Économie

Comment la politique du gouvernement mène l’Algérie vers une crise financière majeure

Avant même d’être relayée récemment par un certain nombre d’observateurs internationaux, l’image d’un pouvoir politique algérien conduisant le pays à une crise financière majeure s’était déjà diffusée très largement au sein de l’opinion nationale.

La représentation de cercles dirigeants occupés à vider les caisses de l’Etat et à épuiser nos dernières marges de manœuvre financières est aujourd’hui largement répandue dans le grand public. Elle contribue à renforcer la défiance vis-à-vis de décideurs politiques soupçonnés, dans le meilleur des cas, d’être en panne de solutions et, dans le pire des scénarios, de chercher cyniquement à gagner du temps.

Les informations les plus récentes sur la situation financière de notre pays ne sont certainement pas de nature à corriger cette image. Elles offrent au contraire le spectacle d’une véritable fuite en avant dans la dépense et l’endettement qui s’est accélérée depuis l’été 2017.

Le dérapage inquiétant de la planche à billets

Il y a quinze jours, c’est le premier ministre Ahemd Ouyahia lui-même qui n’a pas hésité à court-circuiter la Banque d’Algérie en annonçant en avant-première devant les députés que le montant des crédits accordés par la Banque d’Algérie au Trésor public a atteint la somme astronomique de 6.556 milliards de DA jusqu’au 31 janvier 2019. « Ils sont devenus fous », a réagi auprès de TSA un économiste après avoir lu ce nouveau chiffre.

Des informations qui confirment les craintes exprimées depuis de nombreux mois par beaucoup d’économistes algériens à propos des risques de dérapage de la planche à billets dans un contexte où les comptes publics sont de façon croissante dans le rouge.

Les informations livrées aux députés par Ahmed Ouyahia décrivent une évolution dangereuse du dispositif mis en place voici un peu moins de 18 mois aussi bien du point de vue des montants financiers en question que de leur utilisation.

Côté montants, depuis l’adoption de la loi sur le financement non conventionnel, c’est l’équivalent d’environ 55 milliards de dollars soit 32 % du PIB qui ont été mis à la disposition du gouvernement par la Banque d’Algérie dans le but de combler des déficits publics qui s’accumulent de toutes parts sans que rien ne soit fait pour tenter de les résorber.

Depuis le mois d’octobre dernier et l’évocation de la possible « fin prochaine » du recours au financement non conventionnel par le Directeur général du Trésor, la Banque centrale a déjà annoncé 3 tranches supplémentaires de financement d’un montant total de 2600 milliards de dinars.

Aucune mesure d’ajustement économique

L’utilisation des ressources financières procurées par la planche à billets renseigne clairement sur les causes de ce dérapage. L’absence d’ajustement des prix de l’énergie est la première cause de l’augmentation des ressources consacrées au remboursement de la dette interne.

Le gonflement des dépenses du budget de l’Etat en contexte préélectoral explique, de son côté, le maintien du déficit budgétaire à un niveau très élevé. Dans une contribution publiée la semaine dernière par TSA, l’économiste Nour Meddahi rappelait que le déficit budgétaire qui a été de 9,6% du PIB en 2017 (avec un prix du baril de pétrole à 54 dollars), a augmenté à 10,9% du PIB en 2018 (malgré un prix du baril en forte hausse à 71,5 dollars).

Enfin les nouvelles attributions, surprenantes, du FNI en matière de financement du déficit croissant du système national de retraite sont la principale explication de l’accroissement de sa part dans la planche à billets.

Cette évolution est d’autant plus inquiétante que rien n’indique qu’elle doit se ralentir dans les mois à venir. Le niveau actuel des prix du pétrole, principale source de revenus du pays, va réduire les ressources de l’Etat par rapport à 2018. Il est de nature à inciter le gouvernement, dans un contexte politique particulièrement agité, à poursuivre dans la même voie en continuant de minimiser les risques associés à cette démarche ainsi que le Premier ministre vient encore de le faire devant les députés. Ahmed Ouyahia a affirmé, contre toute évidence, que le financement non conventionnel n’induira aucune hausse de l’inflation.

Une situation que l’économiste Alexandre Kateb commente également ces derniers jours sur TSA en dénonçant « la prévalence d’un confort illusoire à court terme, aux effets délétères à moyen et long terme ». Tandis que « les propositions de réformes structurelles se sont quant à elles dissipées dans les méandres de l’inertie administrative », ajoute-t-il.

La croissance accélérée de la dette publique

Dans la même démarche de dénégation des risques associés au financement non conventionnel, Ahmed Ouyahia tente également de minimiser son impact sur la croissance accélérée du niveau d’endettement de l’Etat. Pour le Premier ministre, toujours droit dans ses bottes, « en recourant à ce mécanisme, le niveau de la dette publique interne a atteint 36% du PIB de l’Algérie, un chiffre appelé à baisser, au regard du recul progressif du déficit prévu dans le budget de l’État jusqu’en 2022 ».

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la dette publique algérienne ne dépassait 8,8% du PIB en 2015, ce qui permettait à notre pays de figurer, dans ce domaine, à une place très flatteuse dans le classement des pays les moins endettés au monde.

Malheureusement, dès la fin 2016, ce ratio avait déjà bondi à 21% en raison principalement, précise le FMI dans son dernier rapport sur l’Algérie, « des dettes contractées vis-à-vis de deux entreprises publiques » ( il s’agit de Sonelgaz et Sonatrach).

La même tendance s’est poursuivie en 2017, avec un chiffre de 27 %, à cause toujours du rachat par l’Etat de créances bancaires sur les entreprises publiques mais également, pour la première fois depuis longtemps, du financement du déficit budgétaire. Les chiffres inédits livrés devant les députés par le Premier ministre viennent donc confirmer la poursuite de la croissance accélérée de la dette de l’Etat.

Les choses se compliquent encore si on tient compte de la fâcheuse tendance de l’Etat algérien à imposer aux banques publiques nationales des « crédits garantis » aux grandes entreprises maintenues dans le giron de l’Etat. Dans ce cas, toujours selon le FMI, le niveau de la dette publique a grimpé à 48 % du PIB en 2017. Autant dire qu’elle doit se situer désormais à un niveau proche de 55 % du PIB à fin 2018 alors même que la loi sur le financement non conventionnel devrait rester encore en vigueur pendant plus de 3 ans.

Endettement extérieur : vers une exception chinoise

« L’essentiel est que nous avons préservé la souveraineté de l’État sur la prise de décision économique, grâce au financement non conventionnel. Nous aurions pu perdre notre souveraineté économique, si nous avions eu recours au FMI », a expliqué M. Ouyahia devant les députés.

Le Premier ministre semble répondre ainsi de façon détournée à des analyses devenues très courantes au cours des derniers mois au sein des milieux spécialisés. Face à la fonte « rapide et continue » de nos réserves de change, experts internationaux et algériens envisagent avec de plus en plus d’insistance différents scénarios d’endettement international.

En substance ce sont trois pistes différentes qui sont évoquées le plus souvent. Elles sont résumées par un spécialiste algérien : « Pour l’endettement, qui sera inéluctable dans les prochains mois, les dirigeants algériens ont le choix entre le recours au FMI, à l’Union européenne ou à la Chine ».

Dans la période la plus récente le gouvernement algérien n’a pas fait un secret de sa préférence affichée en faveur du renforcement des relations stratégiques avec le partenaire chinois.

L’Algérie qui depuis une quinzaine d’années payait comptant et rubis sur l’ongle le prix de ses équipements publics a décidé de recourir à des crédits chinois pour soulager ses finances publiques et préserver ses réserves de change. Le projet évoqué souvent au cours des dernières années est passé à la vitesse supérieure dans une période récente

Le 4 janvier dernier, l’Algérie adhérait à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), une banque multilatérale de développement, créée en janvier 2016 et basée à Pekin, qui a pour mission d’intervenir dans ses pays membres, en investissant principalement dans les infrastructures durables ainsi que dans les secteurs de production.

Ces développements s’inscrivent clairement dans le prolongement de la démarche entamée par Ahmed Ouyahia qui avait signé, à Pékin, le 4 septembre dernier, un « mémorandum d’entente » qui a été interprété comme une adhésion au gigantesque projet chinois de « Routes de la soie ».

Le Premier ministre algérien avait notamment indiqué à cette occasion que l’adhésion de l’Algérie à l’initiative chinoise « apportera une densité plus forte à notre coopération et à notre partenariat avec la Chine, comme le laissent entrevoir déjà nos projets communs majeurs du port centre et du complexe de phosphate intégré ».

Le financement de la construction du port de Cherchell qui était présenté comme une « exception compte tenu des faibles taux d’intérêt appliqués par la Chine et de la qualité des relations entre les deux pays », ainsi que le suggéraient jusqu’ici les pouvoirs publics algériens, pourrait donc bien n’être que le premier d’une plus longue série si on en juge par les déclarations du Premier ministre qui semble inscrire le projet d’exploitation des phosphates de l’Est algérien dans une démarche similaire .

Une question de transparence

La mise à disposition de financements chinois pour la réalisation de projets d’infrastructures ou de complexes industriels en Algérie va faire émerger progressivement la question de la transparence de ces investissements.

Si l’offre chinoise est souvent jugée « attrayante », elle n’est cependant pas « gratuite » et pose à la fois le problème de l’efficience des investissements envisagés, des modalités de financement des projets et du montage des partenariats. Sujets sur lesquels on dispose souvent de très peu d’informations claires dans le cas des projets déjà « finalisés » dans notre pays.

Beaucoup de spécialistes, instruits dans ce domaine par l’expérience des dernières décennies, et les débats en cours à l’échelle internationale, relèvent que les investisseurs chinois gardent les pieds sur terre. Les financements des Banques de développement et des Fonds d’investissement chinois qui gèrent une partie des immenses réserves de change du pays sont conditionnés par l’attribution des marchés aux entreprises chinoises et aux services et fournitures de produits chinois pour les besoins des projets.

Sans stratégie de partenariat du côté algérien, le recours à ce type de financement fait donc augmenter les importations et accroît notre dépendance technologique et financière si ces projets ne dégagent pas les revenus attendus et ne sont pas mis à profit pour capitaliser le savoir-faire.

Le FMI quand même

Plus largement, l’intensification en cours du partenariat avec la Chine ne semble pas de nature à éviter à notre pays l’avènement d’une crise financière majeure au cours des prochaines années. En 2018, en dépit d’une conjoncture pétrolière favorable, le déficit de la balance des paiements a encore été proche de 17 milliards de dollars ainsi que devraient le confirmer prochainement les rapports de la Banque d’Algérie.

Pour la plupart des spécialistes, le niveau actuel des prix pétroliers devrait conduire à un déficit des paiements extérieurs encore supérieur à 10% du PIB et de l’ordre de 20 milliards de dollars en 2019.

La prolongation de la courbe suggère que notre pays pourrait être confronté à une situation de cessation de paiement dans un délai d’environ 3 ans en cas de maintien de la politique économique actuelle.

Dans ce cas de figure, qui est actuellement encore le plus probable, l’aide même très intéressée du partenaire chinois, ne nous épargnera pas un passage sous les fourches caudines du FMI qui risque de se révéler très douloureux en raison de l’état général de nos finances internes et externes.

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