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Chems-Eddine Hafiz : « Les musulmans sont en danger en France »

Chems-Eddine Hafiz : « Les musulmans sont en danger en France »

Source : Twitter Chems-Eddine Hafiz
Chems-Eddine Hafiz

Dans cet entretien à TSA, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris, alerte sur la banalisation de l’islamophobie en France. Il revient sur les raisons du meurtre d’un homme dans une mosquée du Gard et s’explique sur sa prise de position concernant le port du voile en France.

Les actes islamophobes ont augmenté de 72 % en France entre janvier et mars 2025, par rapport à la même période de 2024. La France est-elle devenue un pays hostile aux musulmans ?

La France n’est pas un pays intrinsèquement hostile aux musulmans. Mais il serait irresponsable de nier que le climat actuel expose les musulmans à une hostilité grandissante.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : lettres de menaces, profanations, agressions… Ce ne sont plus des faits isolés. Nous assistons à une banalisation de l’islamophobie, tolérée dans certains discours politiques et relayée dans certains espaces médiatiques.

Il est temps d’admettre que le danger n’est pas seulement physique : il est aussi moral. C’est la cohésion de notre société qui est menacée lorsque 55 % de nos concitoyens estiment que l’islam est une menace pour la République.

Après l’assassinat d’un fidèle dans une mosquée du Gard vendredi dernier, estimez-vous que les musulmans soient aujourd’hui en danger en France ?

Oui. Et il faut le dire avec force et sans détours. Lorsqu’un homme est tué pendant sa prière, dans un lieu de paix, cela dépasse le fait divers. C’est un signal terrible envoyé à des millions de nos concitoyens : celui de ne pas être en sécurité, même dans l’exercice de leur culte et dans leur spiritualité.

Ce drame n’est pas une tragédie isolée : il est l’aboutissement d’un climat de suspicion, d’invisibilisation, et parfois de haine.

Il faut que la République protège mieux. Il faut que les mots soient forts, à la hauteur de l’horreur. On ne combat pas la haine avec des silences ou des communiqués tièdes.

Les musulmans ont-ils eu le soutien nécessaire ? Les réactions et les mesures prises par le gouvernement ont-elles été à la hauteur du drame et des attentes ?

Malheureusement, non. J’aurais aimé, comme beaucoup, une parole plus ferme, une solidarité plus évidente. Quand d’autres communautés sont frappées, la République sait se rassembler, parler d’une seule voix. Pourquoi cette asymétrie quand il s’agit des musulmans ?

L’indifférence blesse autant que la violence. Ce drame aurait dû provoquer une onde de choc nationale. Il faut rompre avec cette banalisation de l’inacceptable.

Faut-il mettre un policier devant chaque mosquée maintenant en France ?

Ce serait une réponse de court terme, peut-être nécessaire dans certains cas. Mais la vraie protection, c’est celle des consciences.

Ce qu’il faut, ce n’est pas seulement des policiers devant les mosquées, c’est une volonté politique claire de lutter contre les discours de haine, de réguler les dérives médiatiques, et de traiter l’islamophobie comme un problème grave, structurant, non comme une sensibilité communautaire parmi d’autres. La sécurité physique est urgente, mais la sécurité morale est tout aussi essentielle.

Lundi, vous avez affirmé que les musulmans sont traités comme des citoyens de seconde zone en France. Pourquoi ?

Parce que les signes de cette relégation sont trop nombreux, trop visibles, trop constants pour qu’on continue à les ignorer.

Lorsqu’un fidèle est assassiné dans une mosquée en pleine prière, et que la présidente de l’Assemblée nationale refuse d’abord qu’une minute de silence lui soit consacrée, cela envoie un message glaçant : la douleur des musulmans ne mérite pas la même reconnaissance.

Il aura fallu une polémique publique pour que ce refus soit corrigé. Ce geste manqué, cette hésitation, en dit long. Que dirait-on si la victime avait été d’une autre confession ? Ce deux poids deux mesures est insupportable.

Dire que les musulmans sont traités comme des citoyens de seconde zone, ce n’est pas un effet de manche. C’est le reflet d’une réalité vécue : celle où la souffrance d’un musulman est relativisée, où son appartenance nationale est toujours conditionnelle, où sa foi devient suspecte.

Cette situation n’est plus tolérable. Elle ronge notre pacte républicain. Elle fracture la promesse d’égalité. Et elle nourrit les extrêmes, qui prospèrent sur les frustrations qu’elle engendre.

Vous avez aussi déclaré que « le voile ne doit pas exister en France », suscitant de nombreuses critiques et interrogations. Vos propos ne risquent-ils pas de servir d’arguments à la droite et à l’extrême droite ?

Je comprends que mes propos — en particulier cette phrase, sortie de son contexte : « Le voile ne devrait pas exister en France aujourd’hui » — aient pu heurter.

Mais il est de mon devoir de rappeler que cette déclaration s’inscrit dans une tradition de dialogue et d’exigence : celle d’un homme convaincu que l’école doit rester un espace d’émancipation, où nul ne doit être assigné à une identité ou à un vêtement, ni contraint de le porter, ni stigmatisé par ce qu’il le porte.

Dans le même souffle, et avec autant de clarté, j’ai affirmé : « À partir du moment où une femme choisit librement de porter le voile dans un lieu public comme à l’université, je n’y vois aucun inconvénient. Je n’ai pas à la juger. »

Ces propos, pourtant limpides, ont été noyés dans le tumulte médiatique et les passions. Or, c’est précisément cette complexité qu’il nous faut retrouver : celle qui refuse l’instrumentalisation politique du foulard, qu’elle vienne d’un extrémisme laïciste ou d’un usage identitaire.

Je le redis sans ambiguïté : si je plaide pour que chacun respecte la loi, même lorsqu’elle peut aller à rebours de certaines convictions, c’est parce qu’elle garantit que nos filles puissent aller à l’école libres, protégées, instruites.

Mais, dans le même temps, je condamne avec la plus grande fermeté toute volonté d’enfermement, toute stratégie d’invisibilisation ou de mise à l’écart des femmes musulmanes dans l’espace public, sous prétexte qu’elles portent le voile.

Ce combat pour la liberté — toute la liberté — ne souffre ni les récupérations idéologiques, ni les amalgames malhonnêtes.

Certains vous reprochent d’avoir apporté un soutien indirect à Bruno Retailleau, qui a lancé « À bas le voile ! » lors d’une réunion publique le 26 mars dernier. Que leur répondez-vous ?

Je ne soutiens ni les slogans hostiles ni les postures qui fracturent la société. Dire « À bas le voile ! », ce n’est pas défendre la laïcité, c’est désigner des femmes comme des cibles.

Ce genre de formule simpliste ne fait qu’attiser les tensions et nourrir les malentendus. Je m’inscris en faux contre cette manière de traiter un sujet aussi sensible, qui engage la liberté, la dignité, la foi et le vivre-ensemble.

Ce que j’ai dit est très clair : on peut défendre les principes républicains, et notamment la neutralité scolaire, sans basculer dans la stigmatisation. Mon propos n’a jamais été de rejoindre un camp idéologique ou de servir un agenda politique.

Il est important de rappeler une exigence : celle d’un débat républicain, nuancé, respectueux, qui refuse autant les injonctions religieuses que les injonctions identitaires ou excluantes.

Ma position est constante : je refuse qu’on parle des femmes musulmanes à leur place, qu’on les instrumentalise — qu’on cherche à les faire taire ou à les exhiber selon les circonstances.

Porter un voile ne saurait jamais faire d’une citoyenne une ennemie. C’est cette conviction que je défendrai toujours, sans ambiguïté.

Mon combat est simple : il vise à ce que la République protège toutes ses filles, pas seulement celles qui nous ressemblent ou nous rassurent. Qu’elle protège les mosquées comme elle protège les synagogues, les églises, les écoles. Qu’elle traite ses enfants musulmans comme des citoyens entiers, pas comme une variable de débat.

Je continuerai à m’exprimer avec clarté, sans céder à l’ambiguïté, mais toujours avec la volonté de rassembler et non de fracturer. L’heure est trop grave pour les procès en trahison. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est de la lucidité, du courage et de la fidélité à nos principes. Et, pour ma part, je resterai fidèle à l’idée d’une France qui protège au lieu de soupçonner, qui rassemble au lieu d’opposer.

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