Économie

Entretien avec Hassan Khelifati : « Non à la chasse aux sorcières, ni aux règlements de compte »

ENTRETIEN. Hassan Khelifati a annoncé le 2 mars dernier le gel de son appartenance au FCE, en raison du soutien de l’organisation patronale au 5e mandat. Il a participé à toutes les marches populaires contre le 5e mandat et pour le départ du système. À la veille de la réunion du conseil exécutif du FCE demain dimanche pour désigner un intérimaire, il donne sa vision du futur FCE, s’exprime sur la mauvaise image des entrepreneurs algériens.

Vous avez contesté le soutien actif de l’ex-président Ali Haddad du FCE au 5e mandat de Bouteflika. Aujourd’hui que Haddad n’est plus président, envisagez-vous de réactiver votre appartenance au FCE ?

Le problème du FCE ne se situe pas en la personne de son président seulement. Il se situe aussi au niveau de son activisme politique, de son bureau qui a partagé toutes ses actions. Le problème se situe aussi dans les statuts du FCE qui ont été triturés de sorte à exclure les voix des membres du Forum dans la prise de décision. Depuis 2017 j’ai dénoncé tant par écrit qu’au sein des Assemblées générales, le fait que tous les membres aient été exclus du vote au sein du FCE. On a créé un système de « super votants » qui votent à la place de tous les membres. Ces super votants ont été dans les faits pratiquement désignés par le président, donc il n’y avait plus de démocratie. On a violé le principe de : un membre, une voix. J’avais dénoncé cette violation et dit que ce système ne pouvait pas fonctionner.

Est-ce que tous les membres du bureau exécutif étaient complices de Haddad ?

Parmi les membres du bureau exécutif et de l’AG, il y a beaucoup et je dirais même la quasi-majorité qui est sincère. Ce sont des bâtisseurs très respectables. Seulement, la conjoncture a fait que cette majorité  a été entraînée, malgré elle, dans un engrenage qu’elle ne pouvait pas dénoncer pour des raisons connues à cette époque-là. Ces chefs d’entreprises ont toute leur place dans la future organisation patronale algérienne.

Que faut-il faire ?

Nous demandons une gestion intérimaire, et nous proposons la tenue d’une assemblée générale extraordinaire, pour désigner une nouvelle équipe, laquelle va appeler à la tenue d’une autre assemblée générale pour revoir les statuts et le mode de vote et de fonctionnement du Forum.

Selon quels critères ?

La représentativité et le poids économique des opérateurs pour être candidat au poste de président ou devenir membre du bureau exécutif sont importants. Car prendre seulement le critère du nombre, avec les dérives qu’on a vues ces dernières années, risque de nous mener une nouvelle fois à l’impasse.

Allez-vous revenir au FCE ?

Sans une révision des statuts, il n’y aucun intérêt à revenir au FCE. Ce dernier est actuellement entre les mains d’une minorité de membres qui ont été pratiquement désignés par l’ancien président. Il ne sert strictement à rien de réactiver mon appartenance et revenir dans de telles conditions. Aujourd’hui, il y a un problème de fond au sein du FCE. Même le nom de l’association pose aujourd’hui problème. À mon avis les membres doivent réfléchir sérieusement à cette question et lui trouver une alternative.

Faut-il changer le nom du FCE ?

Bien sûr. Parce que son nom est entaché, il n’est pas accepté par l’opinion publique pour qui il symbolise la soumission au pouvoir politique, la rapine, la mafia, l’oligarchie, la rente, alors que la quasi-totalité des membres n’a rien à voir avec ces qualificatifs, et ne sont pas responsables dans la situation actuelle du FCE.

Quels sont les rapports de force au sein FCE après la démission de Haddad ?

Actuellement, il y a trois groupes qui se détachent. Il y a d’abord les anciens qui essaient de garder le contrôle. Il y a aussi ceux qui étaient proches de l’ancien président qui tentent, eux aussi, de garder le contrôle. En troisième lieu il y a les réformateurs sincères qui représentent la majorité des membres. Il faut que le FCE revienne aux sources, remettre le FCE dans sa voie initiale, en renforçant les structures internes, pour assurer de démocratie dans son fonctionnement. Je pense qu’on n’est pas obligé de rester dans cette organisation, même s’il est peut-être encore prématuré de parler de la création d’un nouveau patronat. Mais si les choses n’évoluent pas dans la bonne direction dans les jours ou semaines à venir, il n’est pas exclu d’y réfléchir sérieusement et de penser à la création d’un CAC 40 algérien avec de véritables chefs d’entreprises qui ont bâti des projets sur le terrain et qui ont réalisé des choses. Des chefs d’entreprises légitimes pour contribuer et participer à la reconstruction de l’économie nationale. Ces chefs d’entreprises sont nombreux en Algérie et à l’étranger.

Le Conseil exécutif du FCE se réunit demain dimanche pour se pencher sur la succession de Haddad. Qu’est-ce que vous leur dites ?

Je dis aux membres qui vont se réunir demain dimanche pour gérer l’après départ de l’ancien président, qu’il y a eu des choix qui ont été faits et M. Haddad ne les a pas faits seul. Il les a faits avec un bureau et une assemblée choisie. Il y a eu même une insistance pour impliquer le Forum dans la politique. Il y a eu un premier membre de ce bureau qui a annoncé son départ (Ali Haddad, Ndlr). Je pense que dans l’intérêt de l’Algérie, pour donner une meilleure image du chef d’entreprise algérien, il faut tirer, ensemble, les conclusions nécessaires de cette situation dans laquelle est plongée le FCE. Quand on fait un mauvais choix, il faut tout de suite tirer des conclusions et on remet sa démission et disant : « on s’est trompé, on remet notre mandat à toute l’assemblée générale » qui, elle, décidera et va gérer la suite.

Envisageriez-vous de vous porter candidat à la présidence du FCE ?

Il est encore trop tôt pour parler de ma candidature. Avant de m’y engager il faut que je pèse, d’abord, l’acceptabilité de l’idée : y aura-t-il des gens qui vont l’accepter ? Il faut aussi, et c’est important, déterminer un projet pour le FCE, qui a beaucoup changé, il y a de nouveaux membres. Pour cela, il va falloir discuter d’un projet de refondation du Forum des chefs d’entreprises, préciser l’objectif que l’on se doit d’atteindre et voir comment le Forum peut devenir une force de propositions pour améliorer l’environnement économique.

Quelle est votre vision du FCE ?

Le FCE doit œuvrer pour l’intérêt de l’ensemble de la communauté d’affaires nationale, pour attirer des investissements, améliorer le cadre réglementaire et pour faire des propositions au gouvernement à des fins de changements législatifs. C’est cela le FCE dont nous voulons. Nous ne voulons pas d’un Forum comme un outil politique. Personnellement, si un jour je veux faire de la politique, j’adhèrerai dans un parti politique. Je ne vais surtout pas utiliser une association à caractère économique pour faire de la politique. C’est tout cela que nous allons proposer : c’est-à-dire faire en sorte que le FCE soit au service de ses membres mais aussi de l’économie nationale et pas au service de forces politiques.

Vous plaidez pour la réhabilitation de l’image du chef d’entreprise algérien. Des soupçons de corruption pèsent sur de nombreux patrons et la rue réclame justice. Que faut-il éviter ?

Il faut savoir qu’en Algérie il y a presque 600 000 entrepreneurs et 1,5 million de commerçants. Il est vrai que, ces dernières années, quelques « têtes d’affiches » ont donné une mauvaise image du chef d’entreprise algérien. Mais la vérité est que la quasi-majorité des entreprises algériennes, qu’elles soient petites moyennes ou grandes, travaillent dans le cadre de la loi, créent de la valeur, de la richesse et de l’emploi. La preuve est qu’aujourd’hui, la quasi-majorité des entreprises qui exportent hors hydrocarbures relèvent du secteur privé. La valeur ajoutée hors hydrocarbures est créée par les entreprises privées algériennes.

En matière d’emploi, les entreprises privées nationales ont dépassé la fonction publique. Donc, les entreprises privées sont très utiles à l’économie nationale. Ces dernières années, le rapprochement du FCE avec le pouvoir politique a beaucoup altéré l’image de marque des entrepreneurs algériens. Il est vrai qu’il y a eu des abus, des sorties de route pour certains.

En participant aux marches citoyennes, j’ai constaté cette image abimée des chefs d’entreprises, j’ai discuté avec les gens et essayé de leur expliquer qu’il ne fallait pas généraliser et qu’il ne fallait surtout pas qu’il y ait une chasse aux sorcières et autres règlements de compte. Il est tout aussi vrai que l’entrepreneur algérien doit travailler dans le cadre de la loi, il ne doit être ni au-dessus ni en dessous de la loi.

Cela étant dit, avoir des crédits bancaires ou bénéficier des avantages fiscaux, c’est normal et cela se fait dans tous les pays du monde et c’est de cette manière qu’on développe une économie. Mais tout cela doit se faire dans la transparence en s’assurant que les avantages offerts s’inscrivent dans le cadre de la loi, et s’il y a des abus il faut qu’ils soient sanctionnés par une justice indépendante et dans la transparence totale.

Il faut préserver les acquis et les outils de travail très utiles à notre économie et à notre jeunesse qui a besoin de travailler, de rêver et d’avoir des perspectives au-delà du sort des personnes.

Certes, aujourd’hui les Algériens discutent de la chose politique avec beaucoup de brio et d’aisance et ils s’accaparent tout l’espace public, mais il faut en sortir rapidement et revenir à l’essentiel et notamment le débat sur les reformes économiques, car tous les experts nationaux et internationaux sont très inquiets sur les perspectives de notre économie et soulignent la nécessité d’une prise en main très rapide et avec beaucoup de force, afin de redresser la situation et éviter des problèmes sérieux, afin de rendre l’espoir à nos concitoyens et permettre à nos jeunes de rêver à des jours meilleurs.

Aujourd’hui, c’est cette Algérie nouvelle dont nous rêvons, une Algérie où la loi s’applique à tout le monde et où, comme dans une compétition, c’est le meilleur qui gagne. Pour cela, il ne faut plus qu’il y ait de la discrimination entre le public et le privé, nous ne voulons plus qu’il y ait des privilégiés et des moins privilégiés.

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