
Depuis plusieurs semaines, la récolte de tomate industrielle est lancée. Partout en Algérie, des camions chargés à ras bord de ce légume-fruit rouge stationnent devant les conserveries. La filière tomate fait preuve d’un réel dynamisme et d’un soutien de l’Etat. Elle vise désormais l’exportation.
Contrairement aux plants de tomates cultivés sous serre soutenus par des tuteurs, ceux destinés à la conserverie poussent sous forme de buisson aplati contre le sol. Dans les champs, la récolte est le plus souvent manuelle. Les ouvriers déracinent un plant et d’un geste rapide ils le secouent ce qui permet de détacher une dizaine de kilos de tomates. Les grainetiers proposent aux agriculteurs des variétés toujours plus productives et résistantes aux maladies.
A lire aussi : Air Algérie casse les prix avec une nouvelle promotion
Algérie : la filière tomate industrielle
Une fois au sol, les tomates sont mises en cageots. Durant la journée, chaque ouvrier tente d’en remplir le maximum car le paiement s’effectue au nombre de cageots remplis.
L’opération se poursuit avec leur chargement sur des pick-up qui les emmènent sur des points de regroupement où les cageots sont vidés dans la remorque de camions à large plateau. Pour faciliter les opérations de transfert, les godets de rétro-chargeurs sont souvent utilisés.
A lire aussi : Algérie : la galère des importateurs de véhicules
Devant les conserveries de tomates, de longues files de camions attendent leur tour pour accéder au pont bascule et aux opérations de déchargement. L’attente peut être longue et malgré la bâche en plastique qui tapisse le fond des remorques, du jus de tomate s’écoule par intermittence.
A Chlef, un producteur se plaint auprès d’Ennahar TV d’une récolte inférieure à celle de l’année passée ; en cause les maladies survenues après la pluie. Au contraire, un autre se félicite du niveau de la production. Un troisième confirme un manque de tonnage et le coût élevé des engrais, du matériel d’irrigation par goutte à goutte et des produits phytosanitaires vendus par les grainetiers privés. Ces derniers apportent un réel appui technique, matériel et souvent financier en acceptant d’être payé après récolte mais des études notent les marges importantes prises par certains d’entre eux.
A lire aussi : La France s’intéresse à la pomme de terre algérienne
Le mérite de l’essor de la filière de la tomate industrielle algérienne revient aux agriculteurs, transformateurs mais également à la politique de Droits additionnels provisoires de sauvegarde (DAPS) qui protègent l’a des importations. Le concentré de tomate importé est sujet à une taxation qui comprend des droits de douane de 30% et des DAPS de 120%. Ce contexte explique le développement de la production locale et de l’ouverture de nouvelles capacités de transformation.
Selon le président de Conseil national interprofessionnel de la tomate (CNIFT), Mostefa Mazouzi, la production algérienne de tomate industrielle a atteint le chiffre record de 2,7 millions de tonnes contre 2,4 millions de tonnes.
Récemment, le cabinet de conseil Finabi faisait état du marché international de la tomate et de la production en Algérie. Une production locale qui aujourd’hui permet de réduire les importations de Chine de triple concentré de tomate conditionné en barils bleus de 230 kilos. Des barils parfois ré-étiquettés comme européens lors de leur passage en Italie.
La production locale a tendance à sortir de ses zones traditionnelles. Selon le CNIFT, les wilayas d’Annaba, Skikda, El Tarf et Guelma y consacrent 17.000 hectares auxquels il s’agit de rajouter ceux cultivés dans les wilayas de Souk Ahras, Oum El Bouaghi, Khenchela et Tébessa et surtout ceux des wilayas de l’ouest et du sud avec Oued Souf, In Salah, El Ménéa et Adrar. Une situation qui fait dire à Mostefa Mazouzi qu’aujourd’hui il existe en Algérie une production « tout au long de l’année ».
Il précise également que 50% de cette production est « destinée à la consommation en frais alors que l’autre moitié est écoulée pour la transformation ». Une diversification bien venue pour les producteurs d’autant plus que sont apparues des variétés mixtes.
En Algérie, les producteurs de tomate industrielle bénéficient d’une prime de l’ordre de 4 DA par kg qui s’ajoute aux 12 DA versés par les conserveries. Cette culture nécessite aujourd’hui des moyens financiers non négligeables. Les producteurs font face à différents coûts : location des terres, fort niveau de fertilisation, achat de plants, main d’œuvre pour la plantation et la récolte, matériel d’irrigation et protection phytosanitaire. Certains producteurs mécanisent les opérations de plantations et de récolte, mais c’est loin d’être la norme.
A Relizane les établissements La Belle ont ouvert une nouvelle conserverie avec une capacité quotidienne de 3 300 tonnes qui devrait passer à 7 800 tonnes à l’avenir. Son représentant confiait récemment à La Patrie News TV : « nous encourageons l’agriculteur techniquement et financièrement jusqu’à la récolte ».
Une politique « hybride » de contractualisation
Outre la prime de 4 DA qu’accorde l’Etat aux producteurs il en est une deuxième de 1,50 DA par kilo transformé que perçoivent les conserveries. Une étude (1) de 2017 concernant la politique de contractualisation au niveau des filières lait et tomate industrielle montre que le dynamisme actuel de la filière relève « d’un dispositif hybride public-privé dans lequel l’Etat intervient de façon centrale à travers une forte politique d’incitation (primes) ». A travers le vocable « hybride », ces auteurs soulignent qu’à contrario des formes de dispositifs dans lesquels l’Etat n’intervient pas existent à l’étranger.
Les auteurs de l’étude précisent que « chaque kilogramme de tomate fraîche collecté par les conserveries coûte à l’Etat 5,5DA, soit 36,6% de son prix d’achat. Dans cette filière, les 656.441 tonnes de tomate fraîche collectées en 2015 ont coûté à l’Etat 3,6 milliards de dinars, dont 73% profitent aux agriculteurs (960.474 DA/agriculteurs). » Aussi estiment-ils que si le dispositif a permis « l’augmentation considérable des volumes collectés » le résultat « semble coûteux ».
Ils ajoutent que « les entreprises profitent des différentes subventions qui réduisent le coût de revient de leurs matières premières » mais s’interrogent quant à « leurs efforts dans l’amélioration de leur propre compétitivité (réduction des coûts et investissements) et dans l’accompagnement des agriculteurs pour améliorer leurs performances productives (…) »
Aussi suggèrent- ils, « le passage à une deuxième génération de mécanismes d’incitation [qui] est nécessaire pour provoquer ou accompagner la transition vers une agriculture contractuelle plus tournée vers l’amélioration des performances productives et économiques des acteurs. »
Mobiliser les réserves de productivité
Pour gagner en productivité et réduire les coûts de production, les producteurs multiplient les innovations. En mai dernier, à Guelma le quotidien El Watan faisait état de la disparition de l’irrigation par aspersion au profit de celle plus économe par goutte à goutte. Outre la réduction des besoins en eau à la parcelle, cette technique permet des rendements passant de 300 à 800 quintaux notamment en apportant directement les engrais mélangés à l’eau. Autre stratégie, la mécanisation des opérations de récolte ou celles de plantation. Dans ce dernier cas, le matériel est plus accessible.
La filière bénéficie des DAPS qui, comme l’indique leur dénomination, constituent une protection « Provisoire ». Face aux différents défis rencontrés, le CNIFTO a rédigé un document de travail qui propose de « pénétrer les marchés spécialisés » étrangers en « valorisant l’origine, la qualité, la saisonnalité et l’expérience locale ». L’Algérie peut « construire une chaîne d’exportation efficace, durable et distinguée » à condition que la disponibilité en eau soit assurée ne manquent pas de préciser les rédacteurs du document.
Note : (1) L’agriculture contractuelle en Algérie : radiographie de dispositifs public-privé. 2017 (disponible en ligne).