Politique

Campagne contre l’accord de 1968 en France : la main du Maroc ?

Les amis du Maroc en France sont-ils pour quelque chose dans la croisade menée par la droite contre l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration ?

Plusieurs éléments historiques et factuels permettent de penser en tout cas que l’unanimité subite des milieux de droite contre ce texte est tout, sauf innocente.

Rien ne va plus entre le Maroc et la France d’Emmanuel Macron. Si, avec Alger, Paris a su à chaque fois dépasser ses brouilles, sa crise avec Rabat s’inscrit dans la durée.

L’affaire de l’espionnage du téléphone du président français par les services marocains, via le logiciel israélien Pegasus, n’est pas, comme on pourrait le penser, l’unique source du froid entre les deux capitales.

Pour de nombreux observateurs, Emmanuel Macron a dès le début fait le choix pragmatique d’une relation privilégiée avec l’Algérie, contrairement à ses prédécesseurs, notamment ceux de droite, qui ont toujours vu dans le Maroc le premier allié de la France au Maghreb.

Avant même d’entrer à l’Élysée, Emmanuel Macron est venu à Alger où il a proclamé en février 2017 que la colonisation était « un crime contre l’humanité ».

Cette phrase et les gestes qu’il multipliera durant son premier mandat en faveur de la réconciliation des mémoires lui ont attiré les foudres des milieux de droite, tout comme son rapprochement avec Alger était naturellement mal accueilli du côté de Rabat, de surcroît dans un contexte de forte crise entre l’Algérie et le Maroc.

La droite française et le Maroc, déjà historiquement très proches, ont trouvé un point de ralliement supplémentaire dans cette politique d’apaisement du président français avec l’Algérie.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a, plus d’une fois, fait l’éloge de son homologue français et fustigé les « lobbies » qui font tout pour empoisonner la relation entre les deux pays.

Ce n’est pas la première fois que les mêmes lobbies tentent de saborder un rapprochement algéro-français. En 2003, le président Jacques Chirac a effectué une visite en Algérie restée dans les mémoires.

Les deux pays avaient entrepris de conclure un traité d’amitié, mais des milieux hostiles de la droite ont tout fait capoter en faisant voter la loi dite du 23 février 2005 glorifiant la colonisation. Depuis, le projet de traité d’amitié est abandonné. Le président Chirac voulait rétablir une relation spéciale avec l’Algérie, mais il a été contrarié par sa famille politique.

Algérie – France : l’histoire se répète

Outre la mémoire, l’immigration est un autre levier efficace qui peut être actionné pour mettre des bâtons dans les roues de la relation algéro-française que les présidents Macron et Tebboune tentent de mettre place.

C’est ce que semble faire la partie dure de la droite depuis qu’Emmanuel Macron a décidé de chambouler les priorités de la France au Maghreb.

Il y a aussi des éléments qui permettent de désigner le Maroc comme partie prenante dans cette entreprise de contrecarrer la politique maghrébine du président français.

À chaque mise au pilori du royaume sur la scène internationale, comme lors du vote de deux résolutions du Parlement européen (PE) condamnant le Maroc en janvier dernier, les Marocains ont accusé Emmanuel Macron d’avoir actionné les élus de son parti au PE, sur instigation d’Alger. Dans leurs attaques, les Marocains prennent la précaution de cibler Emmanuel Macron, pour ne pas froisser leurs relations avec le reste de la France.

Le Maroc a pu faire céder l’Espagne sur la question du Sahara occidental en usant de la carte du chantage migratoire, mais un tel levier ne peut pas être utilisé avec la France, au moins à cause de l’éloignement géographique. En plus, la question du Sahara occidental ne mobilise pas l’opinion française, comme l’immigration algérienne.

D’où le recours à ses lobbyistes et ses alliés traditionnels dans la classe politique française. Sur ce point, le Maroc, malgré ces récents revers à cause de l’affaire d’espionnage via le logiciel Pegasus, n’a pas perdu totalement ses capacités de nuisance et d’influence en France. D’autant que dans la guerre que Rabat mène contre Macron, les Marocains ont des alliés circonstanciels de taille en France.

Éric Ciotti, président des Républicains, a presque vendu la mèche lors de son déplacement au royaume en mai dernier, en compagnie de la franco-marocaine Rachida Dati.

Les deux personnalités de la droite française ont plaidé publiquement la reconnaissance par la France de la « souveraineté marocaine » sur les territoires occupés du Sahara occidental. Une position opposée à celle officielle de la France qui n’a pas emboîté le pas à l’ex-président américain Donald Trump sur cette question délicate.

Est-il un hasard si Ciotti, dès son retour en France, a été le premier, en dehors de l’extrême-droite, à réclamer la révocation de l’accord algéro-français de 1968 sur l’immigration ?

Son parti, les Républicains, est aussi la première formation politique à annoncer une action concrète pour la suppression du traité, une proposition de résolution qui sera incessamment déposée au parlement. Une démarche qui peut lui permettre de reconquérir des terres perdues en faveur de l’extrême-droite, mais aussi de nuire à la politique algérienne de Macron.

« (….) agiter ce chiffon rouge est une manière d’embêter à peu de frais Emmanuel Macron, qui a fait de la ré­con­ci­lia­tion avec l’Algérie un point fort de sa présidence », pointe sur l’Express Pierre Vermeren, professeur à la Sorbonne et auteur d’Histoire de l’Algérie contemporaine.

Le président Macron qui cherche à « rétablir une relation spéciale » avec l’Algérie se retrouve sous les feux de la droite, souligne un spécialiste des relations franco-algériennes. Si la main du lobby marocain est absente dans cette campagne contre les accords de 1968, cette affaire est une aubaine pour le Maroc.

La multiplication et la simultanéité des appels à dénoncer l’accord cachent mal une action concertée et des objectifs autres que celui de réguler les flux migratoires, dans un contexte de réchauffement des relations entre l’Algérie et la France, avec une visite d’État programmée du président Tebboune à Paris.

Les Algériens ne représentent que 12% des étrangers présents en France, de l’aveu de l’un des pourfendeurs de l’accord de 1968, l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt.

Ceux qui s’attaquent à ce texte ne sont pas sans savoir que les autorités algériennes y tiennent et que sa révocation déclenchera la plus grande crise entre les deux pays depuis l’indépendance. Driencourt l’a dit sans ambages : ce sera la rupture pure et simple des relations diplomatiques entre Alger et Paris.

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