Économie

Céréales : les objectifs de l’Algérie anéantis par la sécheresse

L’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) vient de clôturer un achat de blé portant sur 400.000 tonnes après un appel d’offres international.

Se basant sur les premières évaluations de négociants européens, l’agence Reuters indique que les approvisionnements devraient « provenir en grande partie de Russie. »

Selon Reuters, pour de nombreux négociants, il ne fait aucun doute que l’origine du blé acheté par l’Algérie soit russe, bien que les appels d’offres de l’OAIC ne précisent pas l’origine.

Achats massifs de blé russe

Ces achats se font au moment où le président de la République Abdelmadjid Tebboune a effectué une visite d’État de trois jours en Russie (14-17 juin).

La percée du blé russe sur le marché algérien réside plus dans sa compétitivité et dans la volonté de l’Algérie de diversifier ses partenaires dans ce domaine.

Alors qu’une bonne récolte se profile à l’horizon, la Russie disposerait encore de 92 à 104 millions de tonnes de blé. Selon le cabinet russe SovEcon, les stocks présents au niveau des fermes russes seraient deux fois plus importants que les années passées. Les analystes prévoient même pour 2022-2023 des exportations russes supérieures à 23% par rapport à 2022.

Par ailleurs, la réélection du président turc Recep Tayyip Erdoğan pour un troisième mandat, principal acteur de l’accord sur le corridor maritime céréalier en mer noire, constitue un facteur de stabilité qui devrait contribuer aux exportations de blé à partir de la mer noire.

Ces facteurs ne plaident pas pour une hausse des prix, la tendance à la baisse se confirme. Début juin, sur le marché européen Euronext, en moins d’une semaine, le prix du blé tendre est passé de 221 euros la tonne à 214 (prix hors fret).

Céréales : forte demande du marché domestique

En Algérie, la demande locale reste forte. Les céréales et la poudre de lait représentent les montants les plus élevés des importations algériennes de biens alimentaires.

Le pain reste un aliment de base de nombreux ménages algériens, d’autant plus que son prix est soutenu par l’État et que l’inflation touche de nombreux produits alimentaires.

La demande en blé est, par ailleurs, amplifiée par la contrebande vers les pays voisins, les détournements frauduleux vers l’élevage du mouton et le gaspillage. Dans de nombreuses villes, un nouveau métier est apparu : ramasseur de pain sec. Et dans les marchés aux bestiaux, à côté de sacs d’orge sont aujourd’hui vendus des sacs de pain sec.

La pire année climatique en Algérie

Ces récents achats de blé par l’Algérie interviennent dans un contexte de dérèglement climatique rarement observé. À une longue sécheresse printanière, à la mi-mai, sont venues s’ajouter des trombes d’eau.

De nombreux barrages pratiquement à sec ont vu leur niveau rapidement remonter. Dans la wilaya de Batna, des sebkha (lacs) asséchées depuis des années se sont transformées en de petites mers intérieures.

Mais, les parcelles de blé épargnées par la sécheresse se sont vues arrosées durant des jours et l’humidité ambiante a nui considérablement aux épis. Dans l’Est du pays, techniciens et agriculteurs se plaignent d’épis de couleur noire, en partie moisis et présentant des cas de germination des grains. Un phénomène rendant le blé impropre à la fabrication de pain. Dans certains cas, les mauvaises herbes réapparues entre les épis provoquent une gêne importante à la récolte.

Céréaliculture en Algérie : des pratiques agricoles dépassées

À ces handicaps naturels, viennent s’ajouter des pratiques agricoles dépassées. Alors que l’optimum de semis se situe autour du mois de novembre, en janvier dernier, des agriculteurs de la wilaya de Skikda confiaient à Ennahar TV qu’ils n’avaient encore pas fini de semer leurs parcelles de blé.

À Tiaret, lors du lancement de la campagne de moissons, un agriculteur témoignait, en présence du wali, de pratiques agricoles minimalistes. Ces pratiques, largement répandues en Algérie, consistent en un semis à la volée, suivi d’un simple passage d’outil à disques (cover-crop) sans apport d’engrais et d’herbicides.

En cas de faibles rendements, les parcelles de céréales sont alors louées aux éleveurs de moutons à des prix qui restent rémunérateurs pour les propriétaires.

Au Nord du pays, les services agricoles se trouvent face à un secteur moderne qui pratique une céréaliculture intensive et à un autre où les pratiques extensives dominent.

Ces services restent actuellement incapables d’apporter des alternatives à ce type de céréaliculture et à moderniser le dry-farming de façon à utiliser les terres laissées en jachère. L’objectif affiché étant d’arriver à une moyenne de 30 quintaux par hectare sur les 3 millions d’hectares réservés aux céréales en Algérie.

En février dernier, lors des Assises nationales de l’agriculture, le chef de l’État a déploré que sur les 3 millions d’hectares censés être emblavés en blé, le dernier recensement établi par les services agricoles indiquait que seul 1,8 million l’était réellement.

Les espoirs mis dans l’agriculture saharienne

Aussi, les espoirs se reportent vers l’irrigation de complément et le développement de l’agriculture saharienne sous rampe-pivot.

Avec une moyenne de 50 quintaux par hectare et des pics à 70 quintaux, des wilayas telles que Adrar, Timimoun et Menea ont permis, en 2022, une production de près de 2 millions de quintaux sur la quarantaine estimée au niveau national.

Cette année, la production de céréales a augmenté du fait de l’augmentation des surfaces. Et face à la sécheresse à Tiaret, c’est le blé produit dans le Sud à Adrar qui assurera l’approvisionnement en semences lors de la prochaine campagne.

Une situation partagée par la plupart des régions du Nord. En quelques semaines, grâce à une noria de camions, l’OAIC a réussi le tour de force de ramener une partie de la récolte du Sud vers les stations d’usinage de semences du Nord. De quoi assurer les besoins des agriculteurs lors des prochains semis.

De son côté, l’Office de développement de l’agriculture saharienne (ODAS) prévoit l’attribution d’un million d’hectares de terres sous forme de concessions agricoles à des investisseurs locaux et étrangers.

Ainsi, une entreprise turque a bénéficié de 4.000 hectares et a engrangé une première récolte, tandis qu’était récemment annoncé l’attribution de 1.000 hectares à une entreprise italienne spécialisée dans la production de blé dur.

À travers des assises nationales, de colloques régionaux, de journées techniques ou de think tank locaux, l’Algérie cherche à définir la stratégie permettant de produire les 90 millions de quintaux de blé consommés annuellement.

À défaut d’avoir réussi à faire passer la moyenne nationale de 17 à 30 quintaux sur 3 millions d’hectares, ce sera encore aux paysans étrangers, dont ceux de la Russie, de contribuer à combler une partie du déficit de la production locale.

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