Longtemps boycotté quasi unanimement par les États africains, Israël a pu reprendre pied dans le continent grâce à une offensive qui a duré plusieurs décennies. Jusqu’à faire éclater le bloc de soutien à la cause palestinienne que constituaient la majorité des pays africains depuis les années 1970.
Dans une analyse des liens entre Israël et l’Afrique, le magazine African Arguments souligne que la guerre en cours à Gaza permet de constater les divisions du continent avec l’émergence de trois blocs : un résolument pro-palestinien mené par l’Algérie et l’Afrique de Sud, un deuxième pro-israélien représenté par le Kenya, le Ghana, la Zambie, la RDC et le Cameroun et enfin des pays neutres comme le Nigeria, l’Ouganda, l’Angola et la Tanzanie.
La division de l’Afrique avait éclaté au grand jour en 2021 lorsque le président de la Commission africaine, le Tchadien Moussa Faki, avait pris l’initiative d’octroyer à Israël le statut de membre observateur au sein de l’UA.
Les divisions sur la question étaient telles que le sommet d’Addis-Abeba début 2023 n’a pas pu trancher, laissant le soin à un panel de chefs d’État d’étudier la question et d’émettre des propositions. Avant d’en arriver là, Israël avait fourni d’intenses efforts pour retrouver une place en Afrique.
Dans un rappel historique des évènements, African Arguments retrace les différentes étapes des relations entre l’État hébreu et l’Afrique. Dans les premières années des indépendances africaines, Israël, guidé par sa « doctrine de diplomatie périphérique », axée sur le développement de liens étroits avec des pays musulmans non arabes, s’est empressé de proposer son aide et son expertise aux jeunes Etats et a pu se faire reconnaître par nombreux d’entre eux. Le premier consulat israélien a été ouvert à Accra (Ghana) en 1956.
Les choses ont commencé à aller moins bien après la guerre des six jours (1967) et surtout la guerre du Kippour (1973) lorsque l’Afrique, à l’exception des Etats encore « racistes » comme l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, a tourné le dos à l’Etat hébreu.
« Le régime raciste de la Palestine occupée et le régime raciste du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune », a statué l’Organisation de l’unité africaine (l’ancêtre de l’UA) lors d’un sommet tenu en 1975 en Ouganda.
Israël : des décennies d’efforts pour prendre pied en Afrique
Mis au ban par le continent, Israël s’est rapproché du régime sud-africain d’apartheid, d’où ses relations tendues aujourd’hui avec le pays de Nelson Mandela. « Le peuple sud-africain n’oubliera jamais le soutien de l’État d’Israël au régime de l’apartheid », a déclaré Mandela en 1990.
Mais Israël n’a jamais perdu l’espoir de reconquérir l’Afrique, déployant pour cela des efforts énormes avec une méthode et un objectif qui « ne sont ni altruistes ni dans l’intérêt de l’Afrique ». L’objectif, comme l’a reconnu Benyamin Netanyahou en 2017, est de « changer radicalement la situation concernant les votes africains à l’ONU et dans d’autres organismes internationaux, de l’opposition au soutien ».
Les efforts ont commencé dans les années 1980, avec d’abord des liens économiques discrets. Dès la fin de la guerre froide, de nombreux pays africains ont commencé à rétablir leurs liens avec Tel-Aviv, encouragés par de nombreux facteurs, dont l’émergence d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis et plus tard la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Autorité palestinienne en 1993 ou encore la normalisation avec la Jordanie en 1994.
Une variété de liens économiques et commerciaux, de contacts culturels et universitaires, d’assistance médicale, de coopération militaire et d’aide humanitaire unissent aujourd’hui Israël et de nombreux pays africains.
L’offensive de charme, basée sur le commerce, l’aide économique et le renforcement des capacités de défense des États africains, s’est surtout accentuée sous Netanyahou lors de ses deux premiers passages comme Premier ministre (1996-1999 et 2009-2021).
« Israël revient en Afrique, et l’Afrique revient en Israël », a-t-il déclaré en 2016 en accueillant le président du Kenya Uhuru Kenyatta.
La même année, la Guinée, pays à majorité musulmane, la Tanzanie et le Rwanda ont ouvert des ambassades à Tel-Aviv, suivis en 2020 par le Maroc et le Soudan dans le cadre des accords d’Abraham, parrainés par les Etats-Unis.
La reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par les Etats-Unis contre la normalisation des relations entre le Maroc et Israël constitue « un autre exemple de la manière dont l’influence croissante d’Israël sur le continent renforce les pratiques coloniales et l’oppression », écrit African Arguments.
L’autre arme d’Israël dans sa quête de reconquérir l’Afrique, c’est sa « diplomatie des logiciels espions ».
« Les logiciels espions sont devenus une monnaie ou une monnaie d’échange avec laquelle Israël s’offre les bonnes grâces des États clients », souligne le magazine africain.
L’analyse d’African Arguments ajoute un facteur qui a grandement facilité la tâche aux Israéliens : l’essor du mouvement évangéliste et pentecôtiste en Afrique à partir des années 1980.