Économie

Algérie : les enjeux du recensement du cheptel

Lors des assises de l’agriculture tenues mardi 28 février à Alger, le président Abdelmadjid Tebboune s’est félicité des opérations de recensement du cheptel ovin.

Le nombre de têtes de moutons en Algérie serait de 19 millions et non pas de 29 millions comme admis auparavant. Un chiffre qui devrait permettre de connaître les capacités nationales de production de la viande rouge et d’améliorer les attributions d’orge subventionnée aux éleveurs.

Dans les régions steppiques où est concentré l’élevage ovin, les parcours ne suffisent plus à nourrir les animaux. Depuis des années, les services agricoles subviennent à la pénurie de fourrage en assurant la vente d’orge.

Les enjeux du recensement du cheptel

De l’orge vendue aux éleveurs à un prix réglementé bien moins élevé que celui du marché informel. Jusqu’à ces dernières années, sur la base d’une attestation délivrée par les services vétérinaires, les éleveurs pouvaient acquérir un quota de 300 grammes d’orge par tête de moutons détenu afin d’assurer les besoins des animaux durant l’hiver.

Un marché informel de l’orge

Depuis des années les éleveurs dénoncent la vente frauduleuse d’orge par des opérateurs privés où ce qu’ils appellent « l’orge des garages ». Ils affirment qu’il s’agit le plus souvent d’orge détournée car provenant de quotas attribués à de faux éleveurs.

Des individus  réussissant à se procurer des attestations vétérinaires ou bénéficiant de complicités diverses. A peine franchit les portes des Coopératives de Céréales et de Légumes secs (CCLS), ces cargaisons voient leur valeur doubler. Une situation qui de tout temps exaspère les éleveurs qui se sentent floués et qui crient à l’injustice.

Quant aux issues de meunerie, tel le son, la spéculation est également présente. Là, ce sont des minoteries qui commercialisent des quotas de son au-delà du prix réglementé de 1600 DA le quintal.

Nombreux sont les éleveurs qui disent être obligés d’acheter du son à 3.400 DA le quintal alors que sur la facture qui leur est délivrée est marqué 1.600 DA le quintal. Lors de la dernière sécheresse, des éleveurs témoignaient de leur indignation en demandant comment ce faisait-il que de simples épluchures de blé (le son) valaient autant, voire plus que le blé lui-même.

Surpâturage en steppe

Ces derniers temps, la spéculation sur l’orge et le son est devenue plus forte du fait de la plus faible productivité des parcours steppiques. En cause, la sécheresse qui frappe l’Algérie depuis des années, mais également l’augmentation inconsidérée du cheptel sur ces territoires fragiles.

Nombreux sont les agronomes qui notent que l’attribution d’orge a eu l’effet inverse attendu. Si elle permet de nourrir les animaux en période de soudure, elle permet également à l’éleveur d’élever plus de bêtes d’où une pression accrue sur la steppe. Des zones où les touffes d’alfa pouvaient mesurer jusqu’à 1,5 de hauteur ont depuis longtemps disparu.

Un recensement du cheptel pour mieux nourrir les moutons

Au-delà de la controverse sur les statistiques liée au nombre de moutons, la question concerne leur alimentation. En absence d’industries à Djelfa ou à Naâma, le revenu de la population locale provient essentiellement de l’élevage.

Dans les années 1970, le camion « GAK » a permis une révolution : le déplacement rapide des troupeaux vers les pâturages les plus riches. L’accaparement de pâturages et leur gratuité a entraîné de fortes disparités de revenus entre petits éleveurs démunis et ceux disposant de camions.

Pour assurer la nourriture d’un cheptel de 19 millions de têtes, deux solutions sont possibles : produire plus de fourrages et utiliser les sous-produits des industries agro-alimentaires comme le son de blé.

Progression de la production de fourrages

Ces dernières années, avec la production de maïs fourrage ensilé, l’offre s’est considérablement améliorée.

Aujourd’hui, il est fréquent de voir des camions chargés de balles rondes de fourrage enrubannées sillonner les routes algériennes. Des fourrages souvent produits dans le sud sous pivot d’irrigation avec exploitation des eaux souterraines. Mais ce type de fourrages est destiné en priorité aux élevages de vaches laitières.

Plus au nord, dans les zones céréalières, la production de fourrage non-irrigué progresse, mais elle reste insuffisante. Une des solutions serait de procéder comme les éleveurs corses : semer rapidement et à faible coût les terres en jachère, sans même labourer le sol, en utilisant des mélanges d’espèces fourragères.

Des mélanges beaucoup plus riches que la simple flore spontanée que pâturent actuellement les moutons. Des essais réalisés en Tunisie s’avèrent concluants.

Autre solution, épandre de l’engrais azoté sur les jachères pâturées comme un moment évoqué par le spécialiste en fourrage Aïssa Abdelguerfi. L’Algérie ne manque pas d’urée car elle est produite localement. Mais ce type d’épandage a un coût et reste inconnu des agriculteurs locaux puis « les surplus » d’urée produits en Algérie sont exportés.

Valoriser les sous-produits de l’agro-industrie

La recherche agronomique locale a proposé de mieux valoriser certains sous-produits dont ceux des industries agro-alimentaires algériennes.

C’est le cas du son actuellement utilisé par les éleveurs à l’état brut. A ce titre, les éleveurs ont les mêmes pratiques que dans les années 1960. Depuis des années, les chercheurs de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (Alger) ont proposé de l’enrichir en éléments minéraux, azote et énergie avant de le donner aux animaux sous forme de bloc multinutritionnel.

Il existe d’autres sous-produits : tourteaux de soja des usines de trituration de soja, mélasse des raffineries de sucre roux, grignons d’olives des moulins oléicoles.

Les premiers sont surtout utilisés pour l’alimentation des poules. A l’étranger, une fois passés dans une extrudeuse, ces tourteaux sont même utilisés en alimentation humaine et peuvent entrer à raison de 25 % dans la viande hachée.

Quant à la mélasse, une partie sert à la fabrication de levures ou d’alcool chirurgical et le reste est ré-exporté ; jusqu’à 22.000 tonnes en 2017 !

Or, rien de plus facile que d’utiliser de la mélasse. Il suffit pour l’éleveur d’arroser les balles de paille avec ce liquide pour doubler, voire tripler leur valeur alimentaire. Reste le prix de la mélasse; les quelques éleveurs qui l’utilisent estiment son prix élevé. Faudra-t-il un jour subventionner ce produit ?

La mélasse possède un statut particulier. Outre sa richesse en sucre, elle peut être mélangée à de l’urée et servir d’aliment d’appoint pour le bétail en période de soudure.

Quant aux grignons d’olives, ils s’avèrent nourrissants pour les moutons. Mais encore faut-il les sécher pour pouvoir les conserver. Actuellement, la plupart d’entre eux sont abandonnés et pourrissent parfois à proximité des moulins.

La facilité des importations

Les possibilités de culture locale de fourrages et d’utilisation des sous-produits des industries alimentaires sont vastes. Cependant, leur mise en œuvre peut s’avérer contraignante. Plus contraignant que de faire accoster des bateaux étrangers aux soutes chargées d’orge dans les ports algériens.

Lors des assises de l’agriculture, le président Abdelmadjid Tebboune a signifié que ce temps était révolu. A plusieurs reprises il a eu l’occasion d’insister sur la nécessité de la modernisation des mentalités en agriculture. Sera-t-il entendu cette fois-ci ?

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