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Affaire Khashoggi : la fin des ambitions de MBS ?

Affaire Khashoggi : la fin des ambitions de MBS ?

La responsabilité du prince héritier Mohammed ben Salmane paraît de plus en plus probable dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Et les États-Unis, qui ont besoin d’une Arabie Saoudite stable dans la région et pour l’approvisionnement pétrolier mondial, commencent à s’interroger sur la capacité du prince à pouvoir diriger le pays.

Si le prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dit « MBS », comptait sur la deuxième édition du Forum sur l’investissement en Arabie Saoudite, le « Davos du désert », qui s’est ouverte ce mardi, pour vanter les projets pharaoniques et coûteux de sa « Vision 2030 », c’est raté. Depuis le scandale provoqué par l’assassinat en Turquie de l’un de ses opposants, le journaliste Jamal Khashoggi, il est sur la sellette. A tel point que la majorité des nombreux leaders internationaux de la politique et des affaires ont décidé de boycotter l’événement.

Car, depuis deux semaines, au fil des révélations quotidiennes, notamment dans la presse turque, le « story telling » de l’assassinat élaboré par Ryad a volé en éclats. Les soupçons se portent désormais sur le prince héritier Mohammed ben Salmane comme commanditaire d’une opération aux détails particulièrement sordides, qui s’apparente, en l’absence de mobile, à une vendetta.

L’Arabie saoudite, pièce maîtresse sur l’échiquier du Moyen Orient

Quelles conséquences ce scandale va-t-il entraîner ? Il faut se tourner vers Washington, allié indéfectible de Ryad, pour avoir un début de réponse. Depuis dimanche, Donald Trump qui, jusqu’alors, minimisait le rôle des autorités saoudiennes, a changé de ton. Il considère qu’il y a eu « manifestement tromperie et mensonges », jugeant que les récits saoudiens « partaient dans tous les sens ». Si ce n’est pas un lâchage, c’est au moins une prise de distance importante.

Pour autant, les États-Unis n’accepteront pas de voir une Arabie saoudite fragilisée au Moyen Orient, l’une des pièces maîtresses avec Israël de leur influence dans la région. Outre les raisons géostratégiques, il y a les raisons économiques.

Les États-Unis profitent des pétro-dollars saoudiens depuis des décennies. Et la dernière tournée de MBS aux États-Unis, en mai 2017, qui a duré trois semaines, s’était soldée par des engagements évalués à plus de 300 milliards de dollars, dont 110 milliards de dollars de commandes fermes majoritairement dans l’armement. Une manne à laquelle le président américain n’entend pas renoncer au nom des intérêts et de l’emploi américains.

La demande mondiale de pétrole ne cesse de croître

Surtout, Washington compte sur l’Arabie Saoudite pour jouer le rôle de régulateur sur le marché pétrolier. Une déstabilisation de la monarchie, qui pèse pour quelque 13% de l’offre mondiale de l’or noir, ferait rapidement flamber le prix du pétrole créant une onde de choc néfaste pour l’économie mondiale dont il est un moteur majeur.

Paradoxalement, au moment où le GIEC faisait la une des journaux en s’alarmant des conséquences du réchauffement climatique, une autre information passait pratiquement inaperçue du grand public : en 2019, le monde consommera plus de 100 millions de barils de pétrole par jour (mbj), 100,5 mbj exactement, indiquait l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Un seuil de consommation inédit de cette source d’énergie non renouvelable dont la demande va croître régulièrement pour atteindre 111,7 mbj en 2040, selon les perspectives de l’Opep.

L’Iran et les élections de mi-mandat en ligne de mire

Donald Trump a donc impérativement besoin que l’Arabie Saoudite continue à pomper du pétrole. A court terme, pour que le cours du baril n’aille pas au-delà des 80 dollars, un prix déjà élevé, du moins aux yeux de l’automobiliste américain, qui pourrait le faire payer au président américain à l’occasion des élections de mi-mandat en novembre.

A moyen terme, car l’administration américaine veut changer le régime au pouvoir à Téhéran, en imposant des sanctions en novembre, qui vont drastiquement réduire les exportations pétrolières iraniennes. Or, seule l’Arabie Saoudite dispose aujourd’hui de capacités disponibles de production pour mettre rapidement 1,2 mbj supplémentaires sur le marché pétrolier mondial.

Mais si les États-Unis ont besoin d’une Arabie saoudite stable, font-ils pour autant confiance à Mohammed ben Salmane pour succéder au roi Salmane, aujourd’hui âgé de 82 ans. MBS n’est-il pas devenu un facteur dangereux pour son pays même ? Et son image de réformateur moderne ne masque-t-elle pas une autre profil de leader autocratique.

Du réformisme au bellicisme

Si, depuis qu’il a été promu prince héritier en 2015, à peine âgé de 30 ans, MBS a engagé tambour battant un programme de réformes à peine imaginables pour un régime réputé pour son conservatisme religieux, il a aussi, pour consolider son pouvoir, procédé à des centaines d’arrestations dans sa propre famille ainsi que dans les milieux religieux, économiques et intellectuels. Cet autoritarisme assumé lui vaut de nombreux ennemis dans son pays qui, pour le moment, font profil bas, mais devraient demain relever la tête.

C’est également lui qui a déclenché la guerre au Yémen, dans laquelle l’Arabie Saoudite, qui conduit une coalition accusée de mener une « sale guerre », n’arrive pas depuis trois ans à venir à bout d’une rébellion houthiste soutenue par Téhéran. Le conflit meurtrier pour la population civile – plus de 10.000 morts – s’est transformé en catastrophe humanitaire et en gouffre financier pour le royaume.

C’est toujours à l’initiative de MBS qu’a été décidé le blocus du Qatar, jugé trop indépendant et trop proche de l’Iran, l’ennemi héréditaire. L’opération, que les États-Unis avait critiqué, a été un échec.

Et si les réformes mises en place (autorisation de conduire pour les femmes et accès à la culture populaire internationale via l’ouverture de cinémas…), qui lui ont valu une image moderne, sont importantes, il s’agit là davantage d’une normalisation que de réformes audacieuses.

Les limites de l’absence d’ouverture politique

De fait, l’ouverture économique sans ouverture politique a vite trouvé ses limites. Par nature, le régime royal peut difficilement évoluer démocratiquement en raison d’un partage de pouvoir qui dépend des liens familiaux et des divers clans. De surcroît, le maintien au pouvoir de la famille royale est lié à son addiction à la rente pétrolière. Le budget public dépend à 90% des revenus pétroliers, et devient déficitaire dès que le prix du baril est inférieur à 80 dollars.

Un autre échec de MBS réside d’ailleurs dans son incapacité à réaliser l’introduction en Bourse d’une partie du capital (5%) de la compagnie pétrolière Aramco, toujours repoussée, notamment en raison des règles de transparence en termes d’informations exigées par les grandes places boursières internationales.

Et sans ce pactole potentiel estimé à 2.000 milliards de dollars, il sera impossible d’alimenter un fonds souverain d’investissement dont les revenus, selon MBS, sont censés prendre à l’avenir le relais de ceux de la rente pétrolière et garantir les projets futuristes de MBS.

Cette série de problèmes avaient déjà fait douter de la capacité de MBS à s’affirmer comme un leader de stature internationale. L’assassinat de Jamal Khashoggi s’est transformé en fiasco pour lui. Et si les États-Unis ne sont pas prêts de lâcher l’Arabie Saoudite, ils devraient en revanche peser pour une alternative au prince héritier.


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