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ÉDITORIAL. Le Palais cantonne les islamistes du PJD à de la figuration

Le gouvernement nommé par le roi Mohammed VI consacre le grand retour décomplexé de la « monarchie exécutive ». Il marque la défaite cinglante des islamistes qui comptaient conforter leur influence politique depuis leur victoire aux législatives et ferme la parenthèse d’une expérience contrainte par les effets des Printemps arabes.

Ce n’est pas l’arithmétique qui compte, a dit en substance le roi Mohammed VI dans son discours de Dakar. Démonstration faite : avec 11 portefeuilles ministériels sur 39, le PJD est malgré tout en minorité absolue dans ce gouvernement où il est cantonné à faire de la figuration malgré sa victoire aux législatives.

Ce que vit le parti de la lampe aujourd’hui a des allures de Berezina. Qu’il est loin le soir du 6 octobre lorsque son chef, Abdelilah Benkirane, tutoyait les étoiles. Arrivé en tête avec 125 sièges sur 395, le parti islamiste ne disposait pas d’une majorité absolue, mais avait progressé de 18 sièges. Sa victoire portait en réalité déjà les germes d’un échec : toute la classe politique (et au-delà) savait déjà que le véritable pouvoir, exercé par le Palais, ferait barrage à toute coalition qui aurait permis aux islamistes de se renforcer pour les cinq ans à venir.

Après six mois de tractations stériles et autant d’humiliations, le PJD a été terrassé et Benkirane remercié par simple communiqué. Son successeur, Saadeddine El Otmani, désigné le 17 mars, avait un ultimatum et une feuille de route à respecter : il s’est exécuté sans broncher alors que son parti, tiraillé de l’intérieur, vit des instants crépusculaires.

La majorité confortable de 240 sièges constituée avec cinq autres partis, notamment avec le RNI, pourtant arrivé seulement quatrième aux législatives avec 37 sièges, est loin de refléter la volonté populaire exprimée dans les urnes, mais le véritable périmètre de pouvoir de chacun.

Chose prévisible : quasiment tout le pôle économique tombe dans l’escarcelle du puissant Aziz Akhannouch qui a maintenu aux postes-clés ses fidèles lieutenants : Moulay Hafid Elalamy à l’Industrie, Mohamed Boussaid à l’Économie et aux Finances et lui-même en tant qu’inamovible ministre de l’Agriculture et de la Pêche aux mandats élargis.

Si le PJD peut se prévaloir de l’Équipement et des Transports, ainsi que de l’Énergie et les Mines, là encore, leurs titulaires, Aziz Rebbah et Abdelkader Amara, qui ont dû échanger leurs postes pour éviter leur ancrage, sont réputés pour être les plus makhzéno-compatibles de leur clan. Leurs prérogatives sont d’ailleurs dans la réalité tenues par d’autres, à l’image de l’agence MASEN et de l’ONHYM chargés de tracer la politique énergétique du pays et qui relèvent dans les faits du Cabinet royal.

Mais la volonté du Palais ne se résumait pas simplement à sanctuariser les chapelles technocratiques où se concoctent les « grands chantiers » si chers à Mohammed VI, mais de retrouver la plénitude de son pouvoir sur les ministères régaliens dits de « souveraineté ». La Justice est retirée à Mustapha Ramid, réduit à un rôle protocolaire de ministre d’État aux droits de l’Homme. La diplomatie revient directement dans le giron du roi avec la consécration logique de Nasser Bourita, cheville ouvrière de la nouvelle doctrine royale, notamment en Afrique. D’autres signes ne trompent pas : le département de la Communication n’existe plus en tant que tel, rattaché à la Culture et retiré lui aussi au PJD qui en avait fait son instrument d’influence face à la citadelle des médias publics. Pas de changement aux Habous et à l’Administration de la Défense nationale dont les titulaires sont maintenus « à vie », prouvant encore une fois qu’ils n’ont de ministères que le nom. Ceci sans compter la promotion de Abdelouafi Laftit à l’Intérieur, hier accusé par le PJD de tant de turpitudes…

Même l’Éducation – qui tient désormais en un bloc – est confiée à un techno-sécuritaire en la personne de Mohamed Hassad qui prend pour la circonstance les couleurs du Mouvement populaire, un parti de l’Administration. Finies donc les passes d’armes vécues sous Benkirane au sujet des contenus scolaires et de l’orientation de la réforme de l’enseignement…

C’est pour ainsi dire la fin d’une expérience dont la monarchie n’a jamais voulu et qu’elle a dû tolérer bon an, mal an depuis 2011 lorsque le PJD, en embuscade, avait surfé sur les Printemps arabes et profité des élections anticipées consécutives à l’adoption d’une nouvelle Constitution pour arriver à se hisser à la tête du gouvernement.

Avec les islamistes, il n’a jamais été question d’une « alternance consensuelle », comme celle qui avait porté aux affaires les socialistes de l’USFP sous Abderrahmane Youssoufi à la fin des années 90 dans un contexte d’inter-règnes, minutieusement préparé par Hassan II.

Ce n’est pas non plus un retour au G14, le fameux think tank de Hassan II en charge de baliser les grandes réformes du pays au moment où celui-ci était menacé de « crise cardiaque », ni à un « modèle à la Jettou » qui devait avant tout aplanir les poussées de fièvres sociales et syndicales et créer un « environnement propice aux affaires ».

Ce gouvernement est la traduction la plus aboutie de la « monarchie exécutive » dans toute sa splendeur, qui démontre dans une attitude totalement décomplexée, que les élections au Maroc ne servent pas à grand chose sinon à traduire coûte que coûte ce que le Palais décide, en bien ou en mal, pour tous. C’est aussi une parenthèse qui se referme après le frémissement d’ouverture de l’après-2011 dont les plus lucides des observateurs avaient compris le sens résolument tactique.

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