Le scénario catastrophe d’un attentat en pleine campagne présidentielle française était redouté. La menace s’est concrétisée jeudi soir, peu avant 21h, au niveau du 102 des Champs-Élysées à Paris. Un policier a été tué, deux autres blessés, et une passante légèrement touchée par balle par un homme connu des services de renseignement. L’attaque a aussitôt été revendiquée par l’organisation État islamique.
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Un scrutin pris en otage
La plus belle avenue du monde est devenue hier soir le symbole de toutes les inquiétudes des Français sur la question de la sécurité. À trois jours du premier tour du scrutin présidentiel, le terrorisme a donc kidnappé les dernières heures de cette campagne. Ironie du sort, au moment même de l’attaque, se déroulait sur France 2, la dernière émission politique avec les 11 candidats à la présidentielle.
Le président François Hollande a pris la parole hier soir, peu après 23h. « Nous serons d’une vigilance absolue, notamment par rapport au processus électoral », a-t-il dit dans la cour de l’Élysée. « Rien ne doit entraver » le bon déroulement de l’élection présidentielle, a déclaré vendredi matin le Premier ministre, Bernard Cazeneuve.
Mardi, l’arrestation de deux individus à Marseille préparant un attentat avait déjà replongé la France dans la réalité de cette menace permanente.
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Mais dans un contexte extrêmement incertain sur l’issue de ce vote -Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon sont au coude-à-coude- cette attaque ne peut que renforcer les incertitudes. D’autant plus qu’un quart des électeurs se disent encore indécis, selon une enquête du Cevipof, le centre de recherche de Sciences Po, réalisée les 16 et 17 avril. Avec l’attaque de jeudi soir, la réalité terroriste bouleverse ce scrutin, avec un vrai risque d’instrumentalisation de la peur. Le vote va donc se dérouler dans un contexte d’émotion nationale.
Le Pen redoute de nouvelles attaques d’ici dimanche
Comme on pouvait s’y attendre, la récupération politique n’a pas tardé. Vendredi matin, la présidente du Front national, Marine Le Pen, joue sur la peur. Elle dit redouter de nouvelles attaques avant dimanche. « Le danger est maximum », a-t-elle dit au micro de RFI. « Je ne vais pas en dire plus, mais en l’occurrence nous savons que l’État islamique a envoyé au moins un terroriste pour commettre des attentats, que celui-ci est toujours dans la nature, donc le danger est maximum ».
Dès hier soir, François Fillon, le candidat de la droite et du centre, a annoncé qu’il suspendait sa campagne. Emmanuel Macron a annulé ses déplacements. Benoît Hamon, candidat du PS à l’élection présidentielle, a quant à lui jugé « sordide » la « surenchère » politique autour des attentats, et maintenu son déplacement. À quelques heures de la clôture de la campagne officielle avant le premier tour, l’ancien ministre déplore une campagne « d’acteurs » digne d’une « société du spectacle ». Jean-Luc Mélenchon a également maintenu son programme.
Un précédent à Madrid en 2004
Reste à savoir si une attaque terroriste à quelques jours d’une élection peut modifier les choix des électeurs. Les attentats de Madrid le 11 mars 2004 sont souvent cités comme exemple pour tenter de voir quel est l’impact d’une telle situation sur les citoyens. Ce jour-là, 10 bombes explosent dans des trains peu avant 8h du matin. 191 personnes perdent la vie, près de 2000 sont blessées. Ces événements dramatiques se déroulent seulement trois jours avant les élections législatives du 14 mars.
Les sondages réalisés avant ces attentats donnent le parti populaire (PP), au pouvoir, vainqueur face au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Or, c’est finalement le parti donné perdant qui remporte ce scrutin. L’instrumentalisation des événements par le parti au pouvoir -le gouvernement met en cause l’organisation terroriste ETA alors qu’il s’agit d’Al Qaïda – est certainement une des explications possibles de leur défaite. La veille du scrutin, des manifestations ont lieu pour « savoir la vérité avant de voter ».
La seconde explication possible à cet échec – en plus de cette erreur de communication gouvernementale – est l’engagement de Madrid aux côtés des Américains dans la guerre en Irak, sanctionné par les électeurs.
Les régionales, un mois après le 13 novembre 2015
On peut aussi citer l’exemple des élections régionales de 2015 en France qui se sont déroulées moins d’un mois après les attentats du 13 novembre. À deux jours du premier tour de ce scrutin, les enquêtes d’opinion donnent le Front national en tête des intentions de vote.
Confirmation au premier tour du 6 décembre… malgré les appels incessants du gouvernement à voter contre le FN. Le parti d’extrême-droite enregistre le meilleur score de son histoire. Il se maintient au second tour dans les treize régions et arrive en tête dans six d’entre elles. Au second tour, le 13 décembre, le FN échoue finalement à remporter un seul exécutif régional.