussi, les critères d’attribution de publicité publique restent peu clairs. Des journaux à faible tirage et sans audience connue reçoivent des pages de publicité à longueur d’années sans que l’Anep, régie étatique, ne donne des explications.

Il y a manifestement un manque de transparence dans la gestion de cette manne publicitaire. Les annonceurs publics n’ont-ils pas intérêt à atteindre le plus grand nombre de lecteurs ? L’Anep décide-t-elle à leur place ? On n’en sait rien.

Le ministre de la Communication, lui-même, a reconnu qu’une soixantaine de journaux, entre quotidiens et hebdomadaires, ont disparu ces trois dernières années. Des centaines de salariés, entre journalistes et techniciens, ont perdu leurs emplois dans l’indifférence générale.

C’est un mauvais signe pour un pays qui peine à construire un système médiatique performant et à avoir une voix forte pour se faire écouter dans les bruits du monde. Que fait donc l’État pour soutenir la presse algérienne ? Le fonds d’aide à la presse est gelé depuis longtemps pour des raisons inconnues. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a annoncé au Parlement, lors de la présentation de son plan d’action, que l’État va réactiver le fonds d’aide à la presse et installer l’Autorité de régulation de la presse écrite.

C’est bien mais ce n’est pas suffisant car, il s’agit d’avoir une vision à long terme sur la place de la presse dans les projets futurs pour le pays et sur l’élaboration efficace d’un contenu algérien dans une galaxie médiatique internationale fortement concurrentielle.

Bataille par satellites

Pour se rendre compte de l’importance d’avoir des médias puissants et crédibles, il suffit de regarder la situation dans le Golfe. Actuellement, le Qatar et l’Arabie saoudite se livrent à une véritable bataille satellitaire via les réseaux de télévision d’Al Jazeera, Al Arabiya et MBC. Ni Doha ni Ryad, et encore moins Abu Dhabi, ne se sont appuyés sur leurs chaînes nationales pour mener cette bataille parce que leur audience et leur crédibilité sont faibles.

Pour s’engager sur le terrain de la confrontation, même en temps de paix, il faut des médias puissants, crédibles, audibles et influents. Au lieu de subir, il faut passer à l’offensive. Et que fait l’Algérie actuellement ? Presque rien en raison de l’absence d’un dispositif de prospective qui transcende les questions idéologiques et les positions politiques conjoncturelles. C’est une situation vulnérable pour un État entouré de menaces.

Actuellement, les nouvelles chaînes de télévision privées et les sites électroniques d’information sont tenus dans une zone grise. Ce qui est, là-aussi, mauvais pour un pays où le discours officiel défend la liberté d’expression et l’accès à l’information (le gouvernement prépare un texte de loi sur cette question).

| LIRE AUSSI : « Personne n’a le droit de bloquer un journal ou un site »

Erreur stratégique

Agréer les chaînes de télévision privées, doter les sites d’information sur Internet d’un dispositif réglementaire souple et efficace et libérer le marché de la publicité contribueront largement à fortifier le système médiatique algérien à long terme. C’est une nécessité. Une urgence, même.

Car, affaiblir la presse nationale, dans une conjoncture internationale et régionale confuse et porteuse de périls, va à contre sens des intérêts suprêmes du pays. L’affaiblissement de la posture diplomatique de l’Algérie passe aussi par l’effondrement de son ossature médiatique. Provoquer cet effondrement pour de petits, très petits calculs politiques, relève de l’inconscience, pire, de la fuite en avant. Il s’agit d’une erreur stratégique aux conséquences lourdes.

C’est exactement la posture de celui qui se met nu en plein tempête de neige ! La colère sociale n’est pas loin, largement alimentée par les contraintes financières de l’État. Dans ce climat, casser les ressorts de la presse et quadriller la liberté de l’information accélèrent les fissures sur le front interne.

Sans contenu médiatique algérien fort, libre et professionnel, les citoyens vont se diriger vers des sources d’information en dehors du pays car la nature a horreur du vide. Se prémunir contre le jeu des manipulation, la mécanique de l’intox et l’instrument du formatage d’opinions sera après compliqué, ingérable. Autant donc agir avant qu’il ne soit trop tard, avant que le processus ne devienne irréversible.

| LIRE AUSSI : La presse électronique algérienne se dotera d’un syndicat le 3 décembre prochain

  • Les derniers articles

close