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Entretien avec Issad Mabrouk, président du Syndicat national des magistrats

Entretien avec Issad Mabrouk, président du Syndicat national des magistrats

Vous avez récemment dénoncé l’adoption par le Parlement du projet de loi portant amendement du code pénal. Pourquoi ?

Nous avons considéré que le moment est inopportun pour l’amendement du code pénal. Il aurait fallu à notre sens que cet amendement soit retardé et présenté à débat au sein de toute la société algérienne et notamment chez les spécialistes du droit. Même la manière dont le texte a été amendé est inopportune et pose problème à notre sens puisque les choses sont floues. La criminalisation des actes est imprécise : quant on parle de la sécurité nationale et sûreté publique, ce sont des notions qui peuvent recouvrir beaucoup de significations. En ce sens que ces notions ne sont pas clairement définies.

Pourquoi le moment est inopportun ?

Ce texte de loi est positif du point de vue du principe, mais ce n’est pas le moment de le présenter. C’est un texte de loi qui concerne la société tout entière, il doit être donc soumis impérativement à un large débat public au sein de l’ensemble des franges de la société surtout qu’il concerne une atteinte des libertés publiques.

Comment voyez-vous l’application de ce texte sur le terrain ?

Compte tenu de l’imprécision dans la définition des concepts et des articles, il se pourrait que lors de l’application du texte de loi pour un simple acte, la personne peut prendre une condamnation. De même que pour un fait grave, elle peut échapper à la condamnation. Parce qu’en matière pénale, il est impératif que les crimes soient bien définis sous toutes leurs coutures. Quant vous dites par exemple « une atteinte à l’ordre public », c’est une notion très vaste où est-ce qu’elle commence et où est-ce qu’elle se termine ? Même s’il y a des dépassements, on ne peut pas les solutionner avec des peines inadéquates

Vous préconisez donc une précision dans la définition des crimes pour clarifier la condamnation ?

Oui, il faut de la précision et une définition claire des condamnations parce que cela touche les libertés individuelles et collectives et nos concitoyens ont le droit de s’exprimer et de critiquer. Mais tout en sachant avec clarté les faits susceptibles d’être criminalisés. Plus fondamentalement, il faut soumettre le texte de loi à la société entière pour que tout un chacun exprime son avis sur ce texte de loi. C’est comme si que quelqu’un se réveille un beau jour et déclare de lui-même ce qui relève du pénal et ce qui n’en relève pas alors que cette décision ne concerne pas que le législateur mais plutôt l’ensemble de la société algérienne.

De plus, l’institution parlementaire est critiquée et beaucoup remettent en cause sa légitimité et sa représentativité. Autrement dit, les parlementaires auraient dû ne pas légiférer dans le domaine pénal et attendre l’élection de nouvelles institutions.

Qu’allez-vous faire maintenant que le texte de loi est adopté sachant que ce sont les magistrats qui sont chargés de l’appliquer ?

Nous demandons à nos collègues magistrats dans le cadre de leur application à ce texte de loi de se limiter aux principes généraux et aux règles universelles en matière pénale. Autrement dit, on leur demande une application stricte de la loi.

Mais que veut dire une application stricte de la loi ?

Je vous donne un exemple : si un citoyen décide de faire une manifestation de rue, son geste peut être qualifié de crime au travers de cet amendement du code pénal. Mais sur le terrain de l’application du texte, cette accusation n’est pas valable. Puisque la Constitution garantit le droit de manifester et de s’exprimer. En somme, nous demandons aux magistrats une application stricte de la loi. Qu’ils soient souples et équitables dans l’application.

Des magistrats ont décidé de boycotter les élections du CSM. Qu’en pensez-vous ?

Les magistrats ont actuellement une seule organisation qui les représent, c’est le SNM. Vous avez probablement lu un communiqué du Club des magistrats qui n’a d’existence que sur Facebook. Ce club des magistrats n’a aucune existence effective, c’est un club fantoche. Il a dû entendre dire que nous avions reporté les élections du CSM et il s’est approprié l’information et la rendue publique. Alors que c’est nous qui avions décidé de reporter de nous-mêmes l’élection en raison de la pandémie du coronavirus.

Karim Tabbou a eu un malaise lors de son procès en appel à la Cour d’Alger. Ses avocats avaient demandé le report, mais le procès a eu lieu. Qu’en pensez-vous ?

Du point de vue de la procédure, Karim Tabbou et ses avocats avaient le droit de reporter l’audience.

Que reprochez à Belkacem Zeghmati, le ministre de la Justice ?

Très sincèrement, la majorité des magistrats ne sont pas satisfaits de sa gestion du secteur. Lui voit qu’il est strict dans sa gestion du secteur et les magistrats voient qu’il use d’un autoritarisme mal venu.

Les magistrats vont-ils renouer avec la contestation et faire grève ?

Tout est possible. Mais actuellement, nous sommes en plein épidémie du nouveau coronavirus Covid-19. Après le déconfinement, on étudiera toutes les possibilités.

Beaucoup dénoncent un recours abusif et injustifié à la détention préventive par les magistrats. Qu’en pensez-vous ?

Normalement, le recours à la détention préventive est exceptionnel et la loi est claire là-dessus. Mais il y a certains magistrats qui en font un usage excessif par eux-mêmes.

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