Économie

Ali Bey Nasri : « La Banque d’Algérie fait la chasse à l’exportateur »

Pourquoi l’Algérie n’arrive-t-elle pas à développer ses exportations hors hydrocarbures qui restent dérisoires malgré l’énorme potentiel des exportateurs algériens ? Dans cet entretien, Ali Bey Nasri, président de l’Association des exportateurs algériens (Anexal) expose les raisons, et met en cause la réglementation de contrôle des changes et la Banque d’Algérie.

Les exportations algériennes d’hydrocarbures ont fortement baissé en 2020 de 33 % à 22 milliards de dollars, selon le ministre de l’Énergie. Qu’en est-il pour les exportations hors hydrocarbures ?

Ali Bey NasriJe pense qu’on ira vers un montant d’exportations de 2 milliards de dollars. Soit une régression d’à peu près 20 % par rapport à l’année dernière où nous avons exporté quelque chose comme 2,5 milliards de dollars.

Il y a une baisse en valeur des fertilisants car ce sont eux qui impactent à hauteur de 70 % le volume des exportations. La diminution des exportations est à ce niveau.

La chute des exportations hors hydrocarbures de l’ordre de 500 millions de dollars est due essentiellement à la chute des prix du pétrole étant donné que les fertilisants en sont des dérivés.

En revanche, sur d’autres produits il y a eu un développement assez conséquent pour ne prendre que le segment de l’agroalimentaire qui a connu de fortes exportations cette année notamment le sucre et dans une moindre mesure certains produits agricoles.

Mais c’est essentiellement le sucre qui est à l’origine de cette poussée, et je pense qu’il y aura une augmentation de 15-20 % des exportations de sucre.

On a aussi une exportation importante de ciment et des produits sidérurgiques. Ce sont les trois segments qui ont connu un développement à l’export en 2020.

« Il n’y a pas d’intelligence dans l’approche de l’export »

La chute de la valeur du dinar a-t-elle eu un impact sur les exportations algériennes hors hydrocarbures ?

Les exportateurs qui sont aussi des producteurs ont été impactés par la dévaluation du dinar. Ils achètent plus chers les matières premières.

En revanche, les exportateurs de certains produits, notamment agricoles, ont bénéficié d’une évolution positive de la parité du dinar.

Parlons de la réglementation de contrôle des changes de l’Algérie. Vous l’avez critiquée à plusieurs reprises, quel est son impact sur les exportations ?

C’est devenu une course d’obstacles. Je prends juste quelques exemples. Pour payer une prestation de service à l’international, la Direction générale des impôts vous demande de payer une taxe de 24 %.

Or, cette démarche est anormale parce qu’il s’agit d’un service qui a été effectué à l’international et qu’il n’est pas soumis à cette obligation. Il ne s’agit pas d’une importation de service.

Selon le principe de l’extraterritorialité des taxes, on n’est pas censé payer. Je le dis bien : il n’y a pas d’intelligence dans cette approche de l’exportation. On a beaucoup de contraintes.

Actuellement, nous sommes asphyxiés par le fret maritime : il n’y a pas de containers à l’export. On attend jusqu’à 15 jours à trois semaines mais le client n’attend pas.

Quand vous avez 3 000 dollars à payer à votre commissionnaire à l’étranger, vous n’allez pas les réaliser. On nous demande tel ou tel autre papier…Il s’agit de mon compte exportateur et la réglementation me permet de le faire.

« La Banque d’Algérie fait la chasse à l’exportateur »

Vous pointez souvent des aberrations à l’export. Des exemples concrets à nous citer ? 

Je vous donne l’exemple des pâtes alimentaires. La décision de l’État de suspendre l’exportation de ces produits pour sécuriser le marché national est antiéconomique. Or, il y a une surcapacité de production de 300 % et elle satisfait autant le marché national.

Nous avons approché les autorités concernées et leur avons expliqué que cette décision est antiéconomique du fait qu’il y a une capacité de production dormante. Pourquoi ne pas l’utiliser pour faire rentrer la devise en Algérie, selon le principe du partage de la valeur ajoutée ?

Par exemple, l’État me donne 1 million de dollars pour exporter, moi j’exporte pour 1,2 million de dollars, cela veut dire que le pays bénéficie d’un gain de 200 000 dollars. Et chose plus importante, il y a des emplois qui sont créés.

Nous avons des demandes d’importation très importantes : pour le secteur des pâtes, nous enregistrons une demande de l’ordre de 30 millions de dollars. Sur la base d’une valeur ajoutée de 20 %, c’est 6 millions de dollars que l’Algérie gagne. Alors, pourquoi s’en priver ?

Qui plus est, on a créé de l’emploi. Actuellement, il y a des opérateurs qui se préparent pour exporter ce qu’on appelle nous le ‘’fric’’ et autres dérivés des pâtes.

Ainsi, on fait travailler des artisans et on leur assure un salaire. Sur la base d’un prix de 280 dollars la tonne de blé dur à l’import, je vends à 3 500 dollars, voyez le gain !

Que faut-il revoir dans la réglementation de change pour faciliter l’acte d’exportation ?

Lorsque vous avez une attestation de rapatriement de devise, elle vous envoie une mise en demeure disant que si vous ne rapatriez pas 1 000 dollars, vous tombez sous le coup de l’ordonnance 96/22 criminalisant la fuite des capitaux.

Est-ce que 1 000 dollars à l’export sont considérés comme une fuite de capital ? Comment voulez-vous que les opérateurs travaillent dans ces conditions si on ne change pas le « logiciel » de la méfiance et de suspicion à l’égard de l’exportateur ?

Si on n’est pas dans une logique de confiance et d’encouragement, on n’ira pas très loin. La Banque d’Algérie fait la chasse à l’exportateur, elle l’attend au tournant.

Le combat que nous menons actuellement c’est de laisser les entreprises réinvestir à l’étranger sur leur compte devises propres. Il est désolant de voir que dans tous les pays du monde on encourage les entreprises d’aller à l’export sauf en Algérie. Si on ne s’installe pas dans des marchés à l’extérieur du pays, par exemple en Afrique, d’autres le feront à notre place.

Quel est l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur les exportateurs algériens ?

L’une des conséquences de la pandémie, c’est d’abord la suspension de certains produits à l’export. Jusqu’à maintenant l’huile, le sucre et les pâtes ne sont pas exportables.

Il y a eu des dérogations qui ont permis d’honorer les contrats et c’est ce qui a permis d’ailleurs la poussée de l’exportation du sucre et à un degré moindre l’huile.

Pour l’agroalimentaire et notamment dans le secteur des pâtes, ce sont quasiment 15-20 millions de dollars qui sont perdus. Ajoutez-y les pertes d’emplois.

L’Algérie va exporter pour seulement 22 milliards de dollars d’hydrocarbures en 2020. N’est-il pas temps de changer de stratégie et de ne plus compter sur la rente ?

Pour les hydrocarbures, nous connaissons une augmentation de la consommation intérieure et une absence de nouvelles découvertes de gisements, et le marché va encore devenir de plus en plus compétitif ce qui pourrait signifier qu’on arrivera à des recettes annuelles de 15 milliards de dollars d’exportation d’hydrocarbures, ce qui est difficile à imaginer.

Je signale aussi qu’on exporte de moins en moins de pétrole à cause de l’augmentation de la consommation domestique.

Les réserves sont en train de chuter et les nouvelles découvertes se font plus rares. Ce qui devrait nous pousser à donner un coup de pied dans la fourmilière.

Nous avons 40 000 importateurs qui peuvent facilement se convertir dans l’export, ils ont acquis des marchés à l’extérieur et ils maîtrisent les processus. Seulement, aidons-les et ne leur mettons pas les bâtons dans les roues.

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