Économie

Algérie-Espagne : l’arme redoutable des représailles commerciales

L’Algérie est en crise ouverte avec l’Espagne depuis près de trois mois. Depuis précisément le 18 mars 2022, lorsque le gouvernement de Pedro Sanchez a décidé de s’aligner sur les thèses marocaines par rapport à la question du Sahara occidental.

En qualifiant le plan d’autonomie marocain de base la plus « sérieuse, crédible et réaliste » pour la résolution du conflit, l’Espagne a provoqué la colère de l’Algérie qui plaide pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination conformément aux résolutions de l’ONU.

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Alger a depuis multiplié les réactions, mais la crise n’a vraiment pris de l’ampleur que lorsque l’Algérie a agité le levier des représailles commerciales. Celles-ci semblent être les plus douloureuses de toutes les mesures prises par Alger jusque-là. Au point où le gouvernement espagnol cherche à internationaliser la crise en évoquant un rôle de Moscou.

Même lorsque la préférence a été donnée à l’Italie pour la fourniture de quantités supplémentaires de gaz avec la signature d’un contrat dans ce sens entre Sonatrach et ENI en avril, les autorités espagnoles n’ont pas paniqué.

L’Algérie fournit 45 % de ses besoins en gaz à l’Espagne, mais cette dernière a diversifié ses ressources en optant pour le GNL américain. Du reste, malgré une menace directe de fermer le robinet si son gaz venait à être fourni au Maroc, l’Algérie a plusieurs fois assuré qu’elle respectera ses engagements contractuels.

Mercredi 8 juin, suite à un discours de Pedro Sanchez devant le Parlement de son pays dans lequel il a défendu son revirement, l’Algérie a fermement réagi en annonçant la suspension du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération qui lie les deux pays depuis 20 ans.

La décision est suivie d’une note de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF), suspendant les domiciliations pour les opérations commerciales de et vers l’Espagne.

Ces deux décisions traduisent la détermination d’Alger à utiliser tous ses leviers, y compris économiques et commerciaux, pour appuyer ses positions et sa politique étrangère.

Auparavant, il a été fait état aussi de la fermeture du marché algérien au bœuf espagnol.

Dès jeudi 10 juin, José Manuel Albares, le ministre espagnol des Affaires étrangères, était à Bruxelles où il est allé dénoncer ce qu’il considère comme une violation par l’Algérie de son accord d’association avec l’Union européenne. Le même jour, Nabila Massrali, porte-parole des Affaires étrangères de l’UE, a indiqué que Bruxelles était « extrêmement préoccupée » par la situation, appelant « la partie algérienne à revoir cette décision ».

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Le lendemain, vendredi 9 juin, le plus haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, et le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, sont revenus à la charge, apportant un soutien ferme à l’Espagne. « L’UE est prête à s’opposer à tout type de mesures coercitives appliquées à un État membre de l’Union européenne », ont-ils indiqué dans une déclaration commune.

Des intérêts non négligeables

L’Algérie a répondu par le biais de sa représentation diplomatique à Bruxelles qui a déploré « la précipitation avec laquelle la Commission européenne a réagi (…) sans s’assurer que cette mesure (la suspension du traité d’amitié) n’affecte ni directement, ni indirectement ses engagements contenus dans l’Accord d’association Algérie-Union européenne ».

« S’agissant de la prétendue mesure d’arrêt par le gouvernement des transactions courantes avec un partenaire européen, elle n’existe en fait que dans l’esprit de ceux qui la revendiquent et de ceux qui se sont empressés de la stigmatiser », a ajouté la représentation algérienne.

En agitant la menace des représailles économiques, l’Algérie a montré la place qu’elle occupe dans l’économie espagnole, et suscité la réaction de l’Union européenne qui est prête à bondir dès que ses intérêts économiques sont menacés.

La note de l’Abef, qui n’a pas été démentie par cette association, a permis de faire pression simultanément sur les importateurs algériens qui vont sans doute essayer de se détourner du marché espagnol pour ceux qui le peuvent, et sur les entreprises espagnoles qui peuvent perdre un marché de plusieurs milliards de dollars alors que l’Espagne est fortement divisée sur la décision de Pedro Sanchez de provoquer une crise inédite avec l’Algérie.

« La note de l’Abef n’a rien d’officiel, mais elle a permis de toucher le point faible des Espagnols et des Européens en général : le commerce avec l’Algérie », note un homme d’affaires algérien. « Même si, concède-t-il, l’Abef ne peut pas légalement ordonner le gel du commerce extérieur avec un pays étranger et ses interventions dans la gestion des transactions avec l’étranger n’est pas bon pour la crédibilité de l’Algérie auprès des investisseurs étrangers ».

Cet épisode a montré que l’Espagne dont les intérêts avec l’Algérie ne sont pas négligeables n’a peut-être pas évalué les conséquences économiques de la réaction d’Alger.

L’Espagne a exporté vers l’Algérie pour 3 milliards de dollars en 2019 et pour 2 milliards en 2020, qui n’est pas une année référence à cause de la crise sanitaire. Elle est le troisième client de l’Algérie (après l’Italie et la France) et son cinquième fournisseur (derrière la Chine, la France, l’Italie et l’Allemagne).

Lorsque, en rentrant de Bruxelles vendredi, José Albares a discuté avec les parlementaires des autres partis, il a mis en avant la situation des hommes d’affaires espagnols pour obtenir du soutien en interne. Selon le journal El Confidencial, Albares a sollicité le soutien des autres groupes parlementaires, non pas pour le gouvernement, mais pour les entreprises espagnoles qui se retrouvent pénalisées par la crise.

Depuis mars, le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez fait face à la contestation d’une partie de la classe politique à cause de son revirement sur le Sahara occidental. Il doit faire face désormais à la colère du monde des affaires de son pays. La presse espagnole a fait état d’annulations de commandes pour de nombreuses entreprises commerçant avec l’Algérie. Cependant, c’est toute l’Espagne qui a peur pour son gaz, dont près de la moitié provient d’Algérie.

Le gazoduc Maghreb-Europe qui traverse le Maroc est déjà fermé depuis 7 mois, en guise de représailles économiques contre ce dernier pays, avec qui les relations diplomatiques ont été rompues en août 2021. « C’est l’Algérie qui a fait de l’Espagne un hub gazier, mais les socialistes espagnols ne sont pas reconnaissants », regrette un ex-ministre algérien.

L’Espagne redoute que l’Algérie ne reconduise son contrat d’approvisionnement en gaz ou réclame une augmentation conséquente du prix. L’Algérie n’a pas affiché une telle intention, mais elle a montré, depuis déjà sa crise avec le Maroc en 2021, qu’elle sait dégainer l’arme économique.

En tous cas, la crise avec l’actuel gouvernement espagnol a presque atteint un point de non retour, avec la tentative de Madrid d’internationaliser le conflit en impliquant Moscou.

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