Économie

Entre pénurie et abondance, l’Algérie ne sait pas gérer son agriculture

En cette mi-mai, sur le marché aux bestiaux de Tiaret, vive discussion entre éleveurs. Le motif ? La cherté des prix des fourrages. Le quintal d’orge est à plus de 5 000 DA et la botte de paille atteint des sommets.

« On n’en peut plus, nous sommes en déshérence. Vous verrez les répercussions sur prix du mouton de l’Aïd cette année« , avertit un éleveur. À Mila, autre son de cloche. Cette année, la récolte d’ail est abondante et les producteurs sont ravis : « On espère seulement qu’ils ne nous ramènent pas de l’ail de l’étranger. »

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Entre pénurie et abondance, le secteur agricole peut-il satisfaire la demande locale ?

Quadruplement de la production de pomme de terre

Que ce soit en matière de pomme de terre, céréales où l’année passée des camions chargés de blé dur faisaient la queue devant les silos de stockage alors que l’Algérie est l’un des plus grands importateurs de blé au monde, tomate, oignon ou ail, la production algérienne de produits agricoles est en nette augmentation.

Dans le cas de la pomme de terre, entre 2000 et 2017, la production a quadruplé. Superficies et rendements ont doublé. Ces derniers sont passés en moyenne de 160 à plus de 320 quintaux par hectare.

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Ces productions font l’objet de diverses subventions publiques. À cela, il faut rajouter l’ingéniosité paysanne et le rôle des entreprises publiques et privées de l’agro-fourniture. À travers sa station de Sétif, et grâce aux techniques modernes de culture in-vitro, le groupe public Gvapro est aujourd’hui capable de proposer des semences de pomme de terre dont la célèbre Spunta très recherchée par les producteurs.

Outre, le conseil technique, les entreprises de l’agro-fourniture n’hésitent pas à financer les producteurs à travers des avances sur récolte. Financement bien utile pour les agriculteurs sans terre pratiquant la location et donc sans possibilités de prêts bancaires du fait de l’absence de statut officiel. Dans de telles conditions comment expliquer les hausses de prix durant le dernier mois de Ramadhan ?

Le stockage, talon d’Achille du secteur agricole

En fait, la conservation de la pomme de terre, nécessite un stockage en chambre froide ou une transformation. C’est là que le bât blesse.

Juin 2018, Omar Bessaoud et Karim Lefki deux experts, remettent leur rapport sur le « Diagnostic du système de régulation de la pomme de terre en Algérie« . Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture dans le cadre d’un programme de coopération financé par l’Union européenne.

Durant plusieurs semaines, ils ont sillonné les zones de production, visité des entrepôts de stockage et discuté avec les différents opérateurs du Syrpalac. Ils notent ainsi : « Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraignant, le financement de ce système (791 millions de dinars algérien en 2011) représente une facture qui pèse assez lourdement sur les finances publiques ». Pour la seule année 2009, ce sont 3 milliards de DA qui ont été consacrés au stockage de la pomme de terre.

Analysant les chiffres fournis par l’Onilev, ils arrivent à la conclusion que pour « la campagne 2016-2017 révèle que les quantités déstockées entre mars et avril, de même que celles libérées sur les marchés entre octobre et novembre n’ont aucun effet sur les niveaux de prix constatés sur les marchés officiels. »

La raison revenant au niveau limité des stocks. Ces derniers ne couvriraient pas dix jours de consommation nationale. « Ces stocks fluctuent ces dernières campagnes autour de 4 %, ce qui est bien naturellement insuffisant pour influencer les prix de marchés« . Pour agir sur les prix, le niveau de ces stocks devrait être porté à 20 %.

Des oignons stockés en bout de champs

Commune de Chetouane (Saïda), au bord d’un champ, une vingtaine de silos rudimentaires d’oignons. Empilés sur un mètre de haut, deux de large et une trentaine de long, les tas sont à peine recouverts d’une simple bâche plastique.

En ce mois de janvier 2020, face à la caméra d’Ennahar TV, des agriculteurs témoignent de la difficulté d’écouler leur production. « On n’y arrive plus. Voilà notre récolte. Nous demandons l’aide du ministre de l’Agriculture. Notre marchandise se dégrade« .

Brandissant plusieurs bulbes d’oignons en cours de décomposition, un agriculteur exaspéré rappelle : « L’engrais nous coûte, l’eau nous coûte, la main d’œuvre nous coûte« .

Comme pour les pommes de terre, ces oignons devraient être stockés en chambre froide. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics soutiennent l’installation d’entrepôts frigorifiques ce qui a permis une rapide progression des capacités locales. C’est le cas, notamment de l’entreprise publique des entrepôts frigorifiques de la Méditerranée.

Ce développement n’est pas sans retards ponctuels. Ainsi, en avril dernier, cette entreprise faisait savoir par voie de presse que concernant les projets de Metlili, Reggane, Touggourt et Aïn Salah, les travaux étaient quasiment achevés. Il ne restait que « l’installation et la mise en marche des équipements qui sont tributaires de l’intervention des experts étrangers« . Mais la venue de ces derniers a été retardée par la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a provoqué la suspension des liaisons aériennes avec l’étranger.

Le stockage se fait dans le cadre du Syrpalac. Dès 2016, dans Courrier d’Algérie, Sahraoui Benallal, DG de l’ONILEV revient sur sa création en 2008 : « L’objectif premier est de protéger les intérêts, et du producteur et du consommateur. Et ce, par le développement du stockage de tout surplus de production ; l’objectif étant de rassurer les agriculteurs, quant à l’existence d’un débouché sûr à leur production. »

Les services agricoles innovent alors : « Pour inciter les agriculteurs à y adhérer, les pouvoirs publics se sont engagés à prendre en charge les frais de stockage, et ce, par l’octroi de primes (de stockage) par kilogramme et par mois stocké« . Les agriculteurs adhèrent massivement.

L’organisation est d’abord confiée à la direction des services agricoles de wilayas ainsi qu’à la SGP-Podal, une entreprise publique disposant de moyens de stockage.

Face à l’ampleur de la tâche, l’année suivante voit la création de L’Onilev. Mais cet office chargé des légumes et de la viande « n’est devenu, effectivement, opérationnel qu’en 2013« , précise Sahraoui Benallal, ajoutant que « mieux vaut gérer une situation de surproduction qu’une pénurie… »

Abondance de la tomate industrielle

En quelques années, la culture de la tomate industrielle s’est considérablement modernisée. Les planteurs utilisent des variétés à haut rendement, des plants en motte, l’irrigation par la technique du goutte à goutte et on assiste même à un début de récolte mécanisée. Certes, il reste encore de nombreuses opérations manuelles. C’est le cas de la plantation. Pour nombre d’ouvriers agricoles, le meilleur outil reste encore un bout de branche d’arbre bien choisit qui fait office de plantoir.

Cette année, dans la seule région d’El Tarf, ce sont plus de 3 000 hectares qui ont été consacrés à la culture de la tomate. Les services agricoles annoncent qu’entre irrigation des céréales et de la tomate, ce sont 2 millions de mètres cubes d’eau en provenance du barrage de Bounamoussa qui ont été disponibles.

Chose dont se félicitait au printemps Azzedine Berkane, le président de la filière tomate industrielle. « L’intervention des services agricoles et l’office en charge de l’irrigation nous ont attribué des quotas d’irrigation dès le mois de mars, ce qui nous a permis de démarrer les plantations dès le début de mars et en commençant par les variétés les plus précoces« , confie-t-il à Ennahar TV.

Les planteurs utilisent des variétés à maturation progressive moins sensibles aux terribles épisodes de chaleur qui entraînent la maturité de tout un champ. Des variétés à double emploi sont apparues. Elles permettent de diriger vers la consommation de tomates fraîches une partie de la récolte en cas de surcharge des conserveries.

Le temps des importations intempestives de concentré de tomate semble révolu. Cette provenance étrangère qui concurrençait la tomate locale, a longtemps fait des ravages. Ces dernières années, plus d’un planteur avait dû jeter sa récolte face aux portes fermées des conserveries. Plus d’un avait juré qu’on ne les reprendrait plus à faire de la tomate. Aujourd’hui la confiance semble revenue.

De leur côté, des conserveries ont augmenté leur capacité de transformation. Personne ne veut plus voir des camions chargés de tomates attendant 3 à 4 jours devant la conserverie avant de pouvoir décharger la précieuse marchandise.

Tel ce transformateur qui appelle de ses voeux une plus grande coordination entre arrachages et capacité journalière des usines : « En 2021, nous aurons une capacité de 1 000 tonnes par 24 heures, nous souhaitons faire avec les agriculteurs un programme journalier de réception de 1 000 tonnes. »

Si les livraisons nécessitent une meilleure planification, les torts sont parfois partagés. Laabadlia Sassi, le délégué de l’UNPA s’est fait fort de rappeler devant la caméra de l’ENTV que l’an passé une conserverie locale est restée cinq jours à l’arrêt au moment de l’Aïd Adha.

Logistique de marché de gros et commercialisation

L’approvisionnement des marchés n’est pas simplement une affaire de production, transformation et de stockage rappellent Omar Bessaoud et Karim Lefki : « le mécanisme de régulation souffre, d’une part, d’un déficit dans la coordination entre les acteurs publics et privés impliqués dans la filière, et d’autre part, de l’absence de contrôle par les institutions des marchés réels qui eux restent très largement dominés par des mandataires privés et des «bourses» informelles ou se déterminent au jour le jour les cours de la pomme de terre. »

Au cours de leur enquête dans les marchés de gros, les deux experts auront l’occasion de voir, tôt le matin, des mandataires, téléphone portable en main, se concertant discrètement entre eux.

« Ces bourses localisées dans les régions proches des bassins de production ou sur des nœuds de voies de communication stratégiques, rassemblent des opérateurs privés disposant de moyens de transport, de ressources financières et utilisant les nouvelles technologies d’information (portables pour échanger avec les commanditaires, photos des produits avec leurs caractéristiques et prix communiqué en temps réel) pour réaliser les transactions. »

Outre la poursuite de la mise en place d’un réseau national de marchés de gros, dans le cas de la pomme de terre, il est recommandé « une meilleure coordination entre institutions et les acteurs impliqués dans le mécanisme de régulation. » Sans oublier le conseil interprofessionnel de la filière pomme de terre, seul organisme où sont représentés les acteurs privés.

Mais en agriculture, rien n’est jamais acquis. L’agro-économiste Ali Daoud rappelait récemment que le prix des intrants agricoles avait connu une forte augmentation. Ainsi, le prix du film plastique pour les serres avait doublé. En Algérie, avec près de 45 millions d’habitants, les services agricoles et du commerce apprennent à gérer production et régulation des marchés.

 

*Ingénieur agronome


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