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Crise migratoire : l’Algérie exagère-t-elle le problème ?

Crise migratoire : l’Algérie exagère-t-elle le problème ?

Depuis le début de la seconde décennie 2000, les flux migratoires du Sud vers le Nord de la zone s’étendant de l’Afrique occidentale et centrale à l’Europe du sud sont devenus de plus en plus importants. La région du Sahel qui se trouve au centre de ce vaste espace est le carrefour des routes migratoires vers le sud de l’Europe.

Une gestion très restrictive

Sur ces routes, l’Afrique du Nord est une étape intermédiaire, où le Maroc et la Libye servaient, jusqu’à un passé récent, de zones tampons où se fixaient les flux migratoires en provenance d’Afrique subsaharienne à destination de l’Europe. Plus au Sud, le Niger et le Mali jouaient également ce rôle. Avec la fermeture des accès aux côtes européennes, l’effondrement de la Libye, et les difficultés auxquelles est confrontée le Mali et le Niger, l’Algérie est progressivement devenue une nouvelle zone tampon entre le l’Afrique et l’Europe.

Le gouvernement algérien semble bien en être conscient mais s’y prend à l’évidence de la plus mauvaise des manières. En invoquant la lutte contre les passeurs qui pullulent dans la région et la défense de la sécurité nationale, le gouvernement algérien a adopté une gestion très restrictive de ces flux qui relèvent presque exclusivement de l’immigration clandestine.

Que cela soit en Algérie ou ailleurs, les approches restrictives en matière de migration sont porteuses de violations des droits humains des migrants. De plus, elles ne permettent pas de discerner les personnes ayant migré pour des raisons purement socio-économiques de celles ayant fui leur pays en raison de persécutions.

Pourtant des solutions existent, aussi bien au niveau national en Algérie qu’au niveau régional au Sahel, pour contenir des flux migratoires vers l’Afrique du nord et vers l’Europe qui sont certes en nette augmentation, mais dont l’ampleur est souvent exagérée par les discours médiatiques et officiels ou par la perception que les Maghrébins ont des Subsahariens. En réalité, les flux migratoires en provenance d’Afrique subsaharienne vers le nord sont une infime portion des migrations à l’échelle continentale.

Entre 50 000 et 70 000 migrants en Algérie

On le dit trop peu souvent, mais l’essentiel des migrations en Afrique sont intra-africaines, c’est-à-dire qu’elles s’opèrent entre pays africains, et elles concernent en premier lieu l’Afrique subsaharienne.

À titre d’exemple, des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria ou la Côte d’Ivoire, accueillent une population de migrants de plus d’un million de personnes chacun. Le Burkina Faso, le Tchad ou le Nord du Cameroun accueillent quant à eux des centaines de milliers de réfugiés venant du Mali pour le premier, ou du Nigéria, de la Centrafrique et de la République démocratique du Congo pour les deux derniers.

L’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Libye, Tunisie) n’est à l’origine qu’une destination secondaire pour les routes migratoires en Afrique. Elle n’a souvent été qu’une zone de transit pour les flux migratoires à destination de l’Europe, qui contrairement à ce que les naufrages dramatiques au large des côtes libyennes et italiennes pourraient laisser penser, ne représentent qu’une infime partie des flux migratoires en Afrique.

Même si les flux passant par l’Afrique du Nord ont considérablement augmenté depuis les troubles en Libye et au Mali, ils ne représentent que quelques dizaines de milliers d’individus, comparés aux flux entre pays africains subsahariens qui concernent des millions de personnes.

Les chiffres de l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM) de 2017 parlent d’eux-mêmes. Sur les 15,5 millions d’Africains vivant en dehors de leurs pays respectifs en Afrique, 6 millions sont au Sahel alors que le Maghreb en accueille 320 000… L’Algérie quant à elle accueille, selon les estimations de la société civile, entre 50 000 et 70 000 Africains sub-sahariens sur son territoire. Avec les dernières expulsions, ce chiffre a sans doute encore baissé.

L’Algérie, nouvelle zone tampon des flux migratoires à destinations de l’Europe

Le grand carrefour des flux migratoires subsahariens à destination de l’Europe se trouve au Sahel avec les villes d’Agadez au Niger et de Gao au Mali. L’Afrique du Nord est quant à elle surtout une zone tampon qui, jusqu’au début des années 2000, était constituée principalement du Maroc et de la Libye.

Le Maroc, grâce à sa proximité géographique avec l’Europe et à ses enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, et la Libye, en raison de sa politique migratoire très généreuse, étaient en Afrique du Nord les principales zones tampons où se fixaient les flux migratoires à destination de l’Europe après le carrefour sahélien.

L’Algérie n’était dans tout cela qu’une étape intermédiaire sur la route migratoire vers l’Europe, les migrants en provenance d’Afrique subsaharienne n’y faisant souvent qu’une halte temporaire, principalement à Tamanrasset et à Oran, pour tenter de trouver les financements nécessaires pour continuer leur parcours.

Ce n’est qu’à partir de la fin de la première décennie 2000 et surtout à partir de 2012 que ces flux se sont progressivement déplacés vers l’Algérie sous la conjugaison de plusieurs facteurs.

Le premier tient à l’engagement des États maghrébins, principalement du Maroc, à freiner, sur incitation de l’Union européenne (UE), les flux migratoires subsahariens vers l’Europe avec la fermeture des passages vers le détroit de Gibraltar, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla et les îles canaries.

Le deuxième facteur est lié à l’effondrement de l’État libyen, provoquant un appel d’air des flux migratoires vers l’Italie mais aussi leur déplacement vers une Algérie stable et fortement demandeuse en main d’œuvre bon marché dans l’agriculture et le bâtiment.

Le troisième facteur est lié à la fermeture de la route migratoire vers l’île italienne de Lampedusa ainsi qu’à l’accord passé entre le gouvernement italien et le gouvernement libyen basé à Tripoli qui a permis de réduire ces flux de près de 80% en 2017 mais au prix de graves violations des droits de l’Homme commises par les garde-côtes et milices armées libyens sur les migrants subsahariens.

Le quatrième facteur est lié aux troubles au Mali qui ont poussé depuis 2012 nombre de Maliens, mais aussi de ressortissants ouest-africains se trouvant au Mali, à venir en Algérie.

Le résultat est que l’Algérie est elle-même devenue une zone tampon des flux migratoires entre le Sahel et l’Europe en accueillant à son tour des dizaines de milliers d’Africains subsahariens. Ces flux de migration, le plus souvent clandestine, sont facilités voire organisés et encadrés par de puissants réseaux de traite des migrants.

Le rôle des réseaux de passeurs et du crime organisé

La nette augmentation des flux migratoires entre le Sahel et l’Europe du Sud depuis 2011 a été une aubaine pour les réseaux de la criminalité organisée notamment de la traite des migrants.

Les différents rapports des ONG et des organisations onusiennes spécialisées telles que l’Organisation des Nations Unies pour le crime et la drogue (ONUDC) et l’OIM, sont unanimes à pointer le rôle des réseaux de passeurs dans l’encadrement des flux de l’immigration clandestine entre le Sahel et l’Europe.

Selon l’ONUDC, les réseaux de traite de migrants profitent d’une forte demande en immigration clandestine qui leur rapporte des centaines de millions de dollars de chiffre d’affaire par an au Sahel, et de 7 milliards de dollars au niveau mondial.

Ces réseaux spécialisés et hautement organisés sont aussi connectés au crime organisé activant en Europe tel que le trafic de drogue et la prostitution, et même au terrorisme dans le Sahel qui leur assure une protection en échange d’une rémunération.

Cette connexion intercontinentale des passeurs avec le crime organisé et le terrorisme les rend d’autant plus dangereux qu’ils commettent de graves violations des droits de l’Homme à l’encontre des migrants, comme la détention, la torture et même l’esclavage.

Le résultat est que les réseaux de passeurs contribuent à renforcer des flux migratoires. Face à ces flux, composés essentiellement de migration clandestine, et qui deviennent de plus en plus importants, les Etats choisissent souvent la facilité en prenant des mesures restrictives ou de type sécuritaire, dont les populations migrantes sont en fait les premières victimes.

Traitement sécuritaire des migrations

Dans sa gestion des flux migratoires, le gouvernement algérien a choisi l’option sécuritaire à travers des arrestations et expulsions massives d’Africains subsahariens, plus de 30 000 depuis 2014, qui lui valent de sévères critiques des organisations nationales et internationales de défense des droits de l’Homme.

La dernière en date est celle du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCDH), qui sur la base de témoignages recueillis au Niger, a demandé au gouvernement algérien de cesser des arrestations et expulsions attentatoires aux droits humains.

Le HCDH a évoqué des «rafles massives de migrants» suivies de «conditions de détention inhumaines et dégradantes», et a aussi fait part de sa «crainte que la campagne d’expulsion ne favorise le racisme et la xénophobie à l’encontre des Africains subsahariens».

Le HCDH a aussi affirmé que «l’expulsion collective des migrants, sans évaluation individuelle ou garantie de procédure, est profondément alarmante et contraire aux obligations de l’Algérie en vertu du droit international des droits de l’homme, notamment la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, que l’Algérie a ratifiée ».

Le gouvernement dénonce pour sa part une « campagne malveillante » à l’encontre de l’Algérie et assure, au contraire, remplir scrupuleusement ces obligations vis-à-vis du droit international des droits de l’Homme tout en appelant plutôt à lutter contre les réseaux de passeurs. Il souligne aussi le fait que beaucoup de pays à travers le monde soient confrontés à l’immigration clandestine.

Il est vrai que l’Algérie n’est pas la seule à traiter l’immigration clandestine sous l’angle de la protection de la sécurité nationale. Que ce soit dans le cas de l’Italie, ou plus généralement de l’UE à ses frontières grecques avec la Turquie, le choix qui a prévalu dans le traitement des flux migratoires a été celui de poser des restrictions drastiques.

Quelles solutions pour l’Algérie ?

Dans le cas où le gouvernement algérien tient à son approche sécuritaire, le minimum serait de veiller à ce qu’il soit mis un terme aux violations des droits humains qui sont reprochées aux services de sécurité lors des arrestations et des expulsions de migrants. Cela passerait peut-être par une plus grande implication des services de la Solidarité nationale, de la Santé et de la Justice dans la gestion d’une question qui est loin d’être strictement sécuritaire.

Il conviendrait aussi de s’assurer que la nationalité des personnes soit bien établie avant l’expulsion qui doit se faire non pas en camion et en plein désert, mais par avion et dans le pays d’origine. Pour cela, une plus grande coopération avec ces pays est nécessaire. Soit ces derniers sont invités à affréter des avions pour le rapatriement de leurs ressortissants comme cela s’est fait en Libye, soit le gouvernement algérien se propose de le faire.

Sinon des méthodes moins radicales sont aussi possibles comme la signature d’accords bilatéraux avec certains pays africains pour l’instauration de quotas de main d’œuvre par wilaya dans les secteurs qui en font la demande, comme l’agriculture et le bâtiment. En accompagnant cette mesure d’un suivi administratif étroit, y compris par les services de sécurité, cela permettrait de respecter les droits humains et de rendre les flux migratoires bien plus maîtrisable. Un des effets positifs d’une telle mesure pourrait-être le développement de lignes aériennes avec l’Afrique de l’Ouest, puisque l’Algérie ambitionne maintenant d’augmenter le commerce avec les pays africains.

L’Algérie devrait aussi sérieusement penser à se doter d’une loi sur l’asile qui lui permette de garantir l’octroi du statut de réfugié à des personnes qui en auraient besoin et ainsi être en phase avec la Convention de 1951 relative aux réfugiés et avec ses valeurs traditionnelles de soutien aux peuples opprimés.

Par ailleurs, la gestion sécuritaire des flux migratoires n’a strictement aucune incidence sur l’activité des réseaux de passeurs. Le chiffre de 500 tentatives par jour de rejoindre l’Algérie, même après le début de la campagne d’expulsions, l’a amplement démontré.

Sur le plan sécuritaire, l’une des priorités au Sahel devrait-être la lutte contre la traite des migrants qui de par sa nature transnationale, appelle à une coopération internationale. Sur le plan opérationnel, la lutte contre les réseaux de passeurs doit se faire au moyen d’une concertation des services de sécurité de tous les pays concernés mais surtout de leurs services de renseignement.

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