Économie

Agriculture : la contractualisation succède aux subventions sans conditions

Afin de réduire la facture des importations des produits alimentaires de l’Algérie (plus de 8 milliards de dollars en 2019), les services agricoles ont distribué pendant longtemps des subventions sans aucune condition.

Progressivement se met en place une politique de contrat donnant-donnant : fourniture d’une aide multiforme à l’agriculteur contre versement de la récolte. Quant aux entreprises du secteur privé, depuis longtemps, elles ont compris tout l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de la contractualisation.

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Lounis Hamitouche, PDG des laiteries Soummam aime raconter comment il en est venu à investir dans une entreprise de récolte de fourrages et donc au final de collecter plus de lait frais : « des agriculteurs de Constantine sont venus me voir et m’ont expliqué qu’il existait un engin qui permettait de conserver de la luzerne durant deux ans sans qu’elle perde ses qualités« . Aujourd’hui, les balles rondes enrubannées font partie du paysage local.

Lait, concurrence entre laiteries

Dans le Haut-Chélif, la concurrence entre laiteries est rude. Afin de collecter le maximum de lait frais, c’est à qui offrira le contrat le plus avantageux aux éleveurs. Dès 2014, une étude publiée dans New Medit a mis en relief la stratégie des laiteries.

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Nombreux sont les éleveurs traditionnellement liés au groupe public GIPLAIT. Ce groupe n’a pas ménagé ses efforts : dotation en tank de réfrigération du lait, et chariots trayeurs, autorisation de paiements échelonnés, conseils en alimentation des vaches et fourniture de médicaments vétérinaires. Mais, dans ce bassin laitier, l’imagination des laiteries est débordante.

Le poste alimentation constitue le point le plus sensible pour les éleveurs, aussi la laiterie Bassatine a investi dans un atelier de fabrication d’aliments du bétail. Mais l’accès est réservé aux seuls éleveurs s’engageant par contrat à livrer leur production de lait. Cette laiterie a même mis à la disposition des éleveurs sous contrat un vétérinaire.

Les laiteries Bassatine et Djamous proposent aux éleveurs un allégement des procédures administratives afin de faciliter le versement des primes octroyées par les services agricoles. Afin de parer à tout risque de pénurie, les laiteries Wanis et Djamous ont développé un approvisionnement en lait à partir de leurs propres fermes laitières.

La contractualisation prend parfois des aspects négatifs. Ainsi, telle laiterie se plaint que ses concurrents soient moins regardants sur la qualité du lait livré, ce qui fausse la concurrence.

Tomate industrielle : les rendements ont quadruplé

Le cas de la filière tomate industrielle illustre les relations profitables que peuvent entretenir conserveries et planteurs. Lors d’une conférence tenue en 2018, Laïd Benamor est revenu sur la success story du groupe éponyme qu’il dirige.

« Les agriculteurs de la région, avec des méthodes traditionnelles à l’époque, pensaient qu’il était impossible d’augmenter la production. Nous avons fourni des plants en motte de tomates d’industrie. Ces plants, nous les cultivons nous-mêmes dans des serres multi-chapelles. »

L’aide ne se limite pas à la fourniture de plants. « Nous avons rationalisé l’usage de l’eau par l’introduction du goutte-à-goutte. Nous avons aussi apporté une aide technique avec un laboratoire installé dans notre complexe, où un ingénieur est à la disposition des fermiers pour les accompagner, leur fournir des conseils, anticiper les crises et y apporter des réponses », a-t-il complété.

Les résultats ont vite été au rendez-vous. « Le rendement par hectare est passé de 12-15 tonnes à 60-80 actuellement. Notre production de tomate a connu un bond considérable, passant de 13.000 tonnes à plus de 60.000 aujourd’hui de produits dérivés« . Des conserveries ont même introduit les premiers engins de récolte.

Ce type de contrats pourrait être développé par les producteurs d’huile d’olives bénéficiant d’un label ou ayant reçu des prix à l’international. Les petits producteurs leur livrant alors leurs récoltes selon un cahier des charges défini à l’avance.

Aviculture, « nos clients comme des partenaires« 

À Mila, la contractualisation existe déjà depuis dix ans au niveau du groupe avicole Boussouf. « Nous considérons nos clients comme des partenaires, faisant partie intégrante de notre société« , déclarait Malik Boussouf dans le quotidien La Nouvelle République en septembre 2011.

Les avantages accordés aux éleveurs sous contrat sont multiples : « Nous leur offrons des facilités de payement à même de les encourager à produire en quantité et en qualité. Nous leur accordons des crédits sans condition avec tous les risques que nous supportons. Ils prennent le produit à crédit, une fois leur production (c’est-à-dire, le poulet) vendue, ils viennent s’acquitter de leurs dettes, après 50 à 60 jours. Par la même occasion, nous leur assurons une assistance technique de par un suivi avec nos vétérinaires. »

Cette offre de crédit fournisseur existe également dans le domaine du maraîchage sous serre dans la région de Biskra où l’on dénombre une cinquantaine de grainetiers. L’enquête réalisée en 2016 par l’universitaire Ali Daoudi montre que le montant des crédits accordés annuellement par l’agro-fourniture à Biskra s’élève à 530 millions de DA. Les prêts sont accordés après une minutieuse estimation de la solvabilité financière et morale des clients potentiels.

Semences, des contrats pour céréales, colza et maïs

Assez tôt l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a innové en matière de contrats. Afin d’encourager les agriculteurs à s’équiper en matériel d’irrigation, l’office leur propose de leur livrer par l’intermédiaire de ses Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) tout l’équipement nécessaire. L’originalité vient du fait que ce matériel est remboursable sous forme de récolte de blé. Par ailleurs, l’office octroie de façon prioritaire semences, engrais et produits phytosanitaires aux agriculteurs signataires d’un contrat de multiplication de semences.

Le cas de l’orge est particulier. Cette céréale constitue un aliment très recherché par les éleveurs de bétail. En 2020, l’OAIC n’a collecté que 300.000 quintaux contre 3,5 millions de quintaux les années précédentes.

Cette année, la sécheresse a provoqué une pénurie d’orge et une flambée des prix. Des prix bien supérieurs à ceux proposés par les CCLS. Aussi, afin de collecter un maximum de grains dans le but de préparer les semences pour la prochaine campagne, celles-ci proposent aux agriculteurs un contrat « semences » spécifique pour l’orge.

Cette année, les agriculteurs livrant de l’orge ont bénéficié d’un « couloir vert » destiné à éviter toute attente devant les silos. Pour la campagne prochaine, Salah Chaouki, le secrétaire général du ministère, a annoncé un approvisionnement garanti en intrant, contre versement d’au moins 50 % des récoltes.

Mais ce n’est que dernièrement que deux autres cultures ont fait l’objet de cette politique de contrats : colza et maïs-grain. Comme dans les cas précédents, les agriculteurs contractuels s’engageant à livrer aux organismes d’État tout ou partie de leur récolte contre aide technique, crédit à taux bonifié, intrants agricoles et mise à disposition de matériel.

Les prix des intrants et services de location de matériel proposés par les CCLS sont intéressants, car bien moins élevés que ceux proposés par le secteur privé. Un secteur qui commence à s’intéresser à la production de semences. C’est le cas de la société Axium de Constantine avec les semences de lentilles et de fourrages.

MADR, vers plus de contractualisation

Une généralisation de la politique de contractualisation semble se dessiner au niveau du Ministère de l’Agriculture et du développement rural (MADR). Ces contrats devant concerner de nouveaux secteurs et avec un degré d’ingénierie plus sophistiqué.

Ainsi afin de faire face au manque de fourrages, en novembre 2020, le ministre de l’Agriculture a annoncé devant la commission des finances et du budget de l’Assemblée populaire nationale, la possibilité de signer des contrats entre les éleveurs de moutons, les abattoirs et l’Office national des aliments de bétail (ONAB). Dès la livraison des animaux à l’abattoir, l’éleveur devrait être rapidement payé et serait prioritaire pour être approvisionné par l’ONAB en aliments du bétail.

Quant à la collecte des céréales, la possibilité d’un stockage à la ferme moyennant un contrat de livraison prenant en compte une prime de stockage semble être envisagée. Le but est de réduire des files d’attente qui peuvent atteindre 48 heures devant les silos.

Les opérateurs publics viennent progressivement à la contractualisation. Ils exigent comme seule condition à l’agriculteur le versement de sa récolte. À l’avenir, il pourrait être possible d’ajouter à ces contrats un cahier des charges respectant un label régional, une production bio ou des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

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