Dans la chambre d’affinage, Rachid Ibersiene retourne des meules de fromage. À l’aide d’une mini-tarière, il retire un échantillon puis tapote la meule.
Cette scène ne se passe pas en Suisse mais en Algérie, plus exactement à Tamassit à 40 km de Tizi-Ouzou. Le fromager Rachid Ibersiene est une référence dans la profession et a plein de projets en tête.
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Tout commence avec le lait
À Tamassit, dans sa fromagerie, les journées de travail de Rachid Ibersiene sont longues. Elles commencent par la réception du lait de vache. Un collecteur arrive et gare sa camionnette devant la fromagerie.
De la cuve, Rachid Ibersiene prélève un échantillon et rajoute un réactif. Une première analyse qui doit permettre de vérifier l’acidité du lait et donc sa fraîcheur. Au bout de quelques minutes, satisfait du résultat, il donne son accord au collecteur et un tuyau est alors fixé entre le tank et la cuve de la fromagerie. Chaque jour, le fromager achète entre 400 et 600 litres de lait.
Premiers investissements et succès
Pour ce pionnier, les débuts ont été difficiles. Rachid Ibersiene aime montrer le matériel de ses débuts : un chaudron et un simple réchaud à gaz. Pour le pressage, des poids de pierre de 20 kilos.
Depuis 2007, le temps a passé et sa fromagerie s’est modernisée. Aujourd’hui il utilise une presse électrique. Mais à l’époque « toutes mes économies y sont passées », confiait-il à la presse locale. D’autres investissements avaient dû suivre comme une cuve réfrigérée à triple paroi et à hélice. Difficile quand, vu son âge, on n’est pas éligible aux prêts de l’ex-ANSEJ.
Remarqué par l’ambassadeur de France
Sa réussite, le fromager la doit à sa persévérance et à son savoir-faire. Il sera remarqué par Xavier Driencourt, alors ambassadeur de France en Algérie, un gourmet amateur de fromage. L’homme est conquis par les fromages de Tamassit ; ils seront régulièrement présents à sa table. Mieux, il en parle autour de lui.
La presse locale puis internationale découvre alors cette surprenante fabrication de fromages suisses en Kabylie. Le fromager acquiert rapidement une audience nationale. Plus tard il dira qu’être sous les projecteurs aura donné un coup de pouce à son entreprise.
Un métier appris en Suisse
Les visites d’ambassadeurs des pays étrangers accrédités en Algérie se succèdent. L’un des premiers est celui de Suisse. « Je lui avais préparé une raclette. Il a tellement aimé qu’il ne voulait plus rentrer. Ses gardes du corps le pressaient pour rentrer à Alger, à cause de la sécurité », confiait-il en 2014 à Algérie-Focus.
Plus tard, le mensuel Afrique-Agriculture lui consacre un article joliment intitulé « Rachid en a fait tout un fromage » et décrit son itinéraire : « Après avoir appris le métier en Suisse, Rachid Ibersiene est revenu au pays pour produire du vacherin fribourgeois algérien ».
Du lait frais, jamais de poudre de lait
De ses séjours dans les alpages suisses, Rachid Ibersiene a retenu une chose : le meilleur fromage ne peut être produit qu’à partir de lait frais. « Le lait en poudre n’a jamais franchi la porte de ma fromagerie », aime-t-il dire. Son crédo est de « développer des produits laitiers de qualité à base de lait de vache et de promouvoir les produits du terroir ».
Aujourd’hui, son collecteur attitré l’approvisionne avec le lait provenant de 17 éleveurs. Un lait qui est progressivement monté à 70°C pour la pasteurisation. À cet effet, l’ingénieux fromager utilise un serpentin en cuivre de sa fabrication.
Un caillé est ensuite obtenu. Caillé que Rachid Ibersiene découpe soigneusement à l’aide d’une grille manuelle puis brasse longuement. Charlotte enfoncée sur la tête, de temps en temps il presse une poignée de caillé dans la main pour en saisir la texture.
Après un premier égouttage, ce caillé est mis sous presse. Enfin débarrassé de son lactosérum, seules les protéines et la matière grasse du lait subsistent.
Des dizaines de meules à l’affinage
Comme en Suisse, les meules sont trempées durant 3 heures dans une eau saturée en sel puis disposées sur des étagères en bois. Une étape indispensable à la formation de la croûte.
Des meules par la suite régulièrement brossées à l’aide d’eau salée et de ferments d’affinage. Ce sont eux qui donneront un goût spécifique à cet équivalent du Vacherin de Fribourg.
Entreposées entre 2 à 4 mois, les meules murissent lentement. Certaines resteront deux ans à l’affinage et donneront l’équivalent du célèbre Parmiggiano italien.
En projet, un institut du goût
Intraitable sur l’hygiène et la qualité, Rachid Ibersiene insiste sur l’effet positif des fromages à pâte pressée sur le microbiote intestinal. « Nous avons 2 projets de recherches sur les intrants dans l’industrie fromagère dont un est validé au niveau du ministère », confie-t-il à TSA.
Le souci de la fromagerie reste « l’accès à un lait en quantité et qualité » aussi ambitionne-t-elle de « mettre en œuvre notre propre élevage afin de maîtriser toute la chaîne de production ».
Mais ce pionnier ne se contente pas du seul périmètre de sa fromagerie, il se préoccupe de la filière et à ce titre il défend les fromages au lait frais des contrefaçons à la poudre de lait et à l’huile de palme.
Une association nationale des producteurs artisanaux du fromage a été créée et une feuille de route tracée. Son objectif, le « développement de la filière lait et en se rapprochant des universités pour répondre à des défis de la sécurité alimentaire avec des compétences locales et de la diaspora algérienne ».
Il s’agit également d’arriver à mettre sur pied « le premier institut du goût en Algérie afin de vulgariser la bonne approche nutritionnelle des consommateurs algériens ».
Rachid Ibersiene, un pionnier qui innove par deux fois, au niveau du produit mais aussi de la filière fromage au lait frais en Algérie.