Le transfert de fonds par les expatriés vers leur pays d’origine constitue une part importante du PIB de certains pays.
L’Algérie, qui compte pourtant une très importante communauté à l’étranger, notamment en France, n’est pas un grand récipiendaire de ces fonds et reste en retrait par rapport aux autres pays d’Afrique du Nord.
Pour tenter d’expliquer le paradoxe, le sociologue algérien Mohamed Saïd Musette a lancé un débat sur LinkedIn.
Les chiffres de la Banque mondiale font état d’un énorme gap entre l’Égypte, premier récipiendaire en Afrique des transferts des expatriés, et l’Algérie. Entre les deux, se trouvent le Maroc et la Tunisie.
En 2022, les Égyptiens expatriés ont envoyé plus de 31 milliards de dollars vers leur pays, les Marocains 11 milliards, les Tunisiens plus de trois milliards de dollars. Pour le Maroc, ces transferts constituent 6,5% du PIB, ce qui n’est pas négligeable.
Dans la région Afrique du Nord, les Algériens sont bons derniers, ou paraissent l’être, comme l’expliquent certains spécialistes qui ont réagi à l’interrogation de Mohamed Musette. En 2022, le total des montants transférés vers l’Algérie, y compris les pensions de retraite, se sont établis à 2 milliards de dollars seulement.
« L’Algérie reste peu attractive pour notre diaspora contrairement aux migrants et expatriés des autres pays de l’Afrique du Nord », postule le chercheur en sociologie.
À première vue, c’est ce que laissent lire les chiffres, mais le postulat n’est pas tout à fait exact. Du moins, les chiffres de la Banque mondiale sont biaisés.
Les paramètres qui influent sur les transferts des expatriés vers un pays donné sont tout d’abord leur nombre, ensuite la situation dans le pays d’accueil (état de l’économie principalement) et la situation socio-économique dans leur pays d’origine.
Contrairement aux Maghrébins qui pour la plupart choisissent les destinations traditionnelles de l’émigration, à savoir les pays d’Europe occidentale, les Égyptiens sont très nombreux à s’expatrier vers les pays du golfe où les conditions salariales et le coût de la vie peuvent être différents que ceux prévalant en Europe.
Depuis 2014, la courbe des transferts des Égyptiens, Marocains et Tunisiens est ascendante, celle des Algériens est constamment plate.
Néanmoins, si les Égyptiens sont ceux qui envoient le plus vers leur pays, c’est d’abord à cause de leur nombre. « Il ne faut pas oublier l’effet du nombre. Un raisonnement par capita aurait pu éliminer cet effet », suggère Mohamed Yazid Boumghar, statisticien économiste.
Mais « l’effet du nombre » n’explique pas l’énorme différence entre les transferts des Algériens et ceux des Marocains ou encore ceux des Tunisiens.
L’explication est livrée par le même économiste qui souligne que les données de la Banque mondiale ne comprennent que les transferts officiels, c’est-à-dire ceux effectués à travers les circuits bancaires, soit les transferts dits « personnels » (envois des migrants) ou institutionnels (pensions de retraite par exemple).
Pourquoi les Algériens de l’étranger transfèrent « moins » d’argent vers le pays ?
En clair, les Algériens ne transfèrent peut-être pas moins que leurs voisins, mais ils le font via les circuits informels. Le chiffre exact ne peut sans doute pas être connu à cause de l’opacité de ce circuit. « Les écarts seront moins accentués » si l’on inclut « la hawala » dans le calcul, a estimé M. Boumghar.
La hawala est un système traditionnel de transfert de fonds qui n’utilise pas les circuits bancaires, mais des réseaux informels dans plusieurs pays. Pour les expatriés algériens, le procédé utilisé est connu : l’expatrié installé en France par exemple remet des euros à une de ses connaissances qui charge alors un contact en Algérie de remettre l’équivalent en dinars à la famille de l’émigré. D’autres ont recours à l’achat de biens, comme un véhicule, qu’ils envoient au pays où il est gardé par la famille ou vendu.
Toutes ces explications appellent une autre question, centrale : pourquoi alors les Algériens évitent-ils les circuits bancaires officiels ? La réponse coule de source. Évidemment, c’est à cause du double taux de change.
En juin dernier, la Banque mondiale a établi une liste de 14 pays ayant un double taux de change jugé « problématique », avec une différence de plus de 10% entre le cours officiel et le cours parallèle. L’Algérie y figure, mais pas les autres pays d’Afrique du Nord.
Actuellement, le taux de change officiel est de 144 dinars pour un euro. Au marché parallèle, un euro vaut environ 230 dinars. La différence est énorme (86 dinars sur un euro échangé) et elle peut expliquer à elle seule pourquoi les expatriés algériens préfèrent changer leur argent dans les circuits informels.
La Banque mondiale avait fait état, dans son rapport, de résistance des « intérêts acquis » contre les tentatives des gouvernements de remédier à cette situation de double taux de change qui s’apparente à « une forme de soutien de l’État ».
En Algérie, ces « intérêts » sont nettement visibles dans l’activité de l’importation. L’activité offre cet avantage d’accéder aux devises au taux officiel pour régler les transactions à l’étranger et certains importateurs en profitent.
D’où la prolifération du phénomène de la surfacturation qui fait tant parler et qui a suscité des mesures drastiques, dont les tours de vis successifs imposés aux importations.
En achetant des biens surfacturés à l’étranger, les importateurs peuvent disposer de devises qu’ils peuvent ensuite revendre sur le marché noir pour engranger d’importants bénéfices.
Parfois, ils n’ont pas besoin de vendre les marchandises achetées pour gagner de l’argent en raison de la différence entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle.
Parfois, il est procédé au contraire à la sous-facturation pour éviter de payer des droits de douane élevés en Algérie. Pour payer la différence à leurs fournisseurs, ces importateurs ont recours au marché noir des devises, ce qui explique la hausse constante des taux de change du dollar et de l’euro qui ne cessent de battre des records.
Dans tous les cas, le double taux de change est préjudiciable à l’économie du pays et les économistes n’ont pas cessé de le souligner.
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