Économie

Création de nouvelles wilayas et situation économique : entretien avec Smail Lalmas

Le Conseil des ministres a adopté mardi un projet de loi visant à créer dix nouvelles wilayas. Quelles sont les implications économiques de cette décision ? 

Smain Lalmas, expert en économie : Il faut savoir tout d’abord que ce découpage est l’œuvre d’un gouvernement décrié par la population, décidé en plein campagne présidentielle qui est rejetée par la grande majorité du peuple. Le communiqué du Conseil des ministres explique que ce nouveau découpage vise à aller vers plus de décentralisation et plus d’attractivité économique, alors qu’il faudrait à mon avis décentraliser plutôt les esprits et les mentalités pour atteindre les objectifs visés.

La volonté de renforcer et de donner une autre dimension aux différentes régions notamment celles du Sud et des Hauts-Plateaux, passerait par leur donner plus de liberté pour leur émancipation dans un programme de développement global, bien élaboré, qui prendrait en considération les potentialités de chaque région. Pour résumer, un découpage administratif devrait répondre à un besoin bien défini, programmé et planifié ; or, nous savons que ce gouvernement navigue à vue, sans programme ni stratégie, donc pour moi, c’est plus du populisme qu’autre chose. Bien sûr, cette action va nécessairement impliquer la mobilisation de ressources humaines et matérielles considérables pour la gestion des nouvelles wilayas.

A ce propos, ce nouveau découpage ne va-t-il pas au contraire alourdir le budget de l’État ?

Effectivement, la création des 10 wilayas va certainement alourdir le budget de l’Etat qui est déjà en difficulté, parce que cela va nécessiter des budgets importants, à savoir de fonctionnement, d’équipement et d’investissement, qui ne sont même pas prévus dans la loi de finances de 2020.

A vrai dire, je m’attendais à voir une nouvelle carte administrative qui aurait pour objectif de réunir ou plutôt rassembler certaines wilayas afin de favoriser les synergies et accentuer les dynamiques de coopération bien sûr en rééquilibrant le territoire. Par contre, on constate que le nombre de communes n’a pas changé, alors que dans les pays développés,  les communes au même titre que les wilayas, doivent faire nécessairement partie d’une intercommunalité avec un rôle renforcé pour construire de véritables projets de développement économique, d’aménagement ou d’urbanisme, mais malheureusement, encore une fois, ce projet est loin d’être un projet à portée économique ou de développement  surtout en l’absence d’une gestion participative et de démocratie locale.

Cela suffira-t-il à régler tous les problèmes dont souffrent les régions du Sud ?

Vous savez, depuis l’indépendance du pays, l’intérêt accordé aux territoires du Sud au sein desquels est extraite la plus importante richesse du pays, n’a jamais été à la hauteur des ressources qui y sont produites, ni à la hauteur des aspirations et attentes des citoyens de ces régions. Très peu d’infrastructures d’importance ont été installées pour faciliter la vie des populations du Sud et pour renforcer la mobilisation des facteurs de développement et de production.

Deux fonds du Sud et des Hauts-Plateaux existent et qui ont officiellement pour objectif l’accélération de la cadence de développement de ces régions à travers l’intensification des projets de proximité mais malheureusement, sans projets de développement régionaux intégrés dans une vision globale. Résultat connu, des sommes importantes dépensées sans atteindre aucun des objectifs tracés, le quotidien des populations de ces régions n’a pas changé. Donc, ce n’est pas un découpage à 58 ou 200 wilayas qui va changer la situation catastrophique de ces régions, mais il faut plutôt, une vision de développement globale avec une répartition légale des richesses et des chances entre les différentes régions, avec les ingrédients nécessaires pour tout projet de développement à savoir compétence, programme, crédibilité et confiance. Une fois ces quatre paramètres réunis, on parlera alors de développement.

Pour revenir à la situation économique du pays, comment évoluera-t-elle dans les prochains mois ?

Les prochains mois s’annoncent difficiles, les chiffres pour 2019 ne sont pas bons, quoique nous soyons habitués à ce tableau et ce depuis 2014. Le déficit de la balance commerciale des 9 mois de cette année dépasse les 5 milliards de dollars, un accroissement de 65% par rapport à la même période 2018, une baisse des exportations de 12%, un déficit de 700 milliards DA (5 milliards de dollars) de la Caisse des retraites attendu d’ici la fin de l’année, un recul de la fiscalité pétrolière et ordinaire vu que l’activité économique est au ralenti depuis début 2018.

Bien sûr, les solutions qui sont et seront envisagées par le gouvernement actuel et futur pour corriger cette situation sont connues d’avance. Je vais les citer dans l’ordre : baisse de la valeur du dinar, planche à billets et endettement extérieur, les choix préférés des différents responsables, oubliant que la véritable solution passerait inévitablement par l’investissement, donc un climat des affaires saint, renforcé par des mesures incitatives avec des compétences crédibles au centre d’un projet de développement économique ambitieux dans le cadre de la légitimité.

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