Ces dernières années, la région des Aurès dans l’est de l’Algérie s’est couverte de pommiers. Aux vergers traditionnels ont succédé des plantations nouvelles. Les agriculteurs intensifient la production en adoptant des techniques modernes. Depuis peu, l’introduction de variétés originaires de Pologne a révolutionné les façons de faire.
De jeunes pommiers couverts de pommes
À Bouhmama (Khenchela), début juillet, au pied d’un jeune arbre de son verger Yacine compte les pommes. À haute voix il égrène les chiffres 36, 37, 38. Près de lui, sourire aux lèvres, deux jeunes enfants observent l’adulte.
Yacine continue 55, 56, 57. Arrivé à la centaine, il redémarre le décompte à zéro pour finalement arriver à un total de 128 pommes sur un seul arbre. Un arbre âgé d’à peine deux ans venu de Pologne comme des centaines d’autres importés dans un conteneur et immédiatement planté par la coopérative arboricole de Bouhmama (Batna).
Même production prometteuse dans l’exploitation de Kamel Boujalil à Deqaqa (Khenchela). Les plants sont âgés de 14 mois, quelques-uns présentent des traces de blessures suite à la grêle explique l’investisseur : « Nous n’avons pas encore installé les filets anti-grêle ainsi que les filets d’ombrage. Ils n’étaient pas disponibles l’année dernière. »
Les jeunes arbres sont plantés côte à côte et maintenus par des fils en acier tendus entre de minces poteaux en béton installés tous les 30 mètres. À leur pied courent les gaines d’irrigation par goutte à goutte. Ces plants reviennent de loin.
L’hiver dernier, dans le cadre d’échanges algéro-polonais c’est Thomas, un technicien polonais qui les a taillés sous les yeux ébahis d’agriculteurs locaux. Une taille de démonstration organisée par la coopérative.
Muni d’un sécateur à alimentation électrique grâce à une batterie installée dans un sac à dos, le technicien polonais s’est volontiers prêté à la tâche. Un bonnet enfoncé sur la tête, il a mis du cœur à l’ouvrage.
Jaugeant chaque jeune pommier d’un rapide coup d’œil, il repère quelques rameaux qu’il coupe rapidement laissant derrière lui un tronc presque nu. Étonnés, les agriculteurs présents regardent faire, mais à leur expression on pourrait presque deviner ce qu’ils pensaient : « il ne va rien laisser sur ces pauvres arbres ».
Au bout d’une dizaine d’arbres, cela avait été au tour des agriculteurs présents de se prêter à ce type de taille.
Pommiers dans les Aurès : un rendement de 600 quintaux à l’hectare
Plusieurs mois après, c’est ces mêmes arbres, si sévèrement taillés en hiver, qui portent jusqu’à 128 pommes par pied. Des arbres non pas plantés tous les 7 à 8 mètres comme autrefois, mais à moins de 2 mètres chacun comme c’est le cas en culture super intensive. Une technique qui permet d’installer 3.000 arbres à l’hectare et un retour sur capital en deux ans comme l’indique la coopérative « Apple Bouhmama » sur Internet.
Un rapide calcul effectué par l’agriculteur à partir de ce comptage lui permet d’espérer une récolte de 600 quintaux de pomme à l’hectare.
Prudemment, Yacine préfère tabler sur une moyenne de 500 quintaux de pommes à l’hectare. Puis la récolte n’est pas acquise, les agriculteurs des Aurès savent que sur ces vergers situés à une altitude de 1.000 mètres, les orages de grêle peuvent être violents. Il suffit de quelques minutes pour que celle-ci détruise les pommes, aussi ont-ils appris à protéger les arbres par des filets.
Un appel aux investisseurs
Maîtrisant parfaitement les techniques de communication, les responsables de la coopérative ont filmé et posté sur les réseaux sociaux les différentes étapes du cycle de ces variétés de pommiers venus de Pologne.
Aujourd’hui, ils proposent aux agriculteurs de la région des plants produits localement. Pour toucher plus de monde, ils répètent même le message en langue française à destination de la diaspora algérienne installée à l’étranger. « Nous avons des demandes d’Algériens résidant à l’étranger et souhaitant rentrer au pays » indique un des animateurs de la coopérative.
À Bouhmama, l’innovation ne se résume pas en l’introduction de nouvelles variétés telle la Gala royale plus précoce et plus résistante à la sécheresse ou au développement de l’irrigation par goutte à goutte.
La réduction des traitements chimiques contre le carpocapse, ce ver qui infeste les pommes, est d’actualité. Un agriculteur témoigne de l’intérêt d’employer des diffuseurs disséminés dans le verger.
Ils permettent de réduire considérablement les traitements à base de pesticides. Ces bâtonnets imprégnés de quelques milligrammes de la substance chimique reproduisant et amplifiant l’odeur des femelles du carpocapse suffisent à perturber les mâles et ainsi à empêcher toute reproduction.
Est-ce dire que le développement de la production de pommes est une totale réussite dans ces régions déshéritées chères à la sociologue française Germaine Tillion ? Si les pommes de Bouhmama se sont si bien acclimatées dans les Aurès, c’est avant tout pour les hivers froids.
Les pommiers ont besoin de froid pour pouvoir fleurir. En témoigne la mésaventure de ce jardinier amateur. Dans son jardin à Bordj El Kiffan (Alger), il a planté un pommier et durant des années a espéré avoir des fruits.
Une disponibilité insuffisante en eau
En plus du froid, les pommiers ont besoin d’eau. Les fortes densités de plantation et l’extension des vergers démultiplient la demande. Les agriculteurs ont recours à des forages, mais peu pensent édifier de petites retenues collinaires ou des murets de pierres sèches dans les ravins afin de réduire le ruissellement des eaux de pluies et ainsi favoriser l’infiltration de cette eau précieuse vers les nappes souterraines qui alimentent leurs forages.
La disponibilité en eau, un sujet que ne manque pas de préciser Kamel quand le responsable de la coopérative lui demande de conseiller d’éventuels investisseurs à se lancer dans ce type de production : « C’est une production difficile. La condition première est d’avoir accès à l’eau. C’est la colonne vertébrale de tout projet d’installation d’un verger » de pommiers.
Le développement des vergers de pommes a créé de nouveaux emplois dans les Aurès. Pour la récolte en cours, de nombreux saisonniers affluent des communes avoisinantes. C’est le cas à Melagou dans ce verger vieux de 15 ans où des ouvriers récoltent les premières pommes de la variété Gala. Reste à résoudre la question de la commercialisation, l’écart entre le prix de vente des pommes au départ des vergers et celui imposé aux consommateurs reste élevé.
Les techniciens polonais sont repartis depuis longtemps, ils reviendront la saison prochaine dans le cadre des échanges tissés avec les producteurs locaux. À Bouhmama, la filière locale des producteurs de pommes a réussi un partenariat particulièrement réussi.
C’est également le cas avec la filière huile d’olive avec le Programme européen d’appui au secteur de l’agriculture (PASA). Des réussites qui militent en faveur de l’extension de ce type d’échanges à d’autres filières.