Économie

Discrimination en France : le témoignage de Morad Attik

Les enfants issus de l’immigration et particulièrement maghrébine ont-ils une place attitrée contre laquelle ils ne peuvent lutter en France ?

C’est la question que nous a inspirée le témoignage de Morad Attik, directeur général et cofondateur de la start-up Evolukid sur le réseau professionnel LinkedIn.

| Lire aussi : Propos anti-musulmans : nouveaux dérapages en France

Dans une brève vidéo qu’il a publiée sur son réseau, l’entrepreneur français d’origine algérienne évoque un épisode peu agréable qu’il a vécu en région parisienne.

Alors qu’il se rend en voiture au Sommet de l’inclusion organisé par le ministère de l’Économie, des agents de police activent leur gyrophare et le somment de s’arrêter pour un contrôle.

| Lire aussi : Robotique, numérique : Morad Attik détaille ses projets en Algérie

L’entrepreneur s’est exécuté sans savoir pourquoi son véhicule en particulier a été repéré, mais tout en craignant d’avoir fait une infraction par mégarde. Très vite, il comprend qu’il n’a commis aucun méfait, mais qu’il sera tout de même contrôlé. L’échange avec les policiers se déroule normalement mais le ton employé par un agent révèle une indélicatesse lourde de sens.

Parce que d’origine algérienne, sa réussite est remise en question

L’un des trois agents présents me demande les papiers du véhicule et de sortir de la voiture. Et là je me dis quelque chose cloche. Parce qu’à aucun moment une infraction est relevée, il s’agit d’un simple contrôle. Je commence à comprendre que quelque chose ne va pas. Et du coup il y a un peu un choc, puis de l’incompréhension et après, quand je m’aperçois que c’est un délit de faciès, il y a même de la frustration”, confie Morad Attik à propos de ce contrôle de police.

| Lire aussi : Naïm, un humoriste franco-algérien au verbe incisif

J’ai répondu très poliment aux questions de l’agent de police. Ce dernier m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui réponds donc que j’ai une start-up, il me répond : ‘Ah bon ? Dans quel domaine ?’ Je lui réponds : ‘Dans le numérique, l’intelligence artificielle’. Il s’étonne : ‘Vous travaillez dans l’intelligence artificielle ?! Il faut faire de grandes études pour ça, vous êtes sûr ?’”, se souvient Morad Attik qui vit mal cette scène mais fait tout pour se contenir.

| Lire aussi : ENTRETIEN. Redouane Bougheraba, humoriste : « L’Algérie, c’est mon ADN »

“Il y a cette condescendance. Encore une fois, il faut garder son sang-froid et rester droit dans ses bottes. Je réponds :Oui Monsieur, je vous confirme que je travaille dans l’intelligence artificielle’”

Malgré le ton étonné de son interlocuteur, Morad Attik, comprend que cet échange ne sera pas à son avantage.  “Je comprends bien ce qui se passe et ça me frustre mais je ne pouvais rien y faire. Je ne voulais pas que ça dérape dans un endroit très isolé”, estime l’entrepreneur franco-algérien.

| Lire aussi : Rencontre avec El Mouhoub Mouhoud, président de Paris-Dauphine

Le cas de Morad Attik est marquant tant le contexte dans lequel l’entrepreneur a vécu cette défiance est particulier. Cet entrepreneur à succès, vêtu d’un beau costume pour se rendre  à un événement officiel organisé par un ministère stratégique sur le thème de l’inclusion se retrouve questionné et remis en question comme s’il était coupable d’une action illégale. Une situation plus qu’ironique.

Cachez cette origine maghrébine ou arabe que nous ne saurions voir

Comme Morad Attik, de nombreux Français d’origine maghrébine ont vécu des moments de gêne où l’on remettait en question leur légitimité. Professionnelle, celle de leur statut de Français, ou celle de leur honnêteté.

| Lire aussi : Algérie – France : l’inattendu José Gonzalez

J’ai voulu faire une attestation d’hébergement à ma sœur qui vit à Tunis et qui doit faire ses études en France. À la mairie lorsque j’ai déposé le dossier avec ma carte d’identité française, l’agent municipal m’a exigé mon titre de séjour de manière insistante. J’ai eu beau dire que j’étais Française et que donc je n’en avais pas mais elle ne voulait rien entendre”, raconte Sonia, une Parisienne d’origine tunisienne.

L’autre fois à la pharmacie, une pharmacienne m’a reprise sur mon français en se moquant de moi. Elle estimait que j’avais employé le mauvais mot au moment de la commande de mon médicament. J’ai dû lui expliquer que j’étais doctorante en littérature française et que malgré mes cheveux bouclés, la langue de Molière est mon outil de travail”, se souvient Soumia, une Lyonnaise d’origine algérienne.

Tu fais touriste avec tes cheveux naturels, c’est beau mais ça ne fait pas sérieux dans le travail, m’a expliqué mon boss une minute avant un meeting très important avec des clients”, se souvient encore Nadia, consultante à Paris.

Les remarques déplacées sont encore très présentes en 2022 en France. Impossible de les citer toutes . Elles sont d’autant plus difficiles pour des enfants d’immigrés qui ont littéralement arraché leur réussite et représentent la fameuse preuve d’intégration demandée en France.

Des discriminations en série pointées du doigt dans des rapports nationaux et internationaux

Plafond de verre professionnel, commentaires inappropriés et condescendants ou même discrimination assumée, cette limite sociale peut être nommée de diverses manières. Les Français d’origine maghrébine sont-ils inlassablement condamnés à montrer patte blanche en France pour exister et à justifier leurs réussites ?

La France affiche depuis des années une dissonance entre les discours politiques et pratiques sociétales autour d’une composition d’une société diversifiée.

Les mandats d’Emmanuel Macron ont creusé cette contradiction. Puisque le président français et son parti En Marche ont laissé croire que la diversité serait enfin acceptée, voire valorisée dans les sphères décisionnelles du pays.

Si en apparence, le cosmopolitisme est plus important dans les secteurs visibles et médiatisés, qu’en est-il de la réalité quotidienne ?

La présence même de minorités dans l’espace public semble poser des problèmes sociaux en France. Début décembre, l’ONU a émis des recommandations à l’égard de la France concernant la lutte contre les discriminations.

L’organisation internationale s’inquiète de la situation actuelle en France et recommande en urgence “d’inclure dans sa législation la définition et l’interdiction du profilage racial ou ethnique et de veiller à ce que soient mises à disposition de la police (…) des directives claires tendant à prévenir le profilage racial ou ethnique lors des contrôles de police, des contrôles d’identité et d’autres activités de la police”.

Ce récent rapport fait écho à une étude antérieure, celle du Défenseur des droits en 2017. « Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils [origine ethnique arabe] ont ainsi une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés« , expliquait le Défenseur des droits, Jacques Toubon.

Côté insertion professionnelle, il en est de même. Les candidats ayant des origines étrangères et notamment maghrébines sont parfois exclus sans même le savoir.

En 2021, une étude du Dares qui dépend du ministère du Travail, estimait que “les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française”.

Les témoignages de binationaux et personnes issues de l’immigration foisonnent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Mais aussi les études officielles portant sur cette exclusion sociale récurrente des minorités laissent penser que la réussite sociale des minorités n’est pas suffisante. Détenir une origine étrangère renvoie constamment à une place non choisie.

Subir ou être acteur de son image ?

Subir, se battre ou même partir ? Telle est la question qui se pose pour de nombreux Français d’origine maghrébine.

L’option du départ pour l’étranger est de plus en plus adoptée parmi les diplômés issus de diasporas maghrébines. la France commence à perdre des cerveaux, davantage courtisés par le monde anglo-saxon ou le monde arabe comme les Émirats Arabes Unis ou même le Maghreb. Si l’on ne peut chiffrer cette donnée, les récits personnels sur ce thème commencent à émerger sur la Toile.

Bien que choqué de l’épisode du contrôle de police, Morad Attik appelle à ne pas baisser les bras. “Je ne sais pas pourquoi cet agent de police s’est étonné [de son statut professionnel], il faudrait lui demander. Peut-être a-t-il des biais cognitifs particuliers. Il n’est peut-être pas habitué à avoir en face de lui une personne qui se présente en modèle de réussite, alors qu’il y en a plein. C’est pour ça que je dis qu’il est nécessaire de créer des modèles de réussite, de les rendre visibles, parce que nous sommes très très nombreux”, estime l’entrepreneur.

Comme le suggère Morad Attik, peut-on réellement lutter contre ce type d’image défavorable ? Malgré les modèles de réussite, ce lien à une minorité en France empêche-t-il d’être reconnu pour ce que l’on fait et non pour ce que l’on est ?

C’est sur l’aspect professionnel que l’on peut faire bouger les lignes d’après Morad Attik. Ce dernier estime que depuis la publication du rapport du Dares sur la discrimination en France, “rien n’a changé, ni depuis cinq ans ni depuis dix ans. Il y a peut-être des initiatives qui se créent et il faudrait mesurer leur impact”.

Il le voit au quotidien dans son travail d’entrepreneur. “Je travaille beaucoup sur le terrain et j’échange avec énormément d’étudiants, je vous invite à voir le post que j’ai fait sur Linkedin, au sujet d’un prénommé Mehmet, d’origine turque, qui a envoyé 400 candidatures et qui a reçu une seule réponse qui était négative. Cet étudiant est dans une bonne école de développement informatique, l’EFREI. Ce qui n’a pas de sens parce que dans le numérique tout le monde recherche”,  raconte l’entrepreneur franco-algérien.

“C’est pourquoi avec Evolukid, j’essaye modestement de faire bouger les lignes et ce qui est intéressant à noter c’est qu’à l’échelle d’une start-up comme la nôtre où on est à peine une douzaine et bien on a des résultats. Il y a des jeunes qu’on arrive à placer dans des grands groupes. Il y a une émulation, on arrive à valoriser des talents. Dans leur mindset, ces talents prennent confiance en eux, ils ne s’autocensurent plus”.

Les plus lus