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Enseignement en anglais en Algérie : le forcing du gouvernement

Enseignement en anglais en Algérie : le forcing du gouvernement

Une nouvelle note vient s’ajouter à la partition en faveur de l’enseignement de l’anglais en Algérie : l’organisation, pour une période de deux mois, d’une formation au profit des nouveaux bacheliers.

L’annonce a été faite samedi par le ministre de l’Enseignement supérieur, une année après la décision du président Abdelmadjid Tebboune d’introduire l’enseignement de l’anglais au primaire.

« On va organiser une période de formation pour deux mois, soit du 20 juillet au 20 septembre prochain, pour l’apprentissage, l’enseignement ou l’amélioration du niveau des nouveaux bacheliers », a affirmé Kamal Bedari.

« On aspire à plus d’ouverture pour l’apprentissage des langues vivantes et précisément l’anglais », explique-t-il.

Cette annonce intervient dans la foulée d’une instruction adressée, début juillet, par son département à l’ensemble des recteurs des universités algériennes leur demandant de former des « groupes pédagogiques » et d’engager les préparatifs « pour l’adoption de l’anglais comme langue d’enseignement ».

Dirigée par un professeur, nommé ou élu, le groupe pédagogique est constitué de maitres de conférences ainsi que des enseignants assurant les travaux pratiques et les travaux dirigés.

Selon l’instruction, les actions requises des administrateurs universitaires doivent se traduire par une « présentation échelonnée » des préparatifs à l’adoption de l’anglais comme langue d’enseignement en Algérie et la détermination du « délai d’exécution de cette nouvelle approche ».

Aussi, le comité national de supervision et de suivi de la mise en œuvre du programme de formation des professeurs et doctorants en langue anglaise organisera, au cours de ce mois de juillet, des visites de terrain dans les établissements universitaires dans le but d’évaluer les préparatifs en la matière.

Entamé depuis une année, le programme intensif ambitionne de former 80 % des professeurs et doctorants algériens dans la langue anglaise. Objectif visé : assurer l’enseignement à l’université dans la langue de Shakespeare dès septembre.

Si l’option ne semble pas incommoder outre mesure, compte tenu du rang qu’occupe la langue anglaise, notamment dans la recherche scientifique et le monde de l’entreprise, il reste que la célérité et la marche forcée adoptée par l’Exécutif suscitent quelques interrogations et font même grincer des dents.

« Il y a deux problèmes : le premier est le fait qu’on forme des étudiants pour qu’ils prennent des cours en langue anglaise et le second est l’enseignement en anglais dès septembre », observe Abderrazak Dourari, professeur en sciences du langage à l’université d’Alger et docteur d’État en linguistique.

Selon lui, le temps est très court pour assurer aux étudiants algériens la maitrise des éléments basiques de la langue anglaise.

« Nous n’avons plus les mêmes moyens que les années 70 pour encadrer les étudiants en un laps de temps très court. Est-ce qu’on a les cadres, les moyens ? est ce qu’on peut donner des cours en anglais à l’université ? Les étudiants doivent être formés en aval sur la base de la politique linguistique adoptée par les gestionnaires de l’État dont le choix est souverain. Un choix qui doit être défini en fonction des intérêts de l’État », développe-t-il.

Et avant l’exécution de la nouvelle orientation, Abderazak Dourari exhorte les ministères concernés à établir d’abord une évaluation qu’il convient d’exposer à la société.

« Est-ce que nous avons des enseignants ? Ont-t-ils le niveau requis ? Si on n’a pas des enseignants de qualité, on ne s’engage pas dans l’immédiat, mais à long terme. Il faut un processus rationnel. Un professeur doit maitriser la langue. Vous ne pouvez pas former un professeur en six mois », estime Dourari, par ailleurs licencié en langue anglaise et titulaire d’un master de langue arabe. « Ça ne relève pas des caprices de celui qui gouverne », soutient-il.

Haro sur la politique de « substitution »

Annoncée en juillet 2019, au faîte de l’insurrection populaire, la mise en place des mécanismes pour renforcer la place de l’anglais dans l’enseignement à l’université en Algérie, et remplacer progressivement le français, en usage depuis l’indépendance du pays, s’est poursuivie durant la même période avec une ordonnance faite aux facultés algériennes d’utiliser uniquement l’arabe et l’anglais dans les en-têtes des correspondances et des documents officiels.

En 2021, certains ministères ont adopté exclusivement la langue arabe dans leurs documents et leurs correspondances. Certaines institutions ont même interdit à leurs cadres d’utiliser une autre langue que l’arabe.

Mais si durant cette période, certains observateurs y ont vu une tentative de diversion, aujourd’hui l’accélération de la cadence du passage à l’anglais survient dans un contexte de tensions avec l’ancienne puissance coloniale.

En France, la droite et l’extrême-droite réclament la révocation de l’accord de 1968 sur l’immigration et même un rééquilibrage de la politique extérieure française en faveur du Maroc et ce en détriment de l’Algérie.

« L’État ne doit pas arrêter de réfléchir (…) Il ne faut pas sacrifier l’élite actuelle. Déjà qu’elle a été bombardée par l’arabisation dans les années 80, une arabisation qui a échoué mais qu’on ne veut pas assumer », prévient le Pr Dourari.

« Qu’on nous donne des statistiques sur le nombre d’articles publiés en français, en arabe et en anglais ! , ajoute-t-il. Il ne faut pas que les décisions soient prise en fonction d’intérêts internes. Il ne faut pas que les tendances politico-idéologiques priment sur les intérêts du pays ».

Pour lui, la « politique de substitution » qui est « un drame », doit s’arrêter. « Il faut faire travailler les langues en même temps. On ne doit pas écarter la langue française. On ne punit pas la France en éliminant le français, mais on punit plutôt l’Algérie », assure-t-il non sans rappeler que la « révolution de 1954, les documents y afférents se sont faits en français ».

Les clés de la réussite de l’école

Un des rares pays où la question linguistique, prisonnière d’une vision idéologique exclusiviste, suscite la polémique, l’Algérie peine à définir une politique linguistique qui transcende certaines pesanteurs et fassent consensus.

Certains pays à l’histoire similaire à l’Algérie n’ont pas eu la même attitude vis-à-vis de la langue de leurs colonisateurs. C’est le cas, à titre d’exemple, de Cuba qui a adopté l’espagnol ou encore le Brésil qui a adopté le portugais.

« Le Brésil est aujourd’hui un pays émergent et les Brésiliens se développent en tant que brésiliens sans aucun problème. Même sous le blocus, Cuba connait un des meilleurs systèmes de santé au monde et un des meilleurs systèmes d’enseignement », rappelle Dourari.

Selon lui, « il faut dépassionner le débat sur la langue » en Algérie. Jugeant nécessaire de nos jours que les enseignants universitaires soient « plurilingues », Abderrazak Dourari plaide aussi en faveur de l’enseignement des langues maternelles, l’arabe algérien et le tamazight, garantes d’une meilleure réussite scolaire.

« La politique linguistique globale, soutient-il, au risque d’aliéner le peuple, doit assurer dans les premières phases scolaires, trois à quatre années, l’enseignement dans les langues maternelles pour garantir une meilleure réussite scolaire ». « L’un des critères de réussite, c’est l’enseignement dans les langues maternelles. Si on n’intègre pas ça, notre système va produire l’échec », conclut-il.

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