Les assises nationales de l’agriculture se sont tenues la semaine dernière avec la participation de 6000 personnes sans parler de plusieurs membres du gouvernement. Les résultats de cette rencontre sont-ils à la hauteur ?
Akli Moussouni, expert agronome : Il y a eu, en mars, une seule journée d’organisation d’ateliers pour « faire avancer la réflexion » et dégager des « recommandations » pour l’organisation des assises. Comme si la problématique complexe et multidimensionnelle de l’agriculture algérienne peut être résolue par un simple débat, alors que la véritable réflexion est celle qui doit se dégager de la contrainte de la dépendance aux importations de l’essentiel de ce que nous consommons. Ce n’est qu’autour de cette problématique que tout doit être recomposé dans l’urgence. Ce qui rend caduque ces assises de par leur caractère démagogique à outrance.
Le ministre de l’Agriculture a fait un bilan dés plus reluisants du secteur de l’agriculture qui couvre aujourd’hui 70% des besoins alimentaires du pays. Partagez-vous son constat ?
C’est, pour moi, de l’irresponsabilité totale que de cacher la réalité de la situation. On importe la totalité de la matière grasse végétale, du sucre, des intrants, des produits transformés, la presque totalité des légumes secs, des céréales, du lait, des viandes…etc. On projette de ne plus importer les produits de large consommation en 2019, ce qui ressemble à une sorte de campagne de diversion pour des objectifs inavoués au moment où la dilapidation des terres agricoles et des ressources en eau ont pris des proportions extrêmement dangereuses, aussi bien au nord qu’au sud du pays.
Le Premier ministre comme le ministre de l’Agriculture ont tous les deux déploré le fait que plus de 3 millions d’hectares sont inexploitées. Pourquoi ces terres ne sont pas exploitées ?
Je regrette que les officiels fassent dans la fuite en avant à partir du moment où des millions d’hectares de terres irrigables ont été gaspillées. Premièrement, à travers la division liée au phénomène d’héritage. Deuxièmement, à travers l’extension des zones urbaines dans l’anarchie aux dépens de terres agricoles. Troisièmement, à travers de l’irrigation avec des eaux saumâtres notamment au sud du pays. Donc, la problématique ne concerne pas seulement les terres non exploitées mais aussi les terres exploitées dans l’anarchie sans aucune planification des cultures, sans l’encadrement technique des agriculteurs et sans objectifs économiques précis.
Ce qui laisse penser que cette question des fameux 3 millions d’hectares non exploitées, non définies ni déterminées, n’est qu’un subterfuge d’un discours politique qui évacue une vision et des réflexions plus appropriées pour trouver des solutions en mesure de redonner au foncier agricole un statut de richesse. Sachant que ce foncier a subi une multitude de ‘’réformes’’ qui ne s’inscrivent dans aucune logique de recouvrement de la sécurité alimentaire du pays. Le ‘’manque à gagner’’ lié à l’inexploitation des terres dépend d’un ensemble de facteurs intimement imbriqués, en l’occurrence l’utilisation rationnelle des ressources hydriques, l’amélioration des conduites culturales, la fertilisation des sols, l’organisation des intervenants autour des territoires, la construction d’un marché formel et normalisé, etc.
Tous les membres de l’Exécutif, à commencer par le chef de l’État, ont tous déploré l’état où il est actuellement le secteur de la transformation. Selon un cadre du ministère de l’Industrie seuls 20% de la production agricole est transformée alors que la moyenne mondiale est de 70%. Pourquoi l’industrie de la transformation a du mal à décoller ?
L’industrie de transformation n’a jamais fonctionné avec le produit algérien à un niveau significatif du fait que l’agriculture n’a pas de produits à transformer. Il y eu une reprise acceptable du secteur de la tomate industrielle au prix d’une déconfiture totale de cette filière et des subventions faramineuses. L’interruption de l’importation des intrants de la liste interdite a engendré le blocage de toutes ces industries. C’est là en est une preuve flagrante de la dépendance totale de ce secteur des importations.
Qu’en est-il des terres archs, dans les Hauts Plateaux notamment, inexploitées à cause de litiges, dont a parlé le Premier ministre ? Avez-vous des chiffres ?
C’était des terres de parcours de petits hameaux qui se sont transformées en « archs » avec une démographie galopante au moment où aucun gouvernement ne s’en est occupé, pendant qu’au Nord une succession de reformes populistes ont fini par décortiquer totalement les ex-domaines autogérés. La problématique du foncier et des ressources hydriques (entre autres), en tant que moyens d’existence, doivent faire l’objet de mesures basées sur l’expertise que seule la sécurité alimentaire du pays doit imposer.