Économie

Culture de blé dans le sud de l’Algérie : l’autre face de l’Eldorado

En raison du manque d’eau, la récolte de blé est compromise cette saison en Algérie. A Tiaret, Constantine, Guelma, partout des champs de blé aux feuilles jaunies par la sécheresse. A quelques rares exceptions comme à El Hadjar (Annaba) les parcelles sont d’un beau vert.

C’est aussi le cas dans le sud de l’Algérie, à Adrar précisément en plein désert. Dans cette région, les rendements peuvent atteindre 80 quintaux de blé à l’hectare, un Eldorado qui a aussi sa face sombre.

Au nord de l’Algérie, une situation de crise

A Guelma, région céréalière par excellence, c’est la couleur jaunâtre qui domine dans les champs, à cause de la sécheresse qui sévit en Algérie.

Les parcelles de blé sont clairsemées. Partout des tiges d’un vert pâle avec des feuilles desséchées à leur base. De certaines tiges émerge un épi. En absence de pluies, c’est à peine si le rendement à venir payera les frais de culture engagés.

Même spectacle de désolation dans la région de Constantine. Si les parcelles au sol plus profond semblent moins atteintes, d’autres ne sont même pas récoltables et sont juste bonnes à être pâturées par les moutons.

Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural a pris des mesures de suivi des opérations d’irrigation de complément. Et des équipes devront procéder aux premières estimations de rendement.

Adrar, jusqu’à 80 quintaux de blé par hectare

A 40 km au nord d’Adrar, l’ingénieur agronome Mohamed Zouali ne rencontre pas de problèmes de manque de pluie. Ici, l’eau vient des nappes souterraines et elle est suffisante pour alimenter les 4 pivots de 40 hectares et les 4 autres de 20 hectares dont les frères Touadji lui ont confié la charge.

Il confie à Web TV DZ News qu’il produit du blé dur dont l’Algérie veut être autosuffisante, du maïs grain et du maïs fourrage sous forme d’ensilage.

Debout dans une parcelle de blé, il indique : « On récolte deux fois durant l’année. En juin, on récolte le blé et en novembre-décembre le maïs qui a été semé en juillet. »

Il poursuit : « Les rendements sont en moyenne de 60 à 65 quintaux de blé par hectare avec des pointes à 80 quintaux comme sur la parcelle où on se trouve. En maïs ensilage, on atteint 40 à 50 tonnes/ha et en grains jusqu’à 91 quintaux comme l’année passée ou 82 quintaux comme cette année. »

A proximité des pivots un stock impressionnant de bottes de paille. Les bottes sont simplement empilées les unes sur les autres sur une hauteur de trois mètres et forment un rectangle. Le stock de paille n’a pas la forme des meules de paille du nord. Cette forme conique protège la paille contre la pluie. A Adrar, il ne tombe que 40 mm de pluie dans l’année.

Deux camions sont garés près du stock de paille et des ouvriers s’affairent consciencieusement à charger le maximum de bottes de paille. Une paille qui aurait pu être enfouie dans ses sols désertiques pauvres en humus ou laissée en surface réduire l’évaporation de l’eau.

Mais, pour cela il faut des semoirs adaptés et c’est la course à la rentabilité maximale, une agriculture qualifiée de « minière ». Puis, dans le désert, à 1.500 km d’Alger la paille vaut de l’or.

Culture du blé dans le sud de l’Algérie : des conditions dantesques

Malgré des rendements honorables, le quotidien de Mohamed Zouali est loin d’être facile. Il témoigne : « Les conditions climatiques sont particulières. En hiver, il fait très froid et en été il fait une chaleur que vous ne pouvez même pas imaginer. »

A cela s’ajoutent les problèmes de tous les jours : « On rencontre une diversité de problèmes, comme l’alimentation en électricité, l’approvisionnement en pièces de rechange ou en recrutement de main d’œuvre. »

La question du matériel préoccupe l’ingénieur : « On est équipé en tracteurs dont la marque n’est plus importée, aussi on ne trouve plus de pièces détachées. Il nous faut un matériel adapté, un matériel solide qui supporte les conditions difficiles de la région. Il y a des annonces [concernant l’importation de matériel rénové] mais on n’a rien vu jusqu’à ce jour. »

Il détaille son quotidien : « Trouver un simple tendeur pour certaines marques de tracteur revient à l’exploit. Quant au matériel de récolte, pour être plus efficace, il nous faut des moissonneuses-batteuses puissantes. Cultiver du blé durant 6 mois et le voir sous nos yeux au sol est inacceptable. »

Il est vrai que sur ces espaces désertiques, en quelques heures une tempête de sable suffit pour coucher les épis au sol.

Culture du blé dans le sud de l’Algérie : des engrais à prix prohibitif

Questionné sur sa mission en tant qu’ingénieur, il précise : « Mon souhait, c’est de semer et de m’occuper des cultures jusqu’à la moisson. C’est tout mon travail. Gérer autre chose, cela ne devrait pas être mon rôle. » Il insiste : « Mon rôle est d’assurer une production en quantité et en qualité. »

L’approvisionnement en engrais le préoccupe en particulier d’autant plus que les sols sahariens sont sableux et particulièrement filtrants.

Aussi, les doses d’engrais azotés doivent être largement majorées. « Le prix des engrais est prohibitif. Le prix officiel est compris entre 9.000 DA et 13.000 DA le quintal, mais ici, le quintal atteint 27.000 DA. Le soutien de l’Etat ne suffit pas, il faut tout payer de sa poche et avancer l’argent clé en main », confie-t-il.

« Tout est cher ici »

Il poursuit : « L’énergie, la pièce de rechange ou l’irrigation, tout coûte horriblement cher. Un pivot coûte près de 10 millions de DA ».

Pour les engrais, cet ingénieur explique qu’il faut entre une semaine à dix jours pour faire venir les engrais d’Annaba ou d’Alger. « Le transport coûte cher. L’agriculteur ne fait que dépenser. Le coût de revient de la culture est très élevé. Ces dépenses constituent un sérieux problème », ajoute-t-il.

Face à la cherté des équipements, des engrais et des coûts de production en général, Mohamed Zouali espère davantage de soutien de la part de l’Etat pour les agriculteurs qui cultivent le blé dans le sud de l’Algérie.

« Tout est cher ici. On espère plus de soutien aux producteurs. Je veux bien produire, si je réussis c’est toute la société qui réussit. En tant que producteur, tout ce que je produis actuellement reste encore insuffisant. Je veux produire pour améliorer la marge bénéficiaire. Actuellement, nous arrivons en moyenne à des rendements de 60 quintaux, l’objectif est d’arriver à 70 voire 75 quintaux. »

Produire plus de blé dans le sud de l’Algérie nécessite que des ingénieurs soient chargés pour effectuer des essais afin de répondre aux investisseurs. Les axes pistes de recherche sont variés : amender les sols en argile pour mieux retenir eau et engrais, utiliser des régulateurs de croissance pour semer plus dense sans que le blé ne verse ou ajouter à l’eau d’irrigation des engrais à base de potasse pour obtenir de plus gros grains.

Réserver l’eau aux productions stratégiques

Les problèmes rencontrés par des producteurs de blé dans le sud de l’Algérie sont nombreux. C’est le cas du positionnement des pivots sur la concession accordée aux investisseurs.

« Avec 2.000 hectares, on ne peut installer que 8 pivots. Il y a une distance à respecter entre les forages, celle-ci est de 1,2 km. Aussi, au niveau de la concession, les surfaces inoccupées sont plus importantes que celles irriguées. »

Mohamed Zouali indique sa vision de ce que doit être la mission de l’agriculteur : « La mission exclusive de l’agriculteur est d’assurer la nourriture des Algériens. C’est mon travail et tout le monde peut en bénéficier. Moi j’en bénéficie, le pays en bénéficie et on réduit les importations. »

Il ajoute : « On souhaite préserver cette ressource en eau pour les productions stratégiques. On souhaite un soutien aux producteurs réels, surtout dans les régions sahariennes, et que l’agriculteur ne soit préoccupé que par son travail et ne soit plus préoccupé par d’autres problèmes. »

Vue du ciel, la concession montre une mosaïque de champs de blé circulaires de couleur vert et d’autres de couleur marron. Le signe de pivots déplacés. Dans certaines régions, au fil des campagnes d’irrigation, le sel contenu dans l’eau s’accumule et devient nocif pour le blé.

L’ingénieur agronome pédologue Rabah Lahmar, a calculé le risque que représente le sel : « Un hectare de blé consomme 6.000 m3, si l’eau d’irrigation contient 2g/l de sel, la culture peut alors laisser dans le sol en fin de cycle 12 tonnes de sel. »

En 1996, ce pédologue notait : « Cinq campagnes d’irrigation, dans les fermes pilotes de Gassi-Touil, ont suffi à multiplier par six le niveau de salinité des 20 premiers centimètres du sol. » Une salinité qui peut causer une baisse de rendement de 50 %.

Sécheresse au nord, coûts de production de blé élevés au sud avec risques de salinisation sans compter les coûts logistiques dus à l’éloignement des zones de production.

Après 11 heures de route, les camions transportant la récolte de grains de blé d’Adrar vers Bougtob arrivent parfois « sur les jantes », raconte un observateur.

Adrar produit annuellement un million de quintaux de blé. Une opération loin d’être aisée.

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