Dr Farid Arezki est médecin anesthésiste-réanimateur et président de la commission médicale à l’hôpital de Sarreguemines (département de la Moselle, en région Lorraine). Formé à la faculté de médecine de Tizi-Ouzou, après un an de spécialisation à l’hôpital Mustapha d’Alger, il entame sa spécialisation en anesthésie réanimation à Strasbourg dans l’Est de la France, et exerce à Sarreguemines en Moselle depuis 25 ans. Dans cet entretien, il revient sur la prise en charge des patients atteints du Covid-19 dans son établissement. Pour lui, la seule solution de parer à cette maladie c’est de respecter le confinement.
Comment vous organisez-vous pour faire face aux malades atteints du Covid-19 qui arrivent dans votre établissement ?
Dr Farid Arezki. En ce qui nous concerne, nous avons arrêté toutes les interventions programmées, en ne gardant que les urgences chirurgicales. Ensuite, plusieurs services se sont réorganisés. Il y a eu un moment on n’avait que des patients atteints du Covid-19 à 90% et au fur et à mesure l’ensemble des services ont été dédiés aux patients positifs au Covid-19 confirmés soit au scanner soit au prélèvement.
Au service de réanimation, on était au départ à huit lits de réanimation et 5 lits de soins continus (post-réanimation). Nous avons augmenté nos capacités en transformant la salle de réveil du bloc opératoire en réanimation. Donc, on est passé de 08 à 21 lits en y mettant des appareils respiratoires et en réquisitionnant une très grande partie du personnel du bloc opératoire pour la réanimation.
Pouvez-vous nous donner un bilan chiffré sur le nombre de malades que vous avez reçus ?
Au niveau statistique, le nombre de cas positifs, on en a eu dans les 500 malades depuis la mi-mars. On a enregistré 179 hospitalisations dont 57 décès et 37 patients ont été hospitalisés en réanimation. Malheureusement, le personnel soignant est plus touché : sur 831 tests qui ont été faits sur les personnels, 438 ont été déclarés positifs au Covid-19 soit un cas sur deux. Du coup, c’est du personnel soignant en moins. Dès qu’il est positif, le personnel est mis en confinement à domicile pendant 14 jours. Ce qui fait qu’il y a une gestion du personnel qui s’ajoute à d’autres difficultés.
La situation est-elle maîtrisée chez vous ?
Nous, dans la région du Grand Est, la situation est à la limite du maîtrisable. Heureusement il y a un aspect qui nous aide beaucoup, à savoir que les Allemands prennent en charge certains de nos malades en réanimation. A l’hôpital de Sarreguemines, il y a eu dix patients qui sont partis en Allemagne, ce qui est une précieuse aide. Par ailleurs, des sortes de TGV sanitaires transportent des malades vers les régions les moins touchées en France. Il faut savoir que les régions les plus touchées sont le grand Est et la région Île de France.
Ce qu’il faut savoir, c’est que le coronavirus est une maladie très contagieuse et c’est là où réside la difficulté. Les patients qui sont asymptomatiques sont contagieux. Avant qu’ils ne déclarent leur maladie, ces malades contaminent les autres. Ce qu’il faut savoir est qu’il y à peu près 15% de complications, à peu près 5% qui ont besoin de réanimation, et que, c’est triste à dire, la maladie ne touche pas que les personnes âgées et fragiles. La moyenne d’âge en réanimation est de 58 ans. On a eu un patient de 18 ans et un autre de 32 ans… il y a aussi une fréquence chez les personnes âgées de 60 ans.
Quelle solution pour endiguer cette pandémie du Coronavirus ?
Malheureusement, la seule solution c’est le confinement. Cela n’empêche pas de laisser les gens aller faire leurs courses mais en respectant certaines règles notamment observer 1 mètre de distance d’une personne à autre. En France le confinement est en vigueur depuis 15 jours, d’ailleurs il y a eu toute une polémique parce que le confinement a été un peu tardif. En Algérie, la réaction par rapport à cet aspect a été plutôt bonne. Aussi, les personnes à risque (les hypertendus, les diabétiques et les personnes en surcharge pondérale), devraient systématiquement porter des masques chirurgicaux (bavettes). Pratiquement ce sont ces types de patients qu’on hospitalise en réanimation.
Avez-vous un message à passer à vos confrères en Algérie qui sont en première ligne dans la lutte contre le Covid-19 ?
La première chose est que le personnel soignant qui est en première ligne et à qui je dis bravo vu les difficultés qu’il y a, doit se protéger. Il faut systématiquement porter des masques chirurgicaux. En ce qui nous concerne, nous ne manquons pas de masques chirurgicaux ; ce qui nous manque ce sont les masques FFP2. Ceux-là doivent être réservés à la réanimation ou quand on fait des soins très rapprochés du visage du patient malade. Il ne faut pas les gaspiller pour d’autres utilisations.
L’Algérie, comme d’autres pays, a adopté le protocole de traitement du Covid-19 à base de chloroquine. Quel est votre avis sur ce choix ?
Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas un médicament miracle. A propos de la chloroquine, il y a un petit doute sur son efficacité. Par principe de précaution on le donne mais il y a une chose importante, du moins en France c’est ce qui est fait, c’est donner le traitement seulement à l’hôpital. Ce traitement entraîne des effets secondaires qui peuvent être dangereux s’il n’y a pas de suivi. A l’hôpital on peut le donner tant qu’il y a une surveillance médicale. Il est trop risqué de le généraliser à l’extérieur de l’hôpital. En France le traitement à la chloroquine a été autorisé à l’hôpital mais en réalité sans trop de conviction, il y a eu une telle pression médiatique qu’il n’y avait pas d’autre choix.
Je pense qu’en Algérie c’est la même chose il y a une telle pression médiatique, un espoir sur ce médicament, que c’était compliqué de dire qu’on ne peut pas le donner. Mais ce n’est pas cela qui va résoudre le problème. La seule solution c’est que les Algériens, et d’ailleurs tous les pays qui sont concernés par cette pandémie, respectent le confinement. C’est la responsabilité de tout le monde de le respecter pour un intérêt collectif.
Donnez-vous la chloroquine à vos patients au sein de votre établissement ?
Effectivement, on le donne aux patients hospitalisés et positifs au Covid-19 et qui ne sont pas encore graves. Mais franchement il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur l’efficacité de la chloroquine ou pas. Malheureusement c’est une incertitude qu’on ne peut pas lever. Il y a une étude européenne qui est en cours actuellement, peut-être que d’ici deux semaines on en saura un peu plus.