Économie

Ciment : l’Algérie face au lourd héritage de Bouchouareb

L’Algérie ne sait plus quoi faire de son ciment. Après avoir été longtemps importateur de ce matériau, le pays peine à s’adapter à son nouveau statut d’exportateur.

En réglant il y a quelques années le problème lié à l’importation du ciment qui pesait sur les réserves de change du pays, le gouvernement en a créé un autre. Les cimentiers algériens se sont retrouvés avec des capacités largement excédentaires. Elles produisent plus de 40 millions de tonnes pour un marché intérieur estimé entre 22 et 24 millions de tonnes par an. Soit un excédent de plus de 20 millions de tonnes par an.

Cette production que le marché intérieur ne pourra jamais absorber doit être exportée. Mais la tâche n’est pas facile, en raison notamment d’une infrastructure portuaire inadaptée et de l’inaction des autorités, incapables de décréter la mobilisation générale pour développer les exportations hors-hydrocarbures.

Des ports en manque d’équipements

« Nos ports ne sont pas outillés pour l’exportation massive du ciment », pointe un responsable dans une importante cimenterie. Résultat : des coûts logistiques explosent et les cimentiers sont obligés à revoir leurs ambitions à la baisse en matière d’export.

« Il y a quatre ports qui ont des tirants d’eau assez profond pour accueillir des navires de grande capacité : Annaba, Skikda, Djendjen et Oran. Dans ces ports, nous avons besoin d’un hall de stockage et d’un « shiploader » pour charger rapidement les navires. Actuellement, nous utilisons un grappin pour charger le ciment dans les bateaux, mais cette machine n’est pas adaptée et ne permet pas un chargement rapide des navires », détaille-t-il.

Les cimentiers ne sont pas les seuls perdants dans cette affaire. L’immobilisation des navires dans les ports, faute d’équipements adéquats pour le chargement rapide du ciment, coûte des devises au pays.

« Pour un navire de gros tonnage, les surestaries (NDLR : indemnités que l’affréteur doit payer au propriétaire du navire immobilisé) sont de 15 à 20.000 dollars par jour. Ce sont des coûts supplémentaires qui réduisent la compétitivité de notre produit. C’est pour cela qu’il faut les charger rapidement. Nous avons demandé aux ports d’installer les équipements nécessaires il y a deux ans, nous attendons toujours », déplore le même cadre.

A l’origine de cette situation, les errements de la politique industrielle sous Bouteflika. Sous l’impulsion de l’ex-ministre de l’Industrie et des Mines Abdeslam Bouchouareb, actuellement en fuite à l’étranger pour échapper à la justice, l’Algérie a investi massivement dans la production de ciment.

Des cimenteries au prix fort

« Cinq milliards de dollars ont été dépensés pour faire passer le pays du statut d’importateur à celui d’exportateur », affirme une source proche du dossier. La demande nationale en ciment varie, bon an mal an, entre 22 et 24 millions de tonnes. Les capacités de production dépassent les 40 millions de tonnes.

« Il y a des investissements colossaux qui ont été faits pour développer cette industrie. L’Algérie a payé très cher ses cimenteries, autour de 250 dollars la tonne, alors que la norme mondiale est de 100 dollars. Les cimenteries ont coûté excessivement cher, en plus ils sont gérées par des étrangers, ce qui alourdit encore la facture en devises », explique une source proche du dossier.

Les nouvelles cimenteries ont été financées en grande partie par les banques publiques et ces dernières risquent de ne jamais récupérer leur mise.

Pour ne rien arranger, l’entrée en production des nouvelles cimenteries intervient dans un contexte marqué par la contraction de la demande interne, faute de nouveaux projets dans le bâtiment et les travaux publics. Les entreprises de BTP sont d’ailleurs fortement impactées par la crise économique qui frappe le pays.

« Il y a 1360 entreprises de réalisation et promoteurs qui ont cessé leurs activités, et l’ensemble des fabricants de matériaux de construction sont pratiquement à l’arrêt », alertait Mouloud Khaloufi, président de l’Association des entrepreneurs algériens, le 9 octobre.

« La crise économique n’est pas un problème majeur pour les cimentiers, relativise notre source. Toutes les économies du monde connaissent des hauts et des bas, il n’y a rien d’anormal, et de toute façon, l’économie algérienne va redémarrer dans deux ou trois ans. Le problème majeur est dans la surproduction, et l’inaction des autorités ».

Inaction des autorités

Car si le gouvernement ambitionne de faire de l’Algérie un grand exportateur de ciment, il ne se donne pas les moyens de sa politique. D’autant que pour exporter le ciment, la seule volonté politique ne suffit pas. Les cimenteries algériennes sont implantées loin des ports, ce qui alourdit les coûts de transports et altère la compétitivité du produit.

Pour le ciment, les marchés à l’export ne sont pas nombreux alors que les concurrents sont nombreux. Officiellement, l’Algérie ambitionne d’exporter 10 millions de tonnes de ciment par an pour 400 millions de dollars, mais elle peine à réaliser 30% de cet objectif.

« En 2019, nous allons à peine exporter 2,5 millions de tonnes. Nous pouvons passer rapidement à 10 millions de tonnes, mais il faut équiper les ports pour charger rapidement les bateaux », insiste le même responsable.

Le retard des ports algériens n’est pas le seul obstacle sur le chemin des cimentiers algériens, pour exporter le surplus de ciment. « L’Afrique de l’Ouest est le seul marché où l’Algérie peut placer son ciment. C’est un marché de 17 à 18 millions de tonnes par an. On ambitionne de capter 10 millions de tonnes, ce qui est énorme », explique notre source.

Mais un sérieux problème risque de se poser à terme. « Les pays de cette zone vont finir par installer des cimenteries pour répondre à leurs besoins et faire exactement comme l’Algérie », prévient notre source.

En attendant la mise en place de mesures pour développer les exportations, les cimenteries ne tournent pas à plein régime. Des plans de réduction des effectifs sont déjà élaborés par les producteurs et les cimentiers ne savent plus comment faire pour rembourser leurs dettes.

Gaspillage du gaz naturel

Outre l’erreur stratégique d’investir massivement dans la production de ciment, le gouvernement a commis une autre erreur, qui est celle d’alimenter ces cimenteries avec du gaz naturel.

Certes, l’Algérie est un gros producteur de l’or bleu, mais ce n’est pas une raison pour le gaspiller dans des industries énergétivores alors que le pays peut l’exporter en l’état, ou l’utiliser dans des industries à forte valeur ajoutée.

Pour les cimenteries, de nombreux pays utilisent d’autres produits comme les déchets ménagers, les pneumatiques usagés pour produire l’énergie nécessaire pour alimenter les gigantesques et énergivores fours des cimenteries.

« On n’utilise plus le gaz naturel pour produire du ciment, c’est trop cher, et c’est un luxe. La tendance est à l’utilisation des énergies alternatives au gaz naturel qui est considéré comme un produit noble », explique notre source.

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