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« Contrebandiers de l’Histoire » : Boudjedra persiste et s’explique

« Contrebandiers de l’Histoire » : Boudjedra persiste et s’explique

Bilel Zehani / PPAgency

Les éditions Frantz Fanon ont réédité Les contrebandiers de l’Histoire, le pamphlet de Rachid Boudjedra, dans lequel l’écrivain s’attaque à plusieurs écrivains et cinéastes algériens, leur reprochant de « contrebandier » l’histoire nationale.

Boudjedra résume les reproches qu’il fait à ces « contrebandiers de l’Histoire » en affirmant que certains ont « aidé, consciemment ou non, d’une façon opportuniste ou non, l’Occident à nous percevoir à sa manière. À lui donner des complices. Ses pitres. Ses bonimenteurs pour salons mondains et surchauffés. Avec comme récompenses quelques prébendes, quelques prix littéraires, quelque place à l’Académie française, quelques directions de centres culturels plutôt touristiques, d’ailleurs ».

Khadra, Daoud, Sansal…

Dans son pamphlet, Boudjedra classe dans la même case, celle des « contrebandiers de l’Histoire », des écrivains et réalisateurs aux origines, aux parcours et aux œuvres très variés. Se retrouvent sur le banc des accusés, Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Wassyla Tamzali, Feriel Furon et d’autres.

À Khadra, il reproche « d’avoir déformé la réalité coloniale » dans son roman Ce que le jour doit à la nuit où « il se fait le défenseur fervent de la cohabitation heureuse et enchanteresse entre les Français et les Algériens durant la colonisation ».

« Mais tout cet arsenal répressif, toute cette exploitation de l’homme algérien par le colon européen, toute cette misère qui produisait une famine endémique et des épidémies dévastatrices, une déscolarisation totale et permanente qui interdisait l’école aux enfants(en 1962, à l’indépendance, seuls 10% des enfants algériens étaient scolarisés !) n’ont pas du tout été relatés par Yasmina Khadra qui a fait passer l’apartheid que subissaient les colonisés algériens, pour une bonne entente entre les différentes communautés – la bonne blague ! », écrit Boudjedra à propos de l’un des romans à succès de Khadra. Toutefois, le pamphlétaire se montre moins dur avec Khadra qu’avec les autres. Il nuance : « Je considère que ce roman est une erreur de parcours ou un excès de naïveté mais qu’il n’enlève rien au grand écrivain qu’est Yasmina Khadra ».

Sansal, l’homme du système algérien

Boudjedra est plus dur avec Boualem Sansal, qu’il accuse d’avoir été « l’homme du système algérien choyé en bureaucrate docile, et qui a profité d’avantages substantiels pour pouvoir construire une belle villa à Zemmouri El Bahri, près d’Alger, dans un site protégé et consacré au patrimoine touristique ». Il lui reproche aussi « sa visite au mur israélien des lamentations où il a fait le clown », ainsi que ses deux romans, Le serment des Barbares et Le village de l’Allemand,  qui seraient, d’après l’auteur du pamphlet, « une démarche dont l’objectif est de plaire et complaire à ses maîtres sionistes ». Le deuxième roman, Le village de l’Allemand, est pour Boudjedra « un torrent de mensonges », dont le but est de « salir la Révolution algérienne et l’Armée de libération nationale ».

Wassyla Tamzali a, quant à elle, « commis ce roman (Une éducation algérienne) où elle disculpait son père abattu, donc, à Bejaia, pendant la guerre de libération sur ordre du Grand Amirouche, chef de la Wilaya III, à l’époque. Tout le roman Une éducation algérienne était un énorme déni de l’Histoire nationale si douloureuse et si effroyable de mon pays. Un objet non pas de propagande mais de contrebande où on falsifie ce maelström qu’a été la guerre d’Algérie ».

Un déclic

Boudjedra explique que l’écriture du pamphlet a été motivée par un « déclic », la parution en 2015, de Si Bouaziz Bengana, dernier roi des Ziban, de Ferial Furon. Le livre est une biographie du Bachagha Bengana, « grand tortionnaire et grand violeur devant Dieu, il fut reconnu par la France coloniale comme un grand ami à qui elle rendit de vibrants hommages. En particulier en 1930, lors de la célébration du centenaire de la colonisation de l’Algérie, à Paris où il fut décoré de la légion d’honneur pour « services rendus à la Nation Française « ».

Dans son brûlot, Boudjedra dénonce l’invitation de la descendante du Bachagha Bengana par le Centre culturel algérien de Paris, puis par l’Algérie où elle donna une conférence à l’Institut français d’Alger et passera même sur la chaîne de télévision publique Canal Algérie où elle fera l’éloge de son aïeul.

Si l’auteur du pamphlet s’est montré sans concession avec tous les écrivains et cinéastes dont il a dénoncé les « trahisons, forfaitures et fabrications de l’Histoire Nationale », il faut dire que c’est avec Kamel Daoud qu’il a été le plus véhément.

Daoud qualifié de « larbin »

À celui-ci, Boudjedra reproche d’avoir commis « un livre comme Mersault contre-enquête en plein centenaire de la naissance de Camus », ce qui est, selon Boudjedra, « de la contrebande intellectuelle ». Autre grief adressé à l’écrivain et chroniqueur : son comportement avec les médias occidentaux en général et français en particulier. Daoud se serait, selon Rachid Boudjedra, « comporté en larbin qu’on a vite récupéré » car il a déclaré dans une émission de télévision française : « La Palestine n’est pas mon problème ».

Des propos dont Daoud aurait immédiatement cueilli les fruits, selon Boudjedra. « Immédiatement, Kamel Daoud se vit offrir des chroniques dans des journaux prestigieux et très occidentaux : Le Point en France et Le New York Times aux USA ! Pourquoi, alors, une telle ascension vertigineuse ?! La réponse est évidente et cela s’appelle une récupération ».

Daoud, accusé dans le livre d’avoir appartenu au GIA pendant sa jeunesse, a porté plainte pour diffamation contre Boudjedra et sa maison d’édition.

Mais avec la réédition de son livre, Boudjedra persiste et s’explique, le passage qui contient l’accusation qui lui a valu un procès n’a pas été retiré.

Ainsi, dans cette deuxième édition, on peut toujours lire : « Après la parution du roman de Kamel Daoud qui nous fait son coup du Camus plus algérien que n’importe quel algérien et grand ami des Arabes ; et après son passage à l’émission de France 2 « On est pas couché » dirigée par Laurent Ruquier et où il a déclaré son admiration pour Albert Camus et son indifférence pour les Palestiniens, les Arabes et les musulmans, lui qui a été très jeune membre du GIA ! ».

Boudjedra persiste donc dans son accusation, malgré la procédure judiciaire qui a été lancée contre lui. L’écrivain a formellement confirmé ses accusations et les a étayées d’extraits de deux livres.

Le premier est Je n’ai qu’une langue et elle n’est pas la mienne, de Kawther Harchi et le second est Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête de Ahmed Bensaada, paru en 2016 aux éditions Frantz Fanon. Dans ce pamphlet, où le professeur de physique à l’université de Montréal essaye de démonter les thèses avancées par Daoud sur les viols et agressions survenus à Cologne lors des célébrations du nouvel an 2016, on peut lire : « Après avoir été lui-même un militant barbu du FIS, c’est-à-dire des Frères Musulmans, ces coupeurs de têtes d’Algériens au temps des « années noires », Kamel Daoud saute subitement la source de Zamzam et découvre que Dieu est athée ».

« Donc, cette personne a été un intégriste et c’est avéré. Moi, j’ai écrit : « Lui (Kamel Daoud) qui, très jeune, a été membre du GIA ». J’ai dit GIA comme j’aurais dit : Frères musulmans, FIS, GSPC, AIS, etc. Car, tout cela formait une nébuleuse inextricable avec de très nombreux sigles qui changeaient tous les jours ! Mais j’ai surtout insisté sur le fait qu’il était « très jeune » », conclut Boudjedra.

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