Économie

Agriculture : le sud, futur grenier de l’Algérie ?

De passage sur les ondes de la Radio algérienne, l’agro-économiste Ali Daoudi a fait le tour des questions agricoles en Algérie.

Il a notamment alerté sur les risques de manque d’eau et les conditions d’une agriculture saharienne durable.

Utilisation des eaux non conventionnelles

Dans un entretien à la Chaine III de la Radio algérienne, Ali Daoudi a rappelé que l’Algérie est un pays semi-aride où l’eau est une ressource rare.

À ce titre, il estime que : « l’eau constitue le premier facteur d’intensification » et que le « le minimum d’eau que nous possédons devrait être conservé pour produire le maximum possible. C’est le challenge de demain. »

Aussi pose-t-il la question de « comment innover sur le plan technologique et organisationnel pour une meilleure gestion des eaux superficielles, des eaux souterraines ou non conventionnelles, telles les eaux usées épurées en provenance des stations d’épuration et même des eaux dessalées. »

Des indices de surexploitation des nappes d’eau

Rappelant les effets du réchauffement climatique, Ali Daoudi note que « durant ce mois de décembre, il a très peu plu » en Algérie.

Il ajoute que : « nous tapons actuellement dans les réserves stratégiques que sont les nappes souterraines. Il y a des indicateurs qui montrent un début de sur-exploitation des nappes d’eau. »

L’expert algérien alerte sur le fait que dans  « beaucoup de régions, on observe un phénomène de rabattement des nappes. »

Il reconnaît que si on est obligé d’utiliser ces ressources, on est appelé à diversifier nos ressources en utilisant les eaux non conventionnelles, mais surtout en préservant les ressources disponibles, dont les eaux souterraines.

Les céréales, épine dorsale de l’agriculture

À la question des cultures à développer en priorité, l’invité n’hésite pas un seul instant : « On ne peut pas tout faire, mais les céréales constituent l’épine dorsale. Il estime que pour sécuriser un volant de base de la production nationale de céréales, l’irrigation est un choix qui s’impose fortement. »

Inquiet, il demande : « Que se passerait-il si un accident climatique arrivait chez les fournisseurs de céréales de l’Algérie ? »

Pour le chercheur, il est urgent de sécuriser l’approvisionnement en blé du pays en assurant un volant de céréales irriguées.

Pour cela, il table sur 150.000 à 200.000 hectares irrigués au sud du pays. Du blé cultivé en alternance avec des légumineuses ou des céréales servant de fourrage.

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Agriculture saharienne : le sud, futur grenier de l’Algérie ?

À la remarque selon laquelle le sud deviendrait « le grenier alimentaire de l’Algérie avec un sud qui nourrit le nord », Ali Daoud relève les succès des cultures du palmier et des légumes sous serre.

Mais il fait cette remarque : « Face aux défis, on ne peut développer uniquement le sud, mais le sud et le nord. Au sud, nous avons l’impression que c’est facile. C’est une relative facilité de façade. En fait, ce n’est pas si facile que cela. Si c’était facile, cela se saurait ».

Il se réjouit des success stories de Biskra pour les légumes et d’El Oued pour la pomme de terre : « nous en sommes très fiers. »

Mais il a averti aussitôt que « concernant les grandes cultures, les produits pour lesquels nous avons une grande dépendance à l’égard du marché mondial, cela tarde à venir. Les modèles n’émergent pas encore et c’est sur cela qu’il faut mettre le paquet aujourd’hui : arriver à réussir le modèle des grandes cultures dans le sud nécessite des investissements publics. »

L’obligation d’un contrôle des prélèvements d’eau

Pour Ali Daoudi, l’important est que les services publics concentrent leurs efforts sur des périmètres irrigués « aménagés a minima » afin de permettre une accélération de la mise en valeur.

L’expert y voit un autre avantage : « pouvoir contrôler le pompage d’eau de la nappe de l’albien. »

Il insiste : « On doit pouvoir exercer un contrôle des prélèvements d’eau soit par l’Agence de bassin hydrographique Sahara (ABHS) à qui on pourrait changer les missions et lui donner celle de veiller à l’utilisation de la nappe, soit créer une agence qui suivra uniquement les pompages dans la nappe pour s’assurer que tout mètre cube pompé soit bien valorisé. »

Visionnaire, il ajoute : « C’est vraiment une condition nécessaire qu’une partie des gros forages qui sont réalisés pour irriguer cette agriculture saharienne soient sous le contrôle d’organes dépendant de l’État. »

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Les agriculteurs, le bras alimentaire de l’Algérie

Pour cet expert, un deuxième pilier du développement agricole réside dans l’agriculture au nord : « Il ne faut pas l’oublier. J’ai noté avec beaucoup de satisfaction l’ensemble des efforts comme le relèvement du prix des céréales, le soutien des engrais et du matériel d’irrigation. »

Cependant, Ali Daoudi estime cet effort insuffisant : «  Le secteur agricole subit une crise. Il va falloir être aux côtés des agriculteurs, c’est vraiment notre bras alimentaire. Le bras alimentaire de l’Algérie, ce sont les agriculteurs. Il faut être attentif vis-à-vis de ces agriculteurs, les écouter et les accompagner massivement. »

Pour des partenariats étrangers gagnant-gagnant

À la question d’aller vers des partenariats stratégiques avec ceux qui ont réussi dans le domaine des céréales, tels les Canadiens, les Français, les pays de l’Est, il répond : « Absolument, le partenariat a toujours été un vecteur à travers lequel beaucoup de pays ont réussi. Le partenariat peut apporter deux choses qui peuvent nous aider à accélérer notre cadence : les capitaux et le savoir-faire technologique. »

Il précise : « Cet aspect, il faut le raisonner. Le partenaire ne doit pas venir faire à votre place certaines choses. Il faut savoir ce que l’on veut négocier. »

Quant au choix des partenaires : «  Il faut choisir les partenaires qui ont des compétences réelles et non pas s’engager avec des partenaires qui cherchent à récupérer une rente. Ceux qu’on a en face n’ont pas forcément le même intérêt que nous. Il faut aller vers des partenariats gagnant-gagnant. »

Un avantage concurrentiel de l’Algérie, une énergie peu chère

Quant aux conditions propices à l’investissement, le chercheur précise : « L’environnement des affaires doit être attractif avec un code des investissements qui améliore l’attractivité du pays. Mais il s’agit de considérer d’autres paramètres comme l’accès au foncier agricole, de déterminer quelles sont les conditions d’accès à l’eau et à l’énergie subventionnée. »

Il ajoute : « Aujourd’hui, nous avons un avantage, le prix de l’énergie. L’Europe subit une crise qui est en train de remettre en cause les modèles productifs. Et l’agriculture européenne est aussi en train de subir cette crise de l’énergie. C’est une fenêtre d’opportunité pour l’Algérie d’attirer les investissements européens mais essentiellement ceux qui peuvent nous apporter la technologie et pas seulement pour exploiter nos ressources naturelles. En contre partie, ils pourraient profiter de notre énergie pas chère. »

Il révèle que des pays européens prospectent déjà nos voisins afin de s’implanter au Maghreb et qu’il s’agit là « d’une fenêtre d’opportunité pour l’Algérie. »

Il indique avoir des échos d’investisseurs européens à la recherche de délocalisations de leurs productions. Nous pouvons les accueillir chez nous car nous avons plus d’avantages comparatifs que nos voisins pour valoriser l’énergie et coproduire localement. »

Un réseau d’universitaires pour le suivi de l’agriculture saharienne

À la question de la rationalisation de la consommation d’eau au sud en faisant appel aux compétences nationales, Ali Daoudi rappelle la nécessité de synergies entre les agriculteurs et les universitaires.

Il cite la mise en place d’un réseau de chercheurs universitaires autour de l’agriculture saharienne : « Un réseau qui doit être accompagné financièrement avec beaucoup de moyens pour mobiliser toutes les compétences nationales autour de la résolution des problèmes prioritaires de cette agriculture saharienne. L’expert insiste sur l’aide à apporter aux agriculteurs engagés dans la mise en valeur des terres qui « rencontrent des difficultés techniques. »

Un réseau dont il énumère les missions comme « mobiliser les savoirs-faire nationaux et ceux de la diaspora. Un réseau qui doit aussi préparer les solutions de demain, des solutions qui garantiront la durabilité de cette agriculture. »

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Des fermes de 1.000 hectares au lieu de 10.000

À la question d’attribuer de grandes superficies à des projets d’élevage, l’invité tempère l’enthousiasme de l’animatrice de l’émission : « Faisons le bilan de la mise en valeur dans le sud du pays. Les concessions de grande taille de la fin des années 1980 n’ont pas été couronnées de succès contrairement à celles de taille moyenne. »

Aussi suggère-t-il des tailles à l’échelle des investisseurs algériens : « Il serait préférable d’envisager des concessions de 500 à 1.000 hectares à la place de concessions de plusieurs milliers d’hectares afin que les investisseurs fassent leurs preuves, quitte à ce que, par la suite, de plus grandes superficies leur soient attribuées. »

Il rappelle : « nous n’avons pas des exploitations de plusieurs milliers d’hectares qui ont réussi en Algérie. Laissons venir les choses progressivement. »

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