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Chebla, au sud de l’oubli et de la désolation

Chebla, au sud de l’oubli et de la désolation

Chebla est un village situé à 80 km au sud de Khenchela, sur la bordure d’Oued El Arab ou Oued El Kébir. Pour y arriver, à partir de Batna, il faut rouler sur plus de 100 km en passant par Taouzainet, Kais, El Hamma, Khenchela, Babar, Qlou’e Trab, Halla, Tebaâline et Kheirene.

Sur la route, les paysages changent progressivement de couleurs, de morphologie et de décors. On traverse des plaines verdoyantes puis des collines couleurs ocre et brun pour s’approcher des piémonts sahariens des Némentcha, annoncé joyeusement par les palmiers et des reliefs rocailleux. Les Némentcha ont toute une Histoire. Beaucoup de batailles s’y sont déroulées durant la guerre de libération nationale dont celle menée par Abbas Laghrour, officier de l’ALN dans la région des Aurès.

À Kheirene, il y a encore la trace d’un camp dans lequel l’armée coloniale française avait parqué des Algériens, coupables de soutien aux moudjahidine après 1954. « Ma mère et mon père ont été forcés de rester dans ce camp pendant longtemps dans des conditions déplorables », raconte un homme natif de la région.

Un quartier naissant à côté de Kheirene (© TSA)


Il nous montre cet endroit formé d’habitations en terre et pierres entrelacées, nichées sur une colline, et réduites à l’état de ruines. Pourquoi rien n’a été fait pour sauvegarder la mémoire de ce lieu historique ? Que fait l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) ? Le ministère des Moudjahidine ? La « famille révolutionnaire » ?

Oued El Arab à sec

Chebla n’est qu’au bout d’un chemin sinueux à 600 mètres d’altitude. Le chemin continue vers Biskra, plus au Sud, à partir de Khenguet Sidi Nadj, située à 30 km, en passant par El Oueldja. Avant Chebla, Kheirene s’offre aux visiteurs avec quelques vergers de pommiers et d’abricotiers. Ici, il neige souvent en hiver où la température peut descendre au-dessous de zéro. En été, le mercure s’approche des 47 degrés. L’écart de températures est visible sur les roches éclatées des deux côtés de la route. Une route qui, à partir, de Babar ne cesse de monter vers le ciel pour redescendre ensuite vers le creux de la vallée avant de remonter ensuite.

À droite de la route, Oued El Arab, qui traverse une partie du désert jusqu’à la vallée du Souf, au Sud-Est, est à sec. « Nous n’avons jamais vu ça de notre vie. C’est la première fois que cela arrive », souligne un habitant de la région, rencontré sur la route. « Je suis natif d’ici mais je n’y habite plus. Ici, on souffre du manque d’eau. Les arbres sont en train de mourir devant nos yeux. Le barrage a retenu toute l’eau qui venait vers nous. Il n’est réservé que pour la consommation des ménages. Ils ne relâchent plus les eaux pour l’irrigation comme auparavant», se plaint Hadj Mohamed Sekiou. Il fait allusion au barrage de Babar, visible en amont de Chebla et de Kheirene. « Le barrage Babar est situé dans la wilaya de Khenchela à 30 Km de ladite ville et à 9 km au sud-ouest de la ville de Babar. Il est destiné à la régularisation des apports de l’oued El Arab en vue d’irriguer les terres environnantes », est-il souligné sur le site de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT).

Un petit village entre Chebla et Kheirene (© TSA)


Ce barrage a été réalisé en 2013 par Cosider. D’une capacité de 42 millions de mètres cubes, il assure presque 60% des besoins en eau potable de plusieurs localités de Khenchela comme Djellal, Chechar, Babar, Kheirene et El Oueldja. Il irrigue 400 hectares de terres agricoles, selon les données officielles.

« Oued El Arab existe depuis la nuit des temps. J’ai 77 ans, je n’ai jamais vu l’oued aussi sec que cette année. Il n’y a pas que le barrage. Il y a aussi des forages. Chaque 200 mètres ou presque, vous trouvez des forages avec des moteurs, à côté de l’oued. Il y a de l’anarchie, chacun fait ce qu’il veut. Dans le passé, les gens venaient du Sahara pour se reposer ici, s’approvisionner en eaux et abreuver leurs animaux », se rappelle Mohamed Sekiou, le ton coléreux.

« Nos arbres fruitiers se meurent »

« Chaque saison de pluie, Oued Al Arab se remplit d’eau, venant de Bouhmama et de Khenchela notamment (Oued El Arab prend sa source à Djbel Tafrent). Là, le barrage nous a tout pris. Nos arbres fruitiers se meurent. Il y a aussi la sécheresse. La saison de la pluie n’a pas été bonne pour nous. Pour boire, nous achetons depuis des années de l’eau en citernes », se lamente Samir Sekiou. Il nous invite à traverser le lit d’oued pour visiter les verges sur l’autre rive, en face du village de Chebla.

Sur le lit, la terre séchée dessinent toutes les formes de désolation. Il n’y a pas si longtemps, Oued El Arab, qui est alimenté par les rivières de Tamagra et El Hatiba, arrosait toutes les régions de Tebaâline, Kheirene, Chebla et El Oueldja. « Regardez vous-même dans quel état sont les palmiers, les pommiers et oliviers. Nous avons une seule source. On se contente d’arroser les arbres. Nous ne pouvons pas cultiver les légumes, car l’eau ne suffit pas. Vous savez, par le passé, Chebla alimentait tout Khenchela en grenades, en figues, en olives, en ail, en abricots et en olives. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Les gens ont abandonné leurs terres. Pourquoi rester, il n’y a plus d’eau. Certains ont acheté des tuyaux de 5 à 600 mètres pour arroser leurs vergers. Ils résistent comme ils peuvent malgré leurs faibles moyens », explique Samir Sekiou.

Pour la prochaine saison estivale, le jeune fellah se prépare, malgré la carence d’eau, à récolter des piments, des poivrons et des melons. « J’essaye également d’entretenir mes palmiers, mes abricotiers et mes oliviers, comme je peux. J’ai sollicité une aide au niveau des services agricoles de Chechar pour me connecter au réseau électrique aux fins d’installer une sonde d’eau. En vain. Pourtant le courant électrique passe à côté de moi. Au niveau de la commune, on me dit que c’est interdit, sans m’expliquer les raisons », se plaint-il.

Les palmiers de Chebla souffrent du manque d’eau. (© TSA)


Les services des ressources en eau ont engagé des travaux pour creuser une cinquantaine de puits profonds dans tout le sud de Khenchela qui s’ajoutent à un programme de 1000 forages en vue d’atténuer de la crise acquatique dans cette région où les terres sont célèbres par leur fertilité et leur rendement. « Nous avions une source intarissable. On a installé des sondes à côté. La source s’est asséchée », confie encore Samir.

« Comme si nous vivions dans une forêt ! »

À Chebla, il y a un centre de soins et une école primaire. À vue d’œil, l’établissement scolaire est dans un état lamentable. « Pour aller aux collège ou au lycée, les élèves doivent traverser à pieds plusieurs kilomètres. Il n’y a pas de transport public. Il n’y a que des transporteurs clandestins », proteste un parent d’élèves.

L’école primaire de Chebla dans un état lamentable (© TSA)


L’électricité est mal distribuée au village au point où certaines maisons se partagent l’énergie. « Il n’y a pas d’éclairage public. La nuit, on a l’impression que personne ne vit dans ce village. Le gaz suit une ligne sur la route. Les gens installés en hauteur n’ont pas de gaz. Presque 80 % des habitants de Chebla ne sont pas connectés au gaz de ville. Il n’y a pas de trottoirs ou de conduites d’évacuations des eaux. Comme si nous vivions dans une forêt ! », regrette Badreddine, un habitant du village. « Nous attendons un goudronnage de la route. Ils ont entamé le projet avant de l’arrêter. Il y a encore 15 km qui ne sont pas achevés », reprend Samir.

À l’entrée de Chebla, Walid est occupé à préparer les fils de fer pour une prochaine construction. Il nous parle des élèves qui s’accrochent à un câble pour traverser l’oued et passer à l’autre rive en marchant sur un tuyau. « Il n’y pas d’autres solutions. Il y a un projet d’un pont qui traîne depuis des années. On nous a parlé d’un projet d’un pont pour relier les deux rives de Chebla. Mais, rien n’a encore été entrepris. L’autre pont est loin d’ici », dit-il.

Un projet d’un nouveau pont à Chebla traîne depuis des années (© TSA)


Walid est également peiné par la situation déplorable de l’agriculture à Chebla. « Nous pouvons cultiver les oignons, les céréales, les olives, les dates, produire du miel. Mais, là, sans eau, on ne peut rien faire », dit-il. Une partie de la région de Kheirene et de Chebla n’est toujours pas cadastrée, d’où la naissance parfois de petits conflits sur le foncier agricole. Plusieurs affaires sont enregistrées au tribunal de Khenchela. Un dossier compliqué.

Attaques de scorpions et de cobras

« Même le bébé pleure pour avoir le sein, mais, ici, les gens dorment, ne réclament pas leurs droits. C’est une région morte, assassinée par ses habitants. Qu’est-ce qu’ils les empêchent de créer des associations pour faire entendre leurs revendications devant les autorités ? », se demande Hadj Mohamed Sekiou. Il regrette l’absence de réponses auprès des services communaux de Kheirene.

En été, les habitants Chebla doivent se prémunir contre les attaques de scorpions et de serpents venimeux. Le cobra égyptien (de l’espèce Naja Haje) vit dans les régions sahariennes en Algérie, notamment à Biskra, Khenchela et Ouargla, attirés souvent par les roches. « Ma nièce est décédée après une morsure de scorpion. Durant le Ramadhan, les cobras s’approchent des maisons à cause de l’odeur de la nourriture. L’année dernière nous, nous avons fait sortir six serpents des habitations », relève Samir Sekiou.

À Chebla, les jours passent et se ressemblent. Autant que les mois et les années. Demain, sera-t-il meilleur ? L’écho de la question se perd déjà dans la vallée…

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