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Change parallèle, surfacturations : comme l’Algérie, le Venezuela miné par l’affairisme et sa dépendance au pétrole

Change parallèle, surfacturations : comme l’Algérie, le Venezuela miné par l’affairisme et sa dépendance au pétrole

Source: Bycome
Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Observatoire Politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences-Po).

Pour mieux comprendre la situation en Algérie, il faut parfois regarder ce qui se passe ailleurs. Dans cet entretien accordé par Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique Latine et des Caraïbes à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po), nous nous intéressons à la situation économique grave que traverse actuellement le Venezuela, pays miné par la crise pétrolière et la corruption des milieux affairistes.

Dans quelle situation se trouve économiquement le Venezuela aujourd’hui ?

Le Venezuela se trouve dans une situation économique catastrophique, très compliquée au quotidien pour les Vénézuéliens. Ces derniers jours, la commission économique pour l’Amérique Latine de l’ONU a annoncé qu’en 2017, le Venezuela aura une chute du PIB de 7.2%. C’est quelque chose de très important, avec un taux d’inflation estimé cette année à 700%. Ces chiffres se traduisent au quotidien dans une pénurie alimentaire, une très grave crise sanitaire et un strict contrôle des changes, qui existe au Venezuela depuis 2003.

Qu’est-ce qui a causé la situation économique catastrophique au Venezuela ?

Il y a la jonction de deux facteurs. Vous avez d’un côté un pays qui vit de sa rente pétrolière, où 96% des ressources de l’État sont liées à l’exportation du pétrole brut. Le Venezuela est un pays qui importe tout ce qui n’est pas lié directement au pétrole. Lorsque vous avez un prix du baril qui a chuté de 50% ces trois ou quatre dernières années, logiquement cela a un impact très important sur les comptes de l’État et sur l’économie du pays de manière générale.

Vous avez un deuxième élément qui est le contrôle des changes, depuis 2003. Le Venezuela a un contrôle des changes avec une parité fixe entre le bolivar et le dollar américain. Parallèlement à cela, vous avez un marché noir de la devise qui s’est développé. Avec la crise économique, il y a un tel déséquilibre entre le cours officiel et le cours parallèle qu’il y a beaucoup de corruption liée à ce marché noir.

Face à ces problèmes, quelles mesures a pris le gouvernement vénézuélien pour endiguer la situation ?

Pour le moment, le gouvernement vénézuélien s’est occupé surtout de sa survie politique. Il n’a pas donné de réponses sur le plan économique. Lorsqu’il a annoncé la convocation de l’assemblée constituante, le gouvernement s’est surtout attaché à donner une réponse institutionnelle à un problème multidimensionnel, parce qu’il y a une crise politique et économique avec une très grande polarisation sociale. C’est pour ça que je pense qu’à court terme, il y aura peu de changements dans l’économie vénézuélienne.

Donc, concrètement le gouvernement vénézuélien n’a entrepris aucune réforme depuis la chute des cours du pétrole ?

Le problème est qu’aujourd’hui, le Venezuela vit des 96% des recettes liées à l’exportation du pétrole. Diversifier l’économie vénézuélienne est un objectif certes important, mais qui dans la pratique est très difficile à mettre en œuvre parce que le gouvernement ne dispose plus de moyens économiques pour pouvoir transformer ce modèle économique sans de graves conséquences sur le plan social. À court terme, je ne vois pas comment le gouvernement serait en mesure de financer sa transition vers un autre modèle économique.

Si le gouvernement décide de terminer avec le contrôle des changes, cela aura un impact très fort sur le cours de la monnaie nationale, le bolivar, et cela aura un impact social très important. C’est quelque chose que le gouvernement vénézuélien se refuse à faire pour le moment, car il y joue sa survie.

Vous avez évoqué au début de l’entretien les pénuries que traverse actuellement le Venezuela. À quoi sont-elles dues ? Comment les expliquer ?

Au Venezuela, il y a un très strict contrôle des changes, et limite donc fortement les importations. Le fait d’avoir ce contrôle par la banque centrale fait qu’il est très difficile d’accéder au marché international pour les Vénézuéliens. Il y a ainsi des personnes qui profitent d’un accès à la banque centrale et des réserves de change en dollars pour pouvoir acheter à l’étranger des biens, et pouvoir surfacturer ces importations pour de ce fait pouvoir importer davantage de dollars afin de les revendre au marché noir. C’est ce qui provoque cette inflation et c’est ce qui provoque cette pénurie, car il ne faut pas oublier que le Venezuela n’est pas en mesure d’être auto-suffisant sur le plan alimentaire. C’est au paroxysme de ce phénomène d’affairisme lié à ces importations que peut s’expliquer cette pénurie alimentaire.

Quel est le profil de ces importateurs affairistes ? Sont-ils proches du pouvoir ?

Ils sont forcément proches du pouvoir vénézuélien, autrement ils n’auraient pas accès aux dollars de la banque centrale. Certains analystes l’appellent la « bolibourgeoisie », la bourgeoisie bolivarienne.

Quel poids représentent ces surfacturations sur l’économie nationale du Venezuela ?

Il est très important, après il est difficile de le quantifier de manière exacte puisqu’il représente d’actes illégaux. Mais ce qui est très clair est que cet affairisme lié aux importations et à l’accès aux dollars est très très important en volume, parce que c’est ce qui explique pourquoi il y a une pénurie d’aliments et autres biens au Venezuela.

Qu’est-ce qui est à prévoir pour l’avenir du Venezuela ?

La situation actuelle est appelée à perdurer. Rien n’indique que la situation sera résolue à court terme. Je pense que la situation va rester polarisée entre le gouvernement et l’opposition, et je crains que pendant ce temps-là, la situation continue de se dégrader.

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